Des médecins de la région d'Edmundston lancent un SOS

Trois des médecins de la zone 4 qui ont pris part au point de presse du mercredi 27 janvier : le Dr Gaëtan Gibbs (à gauche), la Dr Claude Richard (au centre) et le Dr Vincent Moreau (à droite).
Photo : Radio-Canada
Des médecins du nord-ouest du Nouveau-Brunswick sonnent l'alarme face à la flambée de cas de COVID-19 dans la zone 4.
Six d'entre eux ont pris la parole à tour de rôle dans un point de presse mercredi matin afin d'exhorter la population à respecter les règles sanitaires en place.
Une situation comparable aux grands centres urbains
Par tranche de 100 000 habitants, la zone 4 compte autant d'infections que la ville de Montréal. Des dizaines de nouveaux cas y ont été signalés presque chaque jour depuis les Fêtes.
Le Dr Paul Cloutier, chirurgien à l’Hôpital régional d’Edmundston, supplie la population de prendre la situation au sérieux et de respecter les mesures de santé publique.
Nous n’avons plus le contrôle […] Nous avons l’impression d’être à Montréal ou à Toronto.
On dirait que chaque jour c’est de plus en plus difficile, et nous ne pouvons pas trouver de solution. Le virus est très dur pour nous
, dit-il.
Paul Cloutier demande même au gouvernement du Nouveau-Brunswick d'imposer un couvre-feu dans la zone 4, comme cela a été fait au Québec.
Les « petites tricheries » peuvent être graves
La plus grande inquiétude des médecins vient du non-respect des règles sanitaires.
Quand on dit 14 jours, ce n'est pas 5, ce n'est pas 10, c'est 14
, donne en exemple le Dr Gaëtan Gibbs. Chaque tricherie peut avoir des conséquences dans notre communauté, comme on le voit avec les fermetures d'écoles et d'entreprises.
Le Dr Jean-Philippe Lepage, interniste à l’unité des soins intensifs à l'Hôpital régional d'Edmundston, comprend la population d'être à fleur de peau, mais explique que chaque écart peut avoir des conséquences importantes.
Je ne sais pas si c’est un manque de croyance ou si les gens justifient les petites tricheries. On est tous tannés d'être en isolement, de ne pas pouvoir voir nos proches et j’ai l’impression que les gens se permettent des écarts pour leur bien personnel
, indique-t-il.
Il faut comprendre que ces petits écarts dans la situation actuelle peuvent avoir de grandes conséquences.
Il confie avoir traité des patients ayant des symptômes graves de la COVID-19 à l'hôpital.
Ça ne pardonne pas. Il y a des gens en bonne santé qui ont attrapé cette infection-là et qui ont dû se battre pour leur vie
, témoigne-t-il.
Craintes de débordements
Le Dr Lepage insiste sur l'urgence de la situation.
On veut que les gens comprennent l’importance des mesures actuelles. On vit beaucoup de stress à l'hôpital, on continue de voir les cas monter progressivement et ça nous inquiète. Il faut prendre le contrôle rapidement parce qu’on a des ressources qui sont limitées
, affirme-t-il.
Sept personnes sont hospitalisées mercredi à l'échelle de la province. Or, plusieurs cas de COVID-19 sont aux premiers stades de la maladie et donc toujours susceptibles de développer des complications dans les jours à venir, entre autres en raison de leur âge.
Notre cri du cœur ne vient pas du nombre d'hospitalisations
, précise Jean-Philippe Lepage. Notre cri du cœur vient du fait que c’est une possibilité sérieuse d’un point de vue statistique que dans les prochaines semaines, nos services soient dépassés.
Il faut comprendre que les cas enregistrés dans la dernière semaine ne sont pas tombés dans leur pic de maladie.
En cas de débordement, l’hôpital régional le plus proche se situe à Fredericton, à trois heures de route.
Pénurie de main-d'œuvre
Une pénurie de main-d’œuvre qui sévissait avant la COVID-19 rend la situation encore plus difficile. Cette pénurie est aggravée par les mises en isolement préventives du personnel soignant, mais aussi par la fermeture des frontières.
En médecine familiale, on a souvent recours à des médecins remplaçants, des locums
, explique la Dre Kim Pettigrew, médecin de famille à l'Hôpital régional d'Edmundston. Et vu qu’on est une région francophone, souvent nos médecins viennent du Québec.
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Selon les dernières données de la santé publique, une vingtaine de travailleurs de la zone 4 sont actuellement en isolement après avoir été exposés à la COVID-19.
Malgré nos protections et notre prudence, il y a quand même des situations qui se produisent qui font en sorte que les gens sont exposés
, regrette le Dr Lepage.
Selon lui, ces situations surviennent quand des collègues de travail ou des patients sont porteurs du virus sans le savoir.
Pour ne pas exposer le personnel soignant à de tels risques, le Dr Moreau demande aux gens d'éviter de se rendre aux urgences s'ils ont des symptômes légers de la COVID-19.
Si les symptômes sont légers, la première chose n’est pas d’aller à l’urgence, car il n’y a pas de traitement qui guérit la COVID
, dit-il.
Il est préférable d'appeler à Télé-Soins (811) pour prendre rendez-vous pour un test de dépistage. Il ajoute tout de même qu'il ne faut pas hésiter à aller à l'urgence en cas de problèmes de santé importants.
Effets collatéraux sur les autres malades
La situation est aussi critique en raison des effets collatéraux de la pandémie sur les autres patients, souligne la Dre Kim Pettigrew.
Selon la médecin, la montée des cas de COVID-19 affecte toute la chaîne de soins
. Elle donne en exemple le Manoir Belle Vue à Edmundston, où une équipe de gestion des éclosions a dû être mobilisée.
Une éclosion dans un foyer de soins, c’est une catastrophe. On sait que les résidents sont vulnérables et que leur condition peut changer très rapidement
, dit-elle.
Pour éviter la propagation du virus, les travailleurs de la santé ont construit un petit hôpital à l’intérieur du foyer de soins
, expose la médecin. Or, ce type de prise en charge nécessite des ressources additionnelles.
Il faut comprendre que si l’infirmière extra-murale s’occupe des résidents au foyer, elle ne peut pas faire son travail habituel, aller sur la route faire des prises de sang, des changements de pansements, des suivis de plaies.
Isolement et signes de détresse
La Dre Kim Pettigrew rappelle que partout au Nouveau-Brunswick, des personnes à l'hôpital se retrouvent encore plus isolées depuis que les restrictions de visite ont été durcies.
Ce n'est pas rare qu'on voie des gens aux soins palliatifs faire des adieux virtuellement sur une tablette. Et ce n'est pas à Montréal ou à Québec que ça se passe, c'est ici.
Dans les foyers de soins, on a même pu observer un syndrome de glissement
chez certains résidents isolés des leurs depuis le mois de mars.
Ce sont des gens qui vont cesser de prendre leur médication, manger de moins en moins et s’affaiblir. On pense que c’est possiblement relié à l’ennui
, relate Kim Pettigrew.
L'importance d'un message en français
Les résidents de la zone 4, qui s'étend sur plus de 100 km, de Saint-Jean-Baptiste-de-Restigouche à Grand-Sault – comme le rappelle la Dre Claude Richard –, sont majoritairement francophones.
Nous devions prendre la parole pour que les gens voient des visages familiers de Grand-Sault, Saint-Quentin, Edmundston
, explique le Dr Paul Cloutier.
Mon rôle de médecin, c'est aussi prévenir, éduquer, clarifier
, ajoute le Dr Gaëtan Gibbs, qui estime que certaines parties du message de santé publique ne passent pas tout à fait
.
Le médecin a notamment tablé sur l'importance d'être honnête lors des appels de traçage, de ne pas hésiter à se faire tester et de rester vigilant après avoir reçu un résultat de test de dépistage négatif.