•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

COVID-19 : et si on recrutait des bénévoles pour faire passer des tests rapides?

Afin de circonscrire la propagation du virus, les tests rapides doivent faire partie de la stratégie de dépistage, disent les experts. L’expérience de la Nouvelle-Écosse pourrait être une source d'inspiration pour le Québec, qui manque de ressources pour mener les tests.

Un homme manipule un échantillon.

Tests rapides de dépistage de la COVID-19 le 25 novembre 2020 sur le campus de l'Université Dalhousie, à Halifax en Nouvelle-Écosse.

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Trois mois après avoir reçu plus d’un million de tests rapides d’Ottawa, Québec commence à peine à les utiliser. Si la province estime qu’il faut que l’organisation de ces tests soit « très encadrée », la Nouvelle-Écosse a essayé une nouvelle approche : former des bénévoles sans expérience médicale pour trouver des cas insoupçonnés dans la communauté.

Plusieurs experts en santé, dont David Juncker, professeur et directeur du département de génie biomédical à l'Université McGill et titulaire de la chaire de recherche du Canada en bioingénierie, se demandent pourquoi les gouvernements provinciaux tardent à utiliser les tests rapides comme outil supplémentaire pour réduire la propagation du virus et faciliter la réouverture d'une partie de l’économie.

Selon l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), qui a récemment publié ses recommandations quant à l’utilisation des tests rapides, l’un des freins à une telle approche est le manque de ressources professionnelles.

L’institut a précisé qu’il est primordial que le personnel de la santé appelé à administrer ces tests soit spécifiquement formé pour faire des tests rapides.

Et pourtant, depuis quelques mois, la Nouvelle-Écosse fait des milliers de tests rapides dans des cliniques mobiles, et ce, grâce à des bénévoles formés en moins d’une heure. Ils ont ainsi découvert des personnes sans symptômes, mais qui avaient contracté le virus.

La Dre Lisa Barrett, la spécialiste des maladies infectieuses qui mène ce projet, dit s’inspirer de son expérience avec les tests rapides pour l’hépatite C. Son équipe souhaitait trouver une façon de tester davantage sans mettre de pression sur le système de santé. Elle a donc fait appel à la communauté, et l'expérience a été concluante.

Nous demandons aux gens d’apprendre une manœuvre simple pour prendre un échantillon, ce n’est pas sorcier. Il est possible de former des bénévoles s’ils sont motivés, dit-elle, en ajoutant que les bénévoles sont tout aussi fiables que les professionnels de la santé.

Nous avons eu des étudiants de 17 ans, des agents immobiliers et des bibliothécaires à la retraite qui ont appris comment faire des tests, et ils étaient tous très habiles, dit-elle, en ajoutant que ces bénévoles ont également aidé à disséminer de l’information à propos des mesures sanitaires.

L’une des premières cliniques de tests rapides a été faite à l’Université Dalhousie, à Halifax. Pour assurer un début d’année scolaire en sécurité, nous avons formé des étudiants pour tester des étudiants, directement dans les résidences étudiantes.

En six heures, ils avaient testé près de 1200 personnes, qui ont toutes reçu leur résultat par texto peu de temps après leur test.

D'autres cliniques ont également été ouvertes dans des bars, pour essayer de rejoindre les jeunes, qui sont moins enclins à se faire tester parce qu’ils croient être moins à risque.

Une femme porte son équipement de protection personnel.

La Dre Lisa Barrett a participé à l'organisation de l'une des cliniques mobiles dans un bar d'Halifax.

Photo : Michael Gorman / CBC

David Juncker, également conseiller scientifique pour l'initiative Tests Rapides Canada qui préconise une mise en œuvre à grande échelle de cette technologie, avoue qu’il a d’abord été un peu sceptique concernant le projet de la Nouvelle-Écosse. Il a depuis changé d’avis.

« Je pense que leur projet est vraiment pionnier et démontre qu’on se limite nous-mêmes dans nos solutions. Il y a un peu un côté paternaliste dans cette approche [de laisser au seul personnel médical l'administration des tests]. La Dre Barrett nous démontre qu’en fait, les gens sont capables de le faire. »

— Une citation de  David Juncker, Université McGill

Si on permet aux gens de conduire une voiture avec certaines balises, une opération complexe et potentiellement dangereuse, pourquoi ne pas le faire pour les tests rapides, demande-t-il?

Il déplore le fait que les gouvernements n’osent pas être plus créatifs dans leur approche. On ne voit pas toutes les occasions ratées.

Selon lui, le fait que le Québec soit en plein confinement avec un couvre-feu démontre que le système de dépistage et de traçage actuel a été un échec et est beaucoup trop lourd à gérer.

C’est pourquoi ce professeur espère que le Québec et les autres provinces s’inspireront de ce que fait la Nouvelle-Écosse. Je pense que c'est vraiment un modèle qui pourrait faire des émules ici et avoir un impact.

Un effort et une solidarité communautaires

Une femme arrive à une clinique de dépistage.

Une clinique de dépistage mobile à Halifax.

Photo : Rob Short / CBC

La Dre Barrett indique que de plus en plus de personnes ne veulent pas se faire tester par crainte d’être stigmatisées ou d’être punies pour avoir contrevenu aux règles sanitaires. En ayant des gens de la communauté qui font les tests, les gens se sentent plus à l’aise, affirme-t-elle.

C’est d’ailleurs pourquoi son équipe prévoit former des travailleurs de rue et même possiblement des itinérants pour tester les gens qui n’ont pas de domicile fixe.

Elle croit que ce genre d’initiative est également un excellent moyen de permettre au public de participer à cet effort de guerre collectif contre le virus.

« Les gens sentent qu’ils font leur part en se faisant tester et en aidant à faire des tests. Ils voient que leurs efforts ont un effet sur la pandémie »

— Une citation de  Dre Lisa Barrett, spécialiste des maladies infectieuses

De plus, dit-elle, le fait d’être testé à quelques reprises est un rappel que le virus est toujours présent et qu’une infection est vite arrivée.

Que privilégier : les tests PCR ou les tests rapides?

Une technicienne et des échantillons destinés à l'analyse.

Des tests rapides de dépistage de la COVID-19 le 24 novembre 2020 sur le campus de l'Université Dalhousie à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Photo : CBC / Robert Short

David Juncker et la Dre Barrett tiennent à préciser que les tests rapides ne remplaceront pas les tests PCR, mais qu'ils sont un outil supplémentaire pour freiner la propagation du virus en attendant la vaccination. Tous les types de tests ont des avantages, des inconvénients et des limites, rappellent-ils.

Pour la plupart des tests PCR et rapides, les échantillons sont le plus souvent prélevés par écouvillonnage de l'arrière du nez (écouvillonnage nasopharyngien). Pour certains tests autorisés au pays, d'autres méthodes de collecte (par exemple, prélèvement de gorge ou de salive) peuvent être utilisées, mais elles ne sont pas courantes.

En ce moment, les tests PCR sont utilisés à grande échelle. Ce test est très sensible et peut détecter le matériel génétique du virus même à de très faibles niveaux. Ce test est excellent pour établir un diagnostic de COVID-19.

Mais puisque les tests PCR peuvent détecter des charges virales très faibles, certaines personnes peuvent être déclarées positives, mais ne plus être contagieuses.

De plus, avec les tests PCR, notamment en raison du manque de ressources, on ne teste pas les personnes asymptomatiques ou présymptomatiques. Pourtant, nous savons qu’une grande partie de la transmission communautaire est causée par ces personnes, précise David Juncker. Si vous voulez identifier les gens qui sont infectieux, mais présymptomatiques, ce n'est pas un test précis pour cela, explique David Juncker.

Par ailleurs, les tests PCR sont chers et prennent plusieurs heures, voire plusieurs jours avant d’obtenir un résultat.

Il y a deux catégories de tests rapides approuvés par Santé Canada. L'une recherche le matériel génétique du nouveau coronavirus, comme l'analyse en laboratoire (comme pour les tests PCR). L'autre recherche des antigènes, soit des traces que le virus laisse à l'extérieur de la cellule.

Les tests rapides sont moins sensibles, mais peuvent très bien identifier les personnes hautement infectieuses grâce aux antigènes présents. Les experts qui plaident pour l’utilisation des tests rapides croient que ce type de dépistage permettrait de mieux détecter et d’isoler les superpropagateurs.

Au début quand vous êtes infecté, il y aura quelques virus dans votre corps. Puis ils vont commencer à se multiplier. Il y aura une phase de croissance exponentielle et à un moment, vous aurez tellement de virus que vous allez les expirer de façon massive. Et c'est ça qui va mener à des infections, explique David Juncker. Et une des raisons pourquoi le virus se transmet de façon si insidieuse, c'est que cette phase pendant laquelle vous avez une grande concentration du virus arrive avant même qu'on ait des symptômes.

Puisque les résultats sont obtenus en quelques minutes, il est facile d’isoler rapidement les personnes qui sont les plus contagieuses, brisant ainsi le cycle de transmission.

Toutefois, ces tests peuvent ne pas identifier certaines personnes qui seraient au début de l’infection (avec une faible charge virale).

C’est pourquoi les tests rapides sont conçus pour être utilisés fréquemment.

Imparfaits, mais pas inutiles

Dans son rapport sur les tests rapides, le gouvernement fédéral précise qu'ils pourraient ne pas diagnostiquer jusqu’à 30 % des personnes infectées (produire un résultat faux négatif), mais aussi engendrer un diagnostic en absence d’infection par le virus (faux positif), en particulier lorsque la prévalence de la maladie dans le groupe testé est faible. Toutefois, Ottawa estime que les tests rapides peuvent combler des lacunes dans les tests PCR.

Et c’est l’approche que préconise la Dre Barrett : utiliser un éventail d’outils qui sont tous en quelque sorte imparfaits, mais qui, utilisés ensemble, auront un plus grand impact.

« Je pense qu’il va falloir qu’on accepte que nous allons manquer quelques cas [avec les tests rapides]. Mais si nous pouvons attraper quelques cas "silencieux" de plus, c’est déjà un bénéfice. »

— Une citation de  Dre Lisa Barrett, spécialiste des maladies infectieuses

Chaque cas détecté rapidement est un cas de moins qui propage le virus dans la communauté, rappelle-t-elle. De plus, les personnes ciblées pour les tests rapides sont souvent des personnes qui ne peuvent pas ou qui hésitent à aller se faire dépister.

David Juncker abonde dans le même sens. Même si vous en ratez quelques-uns, les personnes autour d’eux vont se faire dépister rapidement. Vous allez rapidement détecter par le traçage les gens qui ont répandu la maladie. Même si vous en ratez quelques-uns, vous allez couper la croissance exponentielle.

Quant aux risques de faux positifs, David Juncker croit que la réponse est simple. Si une personne a des symptômes et qu'un test rapide confirme la présence du virus, il est clair que cette personne est infectée. S’il y a un doute, un test PCR peut le confirmer. Mais en attendant le résultat du deuxième test, cette personne, potentiellement contagieuse, est isolée.

M. Juncker est surpris de voir que le gouvernement est prêt à prendre un risque en ne donnant qu’une seule dose du vaccin, mais n’est pas prêt à prendre un risque avec les tests rapides.

Pourtant, il n’existe pas de données qui confirment qu'une seule dose de ce vaccin protège jusqu’à 90 jours.

C’est une espèce de déconnexion, estime-t-il. En donnant une seule dose, il y a potentiellement des conséquences directes sur la santé des personnes. Mais avec les tests de dépistage rapides, on est beaucoup plus frileux, même si les risques directs sont, à mon avis, nettement inférieurs.

Il compare cette réticence à l’utilisation des masques au printemps. Au début, il y avait un consensus dans l'Occident que les masques n'étaient pas utiles. Les masques sont imparfaits. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont imparfaits qu'on ne les utilise pas. Et comme avec les masques, les tests rapides sont peu dispendieux et peuvent être universellement utilisés, dit M. Juncker.

Un faux sentiment de sécurité?

L’une des raisons les plus fréquemment données pour ne pas utiliser à grande échelle les tests rapides est la crainte que ceux qui reçoivent un résultat négatif prendront plus de risques.

David Juncker rejette cette idée du revers de la main, en rappelant que ces mêmes craintes ont été évoquées à maintes reprises dans le passé, comme pour le port de la ceinture de sécurité ou les casques de vélo. Il y en a toujours qui vont dire que les gens seront moins responsables. Je crois que ces craintes ont toujours été exagérées.

Mais c’est pourquoi les bénévoles formés par l’équipe de la Dre Barrett ont le mandat de rappeler aux gens qu’un résultat négatif ne leur donne pas carte blanche pour faire n’importe quoi.

« Nous expliquons aux gens qu’ils sont : "négatifs pour les prochaines heures". [...] Ça ne doit pas changer leurs habitudes au quotidien de porter le masque, de respecter la distanciation physique, de se laver les mains. »

— Une citation de  Dre Lisa Barrett, spécialiste des maladies infectieuses

Aider au retour à la normale

Au cours des prochains mois, la Nouvelle-Écosse veut étendre son projet à d’autres sphères d’activités, comme les gymnases et les restaurants. Nous voulons faire des tests rapides dans le lieux où les gens sont à l’intérieur et doivent enlever leur masque, précise la Dre Barrett.

Elle croit aussi que ces tests pourront être utilisés pour tester de façon régulière les travailleurs de certaines industries ou les résidents des centres de soins de longue durée.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l'École de santé publique de l'Université de Montréal, est d'accord.

Pourquoi ne pas utiliser des tests rapides dans certaines industries pour ne pas avoir à fermer le milieu de travail au complet pour un cas? Pourquoi ne pas permettre aux gens d'être dépistés avant de s'attabler à un restaurant, comme le proposent certains restaurateurs à New York?

Selon David Juncker, les tests rapides aideront à retourner à une pseudo-normale en attendant la vaccination. Il demande au gouvernement de bien préparer son plan de déconfinement et que les tests rapides doivent en faire partie.

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...