Plus de 5300 arrestations lors de manifestations pro-Navalny en Russie

La police russe arrête un manifestant à Vladivostok.
Photo : afp via getty images / Pavel Korolyov
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La police russe a mis en place un important dispositif de sécurité dans de nombreuses villes du pays, dimanche, et bloqué l'accès à leur centre dans le but d'empêcher de nouvelles manifestations critiquant le pouvoir en place et exigeant la libération de l'opposant Alexeï Navalny.
À Moscou, où se trouve la correspondante de Radio-Canada Tamara Alteresco, les regroupements ont été étouffés dès qu’ils commençaient à grossir, a-t-elle expliqué à ICI RDI.
La présence de la police, accompagnée de l'armée, y était tellement imposante qu’elle a qualifié la capitale de ville forteresse
.
Il n’y a aucune tolérance. Tout se passe très rapidement. Dès que les gens s’attroupent, des policiers arrivent, se regroupent, prennent les ordres et les dispersent. Ensuite, ils changent de stratégie.
Selon elle, la foule voulait initialement se réunir devant les bureaux des services secrets, mais tellement de policiers y avaient été postés que les manifestants se sont dispersés et se sont retrouvés dans différents quartiers.
Une partie du cortège s'est de son côté dirigée vers la prison du nord de Moscou où Alexeï Navalny est détenu, mais pour la plupart sans y parvenir.
Il y aurait également eu de petites manifestations dans toutes les stations de métro restées ouvertes, les autorités ayant pris la décision d’en fermer plusieurs.
Tout le centre-ville était également fermé, ainsi que de nombreux cafés dans le secteur, les musées et le Kremlin.
En début de soirée, l'équipe de M. Navalny a annoncé la fin de la manifestation à Moscou. Nous leur avons montré à quel point nous étions nombreux!
, a-t-elle écrit sur Telegram, appelant ses partisans à aller le soutenir mardi lors de sa comparution devant un tribunal.

Le reportage de Tamara Alteresco
Des milliers d'arrestations
Les forces de l'ordre avaient aussi bloqué le centre-ville entre autres à Saint-Pétersbourg et à Vladivostok, à l'autre bout de la Russie.
De nombreuses arrestations ont eu lieu dans tout le pays, dont celle de l'épouse d'Alexeï Navalny, qui a été libérée quelques heures plus tard.
Selon l'Union des journalistes de la Russie, au moins 60 membres de la presse ont aussi été arrêtés.
Selon l'organisation OVD-Info, spécialisée dans le suivi des manifestations en Russie, plus de 5300 personnes ont été arrêtées dans au moins 85 villes, dont 1800 à Moscou, 1176 à Saint-Pétersbourg et plus de 100 à Vladivostok.
Pour avoir violé l’interdiction de manifester, les personnes arrêtées s’exposent à des poursuites judiciaires et à des peines de prison importantes.
À Novossibirsk, la troisième agglomération en importance de Russie, le média indépendant Taïga a estimé à plus de 5000 le nombre de protestataires, l'un des plus importants rassemblements antigouvernementaux de ces dernières années.
Saint-Pétersbourg, près de 3000 personnes rassemblées sur une place du centre-ville auraient été dispersées par les forces antiémeutes.
À Moscou, la police a estimé la foule à 2000 personnes.

La police antiémeute a voulu empêcher les manifestants de se rendre au centre-ville à Saint-Pétersbourg.
Photo : afp via getty images / Olga Maltseva
Les protestataires demandent la libération de l'opposant et militant anticorruption Alexeï Navalny, arrêté le le 17 janvier à sa descente d'avion après des mois de convalescence en Allemagne pour un empoisonnement présumé, dont il accuse Vladimir Poutine et les services de sécurité russes d'être responsables.
Mais les manifestants veulent également protester contre l'opulence dans laquelle vivent les dirigeants russes, alimentés par la diffusion d'une enquête de M. Navalny, qui accuse le président Poutine de posséder un immense palais
sur les rives de la mer Noire. Cette investigation a été vue plus de 100 millions de fois sur YouTube.
Les gens sont en colère à cause de ce qui se passe et parce que des députés et militants d'opposition ont été arrêtés cette semaine
, a affirmé Khelga Pirogova, élue locale d'une coalition pro-Navalny à Novossibirsk.
Vladimir Poutine a démenti ces accusations, destinées selon lui à laver le cerveau
des Russes et à les inciter à aller manifester.
Samedi, le milliardaire Arkadi Rotenberg, un proche de M. Poutine qui était son ancien partenaire de judo et qui se trouve sous sanctions occidentales, a affirmé être le véritable propriétaire de la résidence et assuré qu'il était en train d'y construire un hôtel.
Les problèmes économiques russes

Les gens manifestent à Moscou dimanche.
Photo : afp via getty images / Natalia Kolesnikova
Ekaterina Piskunova, politicologue au département de sciences politiques à l’Université de Montréal, voit trois volets dans ce mouvement de protestation.
Il y a évidemment, les pro-Navalny
, qui demandent sa libération, un groupe relativement important, mais qui n’est pas en majorité, pense-t-elle.
Il y aussi les jeunes adultes, nés sous Poutine, qui recherchent la démocratisation du pays.
Mais il y a surtout les gens qui en ont assez des problèmes économiques et qui demandent du changement, dit-elle, entre autres à l’extérieur de Moscou. C’est une façon de parler au pouvoir, de dire que ça ne fonctionne pas
, dit-elle.
C’est la fatigue du peuple, qui commence à sentir les problèmes économiques du pays, qui ne sont pas désastreux, mais quand même. Le niveau de vie est différent qu’il y a six ans, avant les sanctions internationales [mises en place en raison de l'annexion de la Crimée par la Russie].
Mme Piskunova ne pense cependant pas que les forces en présence soient suffisantes pour renverser les dirigeants actuels, malgré l’usure du pouvoir après 20 ans du règne de Vladimir Poutine.
Elle se demande notamment si les gens qui protestent contre les problèmes économiques se reconnaissent vraiment dans Alexeï Navalny, qui est le visage de la contestation. C’est comme une faiblesse de la force d’opposition
, juge-t-elle.
Quant à la condamnation par les États-Unis des tactiques brutales
de la Russie, faite dimanche sur Twitter par le nouveau secrétaire d'État américain Antony Blinken, elle a également peu de poids, selon la politicologue.
L’opinion internationale n’a jamais dérangé le Kremlin. Au contraire, il bâtit son image sur la forteresse assiégée par le méchant Occident.
Une semaine pour se préparer
Les rassemblements de dimanche font suite à une première journée de mobilisation ayant eu lieu samedi dernier et qui avait réuni des dizaines de milliers de protestataires et s'était soldée par plus de 4000 interpellations et par l'ouverture d'une vingtaine d'affaires pénales.
Voulant étouffer de nouvelles velléités de protestations dans l'œuf, la justice russe avait assigné à résidence vendredi la plupart des proches alliés de M. Navalny, leur interdisant d'utiliser les médias sociaux, deux jours après une série de perquisitions ayant notamment visé le domicile de sa femme Ioulia et les locaux de son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption.

La police arrête un manifestant à Moscou.
Photo : afp via getty images / Vasily Maximov
Les jours précédents, les autorités ont multiplié les mises en garde aux partisans de M. Navalny. La police a affirmé que les manifestants pourraient être poursuivis pour émeutes de masse
si les rassemblements se soldaient par la violence.
Le gendarme russe des télécoms Roskomnadzor a annoncé pour sa part qu'il allait sanctionner les réseaux sociaux pour avoir laissé en ligne des messages encourageant, selon lui, les jeunes mineurs à aller manifester.
Malgré les pressions, Alexeï Navalny a encore appelé jeudi les Russes à descendre dans la rue. N'ayez pas peur
, a-t-il écrit dans une lettre publiée sur son blogue. La majorité est de notre côté. Allons la réveiller.
La comparution d'Alexeï Navalny devant des juges est donc prévue mardi.
Selon son avocate, il risque notamment environ deux ans et demi
de prison ferme sous les accusations d'avoir violé, quand il est parti en Allemagne pour se faire soigner, les conditions d'une condamnation de trois ans et demi de prison avec sursis qu'il s'était vu infliger en 2014.
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Avec les informations de Agence France-Presse et Reuters