DOSSIER | Lola Omoniyi, plus de 30 ans au service de la beauté des Noirs

Le premier salon Lola’s Beauty a été créé en 1989 à Winnipeg.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Lola Omoniyi est la propriétaire de l’un des premiers salons de beauté consacrés à la peau noire et aux cheveux crépus au Manitoba. La femme d'affaires a bravé vents et marées pour établir une entreprise dont la renommée s'étend dans différentes provinces et au-delà.
Partie de son Afrique natale en 1977 pour rejoindre son fiancé, Isaac Omoniyi, au Canada, Lola Omoniyi est très surprise d’arriver dans un pays où il lui est impossible de trouver un salon de coiffure où on pourrait prendre soin de ses cheveux frisés.
La jeune femme passionnée de mode et de tout ce qui est lié à la beauté est obligée de se faire couper les cheveux et d’adopter un style afro.
Je n’en revenais pas. On avait toutes des afros, car c’était plus simple ainsi
, se souvient Mme Omoniyi, qui avait 21 ans à l’époque.
Cette réalité était difficile, surtout quand on connaît l’importance que les Noirs accordent depuis des siècles à la beauté capillaire, fait remarquer la présidente de l’Association des communautés africaines du Manitoba (ACOMI), Titi Tijani, qui a également immigré au Manitoba il y a plus de trois décennies.
Chez nous, un proverbe dit : Ta tête est ta couronne et ta gloire. On se fait coiffer presque toutes les semaines. Quand les gens te voient, ils te regardent en commençant par tes cheveux. Rompre avec ces habitudes était déchirant
, explique-t-elle.
Titi Tijani raconte que, à cette époque, le simple fait de trouver des crèmes ou tout autre produit d’entretien corporel pour des Noires relevait de l’exploit : Il fallait faire preuve d’imagination. Parfois, on devait mélanger différents produits pour y trouver notre compte.
Devenir entrepreneure
Au Manitoba, Lola Omoniyi essaie tant bien que mal de s’intégrer malgré ces difficultés. Quelques années après son mariage, elle a son premier enfant, et la famille part pour Calgary, en Alberta, où Lola s'inscrit à une formation en administration des affaires.
Incapable de trouver un emploi, elle suit une formation d'esthéticienne afin d’améliorer ses chances de travailler.
À la fin de sa formation, Mme Omoniyi peine toujours à trouver l’emploi de ses rêves. Son mari, par contre, est appelé pour un poste à Toronto.
En route vers l'Ontario, le couple s'arrête au Manitoba pour saluer d'anciens amis. Durant ce séjour qui devait être très bref, un ami les convainc de s’installer dans la capitale manitobaine, où l’environnement est plus approprié à l’éducation des enfants.
De plus, ce dernier leur confie qu’il y a beaucoup d’occasions d’emplois dans la province. La même semaine, Lola Omoniyi est d'ailleurs embauchée comme gestionnaire dans un salon de coiffure.
C’était incroyable, car mon mari a lui aussi aussitôt obtenu un emploi
, raconte-t-elle.
L’entreprise pour laquelle elle travaille se spécialise plutôt dans les cheveux des Blancs, mais le salon a aussi une petite clientèle noire. Il ne vend toutefois pas de produits capillaires et connaît quelques difficultés sur le plan financier.
Avec les autres employés et mes compétences en gestion, on est parvenu à sauver ce salon de coiffure de la faillite
, raconte-t-elle.
Plongée dans ce qui pouvait être considéré comme l’industrie de la beauté au Manitoba, Lola Omoniyi rencontre d’autres personnes noires, notamment Bose Agbayewa, qui la suit dans son aventure depuis 33 ans.
J’avais vécu à Londres. Arrivée au Manitoba, il y avait une frustration de ne pas avoir accès aux produits esthétiques pour moi et ma famille. C’était bien de rencontrer Lola qui comprenait ce que je voulais
, dit Mme Agbayewa.
D’une rencontre à l’autre, Lola Omoniyi tisse un réseau aussi bien professionnel que communautaire.
En parlant à différentes personnes, elle constate que leurs besoins sont énormes.
Avec le soutien de son conjoint, Isaac, elle décide de faire une étude de marché plus approfondie en vue du lancement de sa propre entreprise. Isaac lui conseille d'étendre son analyse aux marchés voisins, notamment au Dakota du Nord.
Il y avait une base militaire au Dakota du Nord, et les femmes de militaires noires allaient à Minneapolis pour se faire coiffer,
explique-t-il.
À la suite de l’étude, les observations du couple quant aux besoins des Noirs sont claires, mais Mme Omoniyi se retrouve face à un gros problème
.
Une série de rejets
Elle explique que, malgré toute sa bonne volonté et l’engagement de son mari de l’accompagner, aucune banque ne veut leur faire crédit.
Se remémorant avec humour ses mésaventures de l’époque, elle affirme qu’être une femme était déjà une barrière. Le fait d'être jeune et noire était des éléments aggravants qui rendaient cette barrière infranchissable, croit-elle.
Les refus étaient catégoriques. On n’avait pas de familles qui pouvaient nous aider en se portant garantes du prêt
, déplore-t-elle. Au sein de la jeune communauté noire qui se formait, on trouvait le projet ambitieux. Mais, malheureusement, personne n’était financièrement disposé à nous soutenir
, dit Mme Omoniyi.
On ne lâche pas, on vide les caisses
Confiants dans la viabilité du projet à long terme, Lola Omoniyi et son mari font des choix difficiles. Ils décident de vendre leur voiture familiale, qui était leur bien le plus cher, et investissent toutes leurs économies pour voir naître le premier salon Lola's Beauty.
Ayant réuni moins de 5000 $, c’est dans un sous-sol d’environ 56 mètres carrés du quartier Saint-Vital que la jeune entrepreneure commence ses activités. Le salon offre plusieurs styles de coiffure et vend des produits capillaires et corporels venus des États-Unis.
En combinant ses compétences de gestionnaire et d’esthéticienne, la nouvelle chef d’entreprise fait de la prospection partout et encourage ses clients à promouvoir ses produits et ses services, en leur offrant des rabais.
M. Omoniyi se souvient avec admiration de la détermination de son épouse. C’était sa passion, elle y mettait beaucoup du sien
, lance-t-il.
Quand le salon pour lequel elle avait travaillé ferme ses portes, Lola Omoniyi convainc d'anciens clients de la suivre, dont Bose Agbayewa.
Je l’ai fait tout naturellement, car la qualité était bien
, dit cette dernière.
Son sens de la communication et son sens des affaires étaient ses forces
, reconnaît Titi Tijani, qui rejoint aussi la clientèle de Lola à cette époque.
Lola Omoniyi augmente progressivement son offre de produits et de services. Le bouche-à-oreille aidant, Lola's Beauty devient incontournable, et le sous-sol est désormais un frein à sa croissance.
L’entrepreneure déménage dans un local d’un peu plus de 370 mètres carrés loué dans l’ouest du centre-ville de Winnipeg. Lola Omoniyi va se perfectionner aux États-Unis et crée des partenariats de ce côté de la frontière, où l’industrie spécialisée dans la beauté des Noirs est déjà mieux établie.
Mme Omoniyi met également un accent sur la promotion de services capillaires pour les personnes blanches et ajoute les hommes à sa liste de clients. Elle se lance dans l’importation des produits de beauté venus d'Afrique, d'Europe et d’Asie.
Ancrage communautaire
L’expansion de l’entreprise fait également du salon une ambassade pour les personnes noires de la province
.
C’était notre point de repère, on y rencontrait des personnes qui vivaient les mêmes problèmes de racisme et, mutuellement, on se conseillait. On venait aussi chez Lola pour savoir ce qui se passait dans la communauté comme activités, célébrations, etc.
, se souvient Bose Agbayewa.
Celle-ci rappelle que, dans les années 1990, il n’y avait pas beaucoup d’organismes d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants.
Quand les personnes noires des Antilles, des Caraïbes ou d’Afrique arrivaient au Manitoba, on les amenait chez Lola
, relate la présidente d’ACOMI, dont l’organisme n’existait pas encore.
La gloire et les prix
La notoriété de Lola Omoniyi est consacrée lorsque l’entrepreneure devient représentante de certaines marques internationales et doit assurer les livraisons partout au Canada. À ce moment, M. Omoniyi quitte définitivement son emploi d’ingénieur pour intégrer l’entreprise de sa femme à titre de directeur des ventes.
Le couple découvre le marché des extensions capillaires et des perruques, puis entame leur commercialisation au Manitoba. Il noue des partenariats avec la province et différentes écoles pour la formation d'étudiants en soins des cheveux frisés.
Mme Omoniyi achète alors son propre bâtiment sur l’avenue Portage. La femme d’affaires reçoit de nombreux prix, notamment le Women Business Award et le Manitoba Black Business Award.
La valeur de l’entreprise est estimée aujourd’hui à plus de 3 millions de dollars. Lola Omoniyi a des clients partout au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde grâce au commerce en ligne.
De nouvelles clientes, comme Kadidia Marega, se disent ravies de toujours bénéficier des services de l’entreprise. Aujourd’hui encore, il n’est toujours pas facile de trouver des centres de beauté pour les cheveux comme les miens
, dit-elle.
La mère de famille, qui a deux filles et qui vit à Transcona, explique qu’avant la découverte du salon Lola’s Beauty Gallery & Supplies elle a connu des situations peu réjouissantes.
J’ai essayé ailleurs, mais ça n’a pas marché. Les produits qu’on me proposait n’étaient pas indiqués pour mon type de cheveux
, déplore-t-elle.
L’avenir entre les mains des jeunes
Le couple Omoniyi insiste sur la formation de la relève et encourage les jeunes à choisir l’entrepreneuriat, car le marché n’est pas toujours entièrement couvert.
Notre fille travaille avec nous depuis quelques années. Nous disons également à nos employés, et tous les apprenants qui passent par ici d’oser
, dit Mme Omoniyi.
Ma femme aura bientôt 66 ans, et on pense déjà à la retraite, mais il faut que ça continue. Cette aventure n’est qu’a mi-chemin
, ajoute M. Omoniyi.
De son côté, l’Association des communautés africaines du Manitoba dit également travailler dans ce sens. Avec les partenaires, nous voulons une communauté noire vibrante, et cela passe par l’entrepreneuriat
, dit Titi Tijani.