Une meilleure surveillance génomique pour traquer les variants du coronavirus
Les chercheurs utilisent la génétique pour suivre les déplacements du virus et pour détecter les nouvelles éclosions ainsi que l’apparition de nouveaux variants.

Pour identifier les variants, les laboratoires doivent créer une séquence génomique complète.
Photo : Radio-Canada / Ben Nelms
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En décembre dernier, les yeux se sont tournés vers le Royaume-Uni à la suite de l’apparition d’une version mutante du virus SRAS-CoV-2. Un variant qui, selon les observations initiales, semblait se propager plus facilement d’une personne à une autre.
Depuis cette découverte, ce variant s'est propagé dans plus de 60 pays. Selon le Centre de prévention et contrôle des maladies américain, le CDC, il pourrait même devenir la version dominante du virus aux États-Unis d’ici la fin du mois de mars.
Le variant britannique n’est pas le seul qui existe : plusieurs autres ont récemment été détectés dans le monde, les plus inquiétants ayant été repérés en Afrique du Sud et au Brésil.
Les craintes suscitées par ces variants sont multiples. Outre leur capacité à se propager plus efficacement (le virus britannique serait par exemple 50 % plus transmissible que les formes les plus communes), les chercheurs se demandent s'ils n'entraîneront pas des symptômes plus graves ou s'ils pourraient échapper au système immunitaire, augmentant le risque de réinfection et menaçant de réduire l’efficacité des vaccins.
Bien qu'aucune étude ne suggère que nous soyons pour l'instant en présence d'un variant plus mortel ou résistant aux vaccins, rien n’indique que nous serons encore longtemps à l'abri de cette possibilité.
Des chercheurs sont donc dans une course contre la montre pour comprendre et traquer ces mystérieux adversaires.
D’où viennent les variants?
Les virus ne sont pas statiques : ils changent lorsqu’ils se propagent dans la population.
Lorsqu’on est infecté et que le virus prend les commandes de nos cellules pour se multiplier, il arrive qu'il fasse des erreurs en copiant le matériel génétique de ces dernières. C’est ce qu’on appelle des mutations. La plupart n’ont aucun effet; d’autres peuvent même nuire au virus.
Certaines peuvent toutefois lui donner des avantages, comme lui permettre de mieux survivre ou encore de se propager plus rapidement. Ces mutations avantageuses pour le virus ont tendance à s’accumuler d’une génération à l’autre. On nomme variants les virus porteurs d’un même ensemble de mutations.
Bien que ces mutations ne soient pas aussi fréquentes pour le SRAS-CoV-2 qu’elles le sont pour le virus de l’influenza, elles restent courantes. Il existe aujourd’hui des milliers de variants du virus SRAS-CoV-2 dans le monde, et chacun comporte des mutations très différentes.
Le virus mute une fois tous les 10 jours environ
, explique Sandrine Moreira, responsable de la coordination génomique et de la bio-informatique au Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ).
On estime qu’il y a entre 20 et 25 mutations qui séparent les virus présentement en circulation de la souche d’origine qu’on a identifiée en janvier 2020.
Les mutations ne sont pas toutes égales. Tout dépend de la partie du virus qui sera affectée. L’une des régions où les chercheurs espèrent voir le moins de mutations possible implique une protéine nommée spicule.
Cette protéine forme la couronne de pics qui constellent la surface du virus SRAS-CoV-2. C’est elle qui permet au virus de pénétrer à l’intérieur de nos cellules pour en prendre les commandes. Plus important encore, elle est la cible que reconnaît notre système immunitaire lorsqu’il attaque le virus, en plus d’être l’élément sur lequel se concentrent les vaccins.
Malheureusement, c’est exactement la région où on trouve des mutations chez les variants britannique, sud-africain et brésilien.
Jouer avec le hasard
Comment trois variants provenant de trois continents différents se sont soudainement retrouvés avec des mutations aussi similaires? C’est d’abord une question de probabilités. Chaque nouveau cas d’infection donne une nouvelle chance au virus de commettre une erreur potentiellement avantageuse pour lui.
Un nombre élevé de personnes infectées augmente les probabilités que la même mutation apparaisse plusieurs fois, à des moments et en des endroits différents
, explique Sandrine Moreira.
C’est comme si le virus faisait des essais.
Mais il faut plus que de la chance et des répétitions pour qu’un variant commence à parcourir le monde. Même si un virus développe une mutation gagnante, cela ne veut pas dire qu’elle va se propager
, poursuit Mme Moreira.
Si un variant apparaît chez une personne asymptomatique qui se déplace sans respecter les consignes sanitaires, il aura plusieurs occasions de se propager, explique-t-elle. Mais s’il apparaît chez quelqu’un qui ne voit personne et reste à la maison, il va arrêter son parcours à la ligne de départ.
Il arrive par contre que les étoiles s’alignent pour le virus et qu’il se retrouve devant une occasion unique. Selon Sandrine Moreira, c’est ce qui pourrait être arrivé, entre autres, avec le variant britannique.
Pour ce variant, les chercheurs ont vu que le nombre de mutations était beaucoup plus élevé que ce à quoi on aurait dû s’attendre, plus que s’il avait continué de muter une fois tous les 10 jours
, remarque-t-elle.
Bien que les scientifiques n’aient pas encore de réponse claire à cette énigme, une hypothèse serait que ce variant se soit développé chez une personne dont le système immunitaire était affaibli.
Une personne immunosupprimée en milieu hospitalier serait une cible idéale pour le virus. La réponse immunitaire plus faible permet au virus de se multiplier sans contrôle. Ça lui offre beaucoup plus d’occasions pour muter.
Ce type de contexte pourrait faciliter l’apparition de différents variants capables d’infecter une cellule plus rapidement ou même de se cacher du système immunitaire.
Et avec les dizaines de millions de personnes présentement atteintes de la COVID-19 dans le monde, le risque que de telles occasions se présentent est beaucoup plus grand qu’avec un virus contrôlé.
Suivre les variants à la trace
Depuis le début de la pandémie, les chercheurs du monde entier utilisent la génétique comme outil pour suivre les déplacements du virus, faciliter la détection de nouvelles éclosions et retracer leur origine.
Mais au cours de la dernière année, ce réseau de surveillance génomique, dont le rôle est d’analyser, ou de séquencer, le matériel génétique du virus SRAS-CoV-2, est devenu un outil essentiel dans le suivi de nouveaux variants.
Au LSPQ, on séquence le génome viral d’environ 5 % des échantillons positifs dans la province, explique Sandrine Moreira. Mais pour réussir à talonner les nouveaux variants, on va augmenter ce séquençage à 10 % du nombre de cas. Ce sera aléatoire, convient-elle, mais on va aussi se concentrer sur le retour de voyageurs, ou même sur des personnes vaccinées qui tomberaient quand même malades. C’est dans ces cas-là qu’on risque de détecter de nouveaux variants préoccupants.
À l'échelle internationale, plusieurs experts recommandent aussi une hausse importante du séquençage génomique afin de suivre l’évolution du virus.
Selon Sandrine Moreira, certains pays sont particulièrement en avance dans ce domaine.
Ce qui se passe au Royaume-Uni est très impressionnant : [les chercheurs] ont séquencé plus de 7 % de leurs deux millions de cas. Ailleurs dans le monde, beaucoup de travail a aussi été fait. Par exemple, la banque de données GISAID contient 394 000 échantillons de virus séquencés, en provenance de 140 pays. Ces séquences sont publiques et contribuent énormément à la recherche.
Cette meilleure détection peut aussi aider les décideurs publics à choisir les mesures à prendre, simplement en prévenant la propagation d’un nouveau variant sur le territoire.
Même les variants les plus agressifs sont sensibles aux mesures de distanciation. La porte de sortie, c’est le vaccin. En attendant, si les variants ne sont plus en mesure de se propager, ils ne seront plus une menace
, conclut Sandrine Moreira.