Le président Biden enfile ses bottes et se met au travail
Marquée par une quinzaine de décrets adoptés par le nouveau président, la journée a aussi concrétisé une autre victoire des démocrates : l'assermentation de deux sénateurs de la Georgie leur a permis de reprendre le contrôle du Sénat.

Le président américain prend la parole lors de la célébration virtuelle de son assermentation.
Photo : Getty Images / AFP / JOSHUA ROBERTS
- Sophie-Hélène Lebeuf
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après quatre ans d’une présidence Trump mouvementée, les États-Unis ont désormais un nouveau dirigeant : Joe Biden, qui a appelé à l'unité, mercredi, en ayant à ses côtés une vice-présidente qui a écrit l'histoire.
À la tête d'un pays plus polarisé que jamais, Joseph Robinette Biden fils est officiellement devenu le 46e président des États-Unis peu avant midi, au cours d'une cérémonie marquant un changement de ton avec celui de son prédécesseur, mais incarnant aussi une vision différente des États-Unis.
Deux semaines après l'assaut meurtrier du Capitole à Washington, Joe Biden, qui a fait campagne sur le thème de l'unité, a renouvelé son plaidoyer lors de sa cérémonie d’investiture. Son discours était ponctué de mots comme respect
, tolérance
, écoute
, espoir
et guérison
.

Le reportage de notre correspondant Jean-François Bélanger
Photo : Getty Images / Alex Wong
Se présentant en rassembleur, Joe Biden a promis de ne pas avoir en tête le pouvoir, mais les possibilités
, et de ne pas agir par intérêt personnel, mais pour le bien public
.
Je serai un président pour tous les Américains. Je travaillerai aussi fort pour ceux qui ne m'ont pas soutenu que pour ceux qui l'ont fait.
Évoquant une guerre incivile
, il a encouragé les Américains à ne pas voir ceux qui ne pensent pas comme eux comme des adversaires
. Ensemble, nous écrirons une histoire américaine d'espoir et non de peur; d'unité et non de division
, a-t-il poursuivi, tendant la main pour un nouveau départ
.
Il a aussi cité Abraham Lincoln, qui avait dit mettre toute son âme
dans la Proclamation de l'émancipation, consacrant l'abolition de l'esclavage aux États-Unis.
En cette journée, toute mon âme est dans ceci : rassembler l'Amérique, unir notre peuple, unir notre nation. Et je demande à chaque Américain de se joindre à moi pour cette cause.
L'assermentation de celle qu'il a choisie comme numéro deux a fait la démonstration symbolique de la nouvelle direction qu'il entend donner au pays : la désormais ex-sénatrice de la Californie Kamala Harris est devenue la première femme, la première Noire et la première personne aux origines asiatiques à assumer la vice-présidence américaine.

Le reportage de Sophie Langlois
Photo : Getty Images / Alex Wong
Engagement envers la Constitution
Après un président qui a défié les principes et les normes démocratiques, contestant même la validité de l'élection présidentielle, Joe Biden a insisté dans son discours sur le respect de la Constitution.
Cette journée marque le triomphe non pas d'un candidat, mais celui d'une cause : la cause de la démocratie
, a-t-il soutenu dès ses premiers mots.
La démocratie est fragile. Mes amis, la démocratie a prévalu.
Ce thème a aussi conclu son tout premier discours présidentiel : Je vous donne ma parole : je serai toujours franc avec vous. Je défendrai la Constitution. Je défendrai notre démocratie. Je défendrai l'Amérique.
L'ampleur des défis qui attendent le nouveau dirigeant américain est titanesque. Joe Biden entre en fonction à une période trouble de l'histoire américaine, comme il l'a lui-même souligné.
Nous subissons une attaque contre notre démocratie et contre la vérité, à un virus qui fait rage, à des inégalités croissantes, à la montée du racisme systémique, à un climat en crise, au rôle de l'Amérique dans le monde.
Il a notamment souligné la montée de l'extrémisme politique, du suprémacisme blanc, du terrorisme intérieur
, que nous vaincrons
, a-t-il promis. Son prédécesseur refusait au contraire de reconnaître la menace.
Alors que Donald Trump insultait ses adversaires, multipliait les mensonges et dénonçait les fausses nouvelles
, Joe Biden a plutôt déploré la partisanerie et la culture dans laquelle les faits sont manipulés
.
La politique n'a pas besoin d'être un feu furieux, détruisant tout sur son passage.
Symbole de la partisanerie et de la polarisation qui ont marqué les dernières années, la cérémonie d'investiture de Joe Biden s'est déroulée en l'absence de son prédécesseur, qui a laissé derrière lui la capitale américaine en matinée.
C'est la première fois depuis Andrew Johnson, en 1869, qu’un président sortant manquait l'assermentation de son successeur. Ironiquement, ce dernier avait lui aussi été mis en accusation par la Chambre des représentants.
L'ex-vice-président Mike Pence a pour sa part respecté la tradition. Trois des cinq anciens locataires de la Maison-Blanche, soit les démocrates Bill Clinton et Barack Obama, ainsi que le républicain George W. Bush, étaient eux aussi présents. Jimmy Carter, 96 ans, était absent pour des raisons de santé.

Les anciens président Barack Obama, George W. Bush et Bill Clinton étaient tous présents à la cérémonie d'assermentation du 46e président des États-Unis, Joe Biden.
Photo : Reuters / TOM BRENNER
À 78 ans, Joe Biden est devenu le président américain le plus âgé à être assermenté. Il est plus vieux que l'était le républicain Ronald Reagan au dernier jour de sa présidence. Ce dernier était alors plus jeune de quelques semaines.
Il est par ailleurs le deuxième président de religion catholique, le premier ayant été le démocrate John F. Kennedy.
Tant la pandémie que les menaces sécuritaires ont laissé leur empreinte sur la cérémonie, qui se distinguait de celle des prédécesseurs de Joe Biden.
Au lieu des foules habituelles, Joe Biden faisait face à plus de 190 000 drapeaux représentant ce public absent.

Plus de 190 000 drapeaux décorent le National Mall et le Capitole pour l’assermentation du président démocrate Joe Biden.
Photo : Getty Images / ROBERTO SCHMIDT
La cérémonie d’investiture s'est en outre déroulée, sans incident, sous haute sécurité, dans la foulée de l'assaut du Capitole, il y a deux semaines.
Avec 25 000 membres de la Garde nationale et un important dispositif policier, la capitale fédérale revêt des airs de ville fortifiée. Fait notable : il y avait davantage de militaires qui y sont mobilisés qu’en Irak et en Afghanistan réunis.

Les membres de la Garde nationale et les policiers à Washington se sont préparés à faire face à de possibles débordements.
Photo : Getty Images / David Ryder
La cérémonie a cependant été agrémentée de prestations musicales, comme celles de Lady Gaga, qui a interprété l'hymne national américain, et de Jennifer Lopez, qui a chanté la chanson patriotique America the Beautiful.

Lady Gaga chante l'hymne national lors de la cérémonie de prestation de serment du président des États-Unis.
Photo : Getty Images / Rob Carr
En soirée, d'autres grands noms de la musique américaine, comme Bruce Springsteen, Demi Lovato, John Legend et Katy Perry, ont participé à un spectacle animé par Tom Hanks qui s'est conclu sur de grandioses feux d'artifice.
Feux d’artifices au-dessus de Washington marquant la fin de la journée d’assermentation. pic.twitter.com/SMYeAA1C5F
— Raphaël Bouvier-Auclair (@RaphaelBouvierA) January 21, 2021
Au cours du spectacle diffusé en soirée, les trois présidents présents à la cérémonie ont pour leur part parlé de l'importance de la transition pacifique du pouvoir.
En après-midi, Joe Biden est allé se recueillir sur la tombe du soldat inconnu au cimetière d’Arlington, accompagné de ses prédécesseurs et de Kamala Harris.
La journée du tandem démocrate s'était amorcée à l'église, notamment en compagnie de leaders du Congrès des deux partis.
Retour dans l'Accord de Paris, décret sur la COVID-19

Le président Joe Biden a procédé à la signature d'une série de décrets au bureau ovale à son arrivée à la Maison-Blanche.
Photo : Associated Press / Evan Vucci
Peu après son arrivée à la Maison-Blanche, le président Biden a signé 17 décrets et proclamations, couvrant des enjeux allant de l'immigration aux changements climatiques en passant par la justice raciale et l'intégrité gouvernementale.
Pour la première fois dans le bureau ovale comme président, il a signé les trois premiers sous l'œil des journalistes.
Signe de l'importance qu'il entend accorder à la gestion de la pandémie, qui a fait plus de 400 000 morts, le premier décret signé rend obligatoire le port du masque dans les bâtiments fédéraux et pour les agents fédéraux.
En contraste tant dans la forme que dans le fond avec son prédécesseur, Joe Biden portait d'ailleurs un masque.
Plusieurs des décrets effacent certaines des mesures phares de Donald Trump, qui avait rayé d'un coup de crayon une bonne partie de l'héritage de son prédécesseur, Barack Obama.
L'un engage par exemple le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris sur le climat; un autre met un terme au retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Un autre encore révoque l’autorisation du projet d'oléoduc Keystone XL entre les États-Unis et le Canada, qui a exprimé sa déception.
En soirée, au cours de son premier point de presse, la nouvelle porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a d'ailleurs indiqué que ce sujet serait à l'ordre du jour lors d'un appel entre Joe Biden et le premier ministre canadien, Justin Trudeau, vendredi. Ce sera son premier appel avec un dirigeant étranger, a-t-elle précisé.
Par ailleurs, d'autres décrets suspendent les travaux de construction d'un mur à la frontière avec le Mexique et son financement grâce au budget du Pentagone.
Joe Biden a en outre exigé des personnes de son administration qu'elles signent un engagement éthique dans le but de rétablir et de maintenir la confiance dans le gouvernement
.

Jen Psaki, la nouvelle porte-parole de la Maison-Blanche, lors de son premier point de presse
Photo : Reuters / TOM BRENNER
Le ton et la nature des informations données lors du premier point de presse de Jen Psaki contrastaient avec ceux de ses prédécesseurs de l'administration Trump, qui ont souvent été à couteaux tirés avec la presse et lui ont même menti.
Nous avons parlé de [l'importance] de ramener la vérité et la transparence dans la salle de presse.
Elle a en outre annoncé la tenue de conférences de presse constantes consacrées à la COVID-19 avec des experts gouvernementaux de la santé. Elle a par ailleurs indiqué que le Dr Anthony Fauci, l'épidémiologiste en chef de la Maison-Blanche, mènera la délégation américaine à la rencontre de l'OMS plus tard cette semaine.
Une première nomination confirmée

Avril Haines a été la première femme à assumer le rôle de conseillère adjointe à la sécurité nationale et aussi la première comme directrice adjointe de la CIA.
Photo : Reuters / JOSHUA ROBERTS
Le nouveau président doit composer avec le fait qu'une seule des membres de son Cabinet nécessitant l'aval du Sénat a été confirmée.
Il n'y en avait aucune jusqu'en soirée, mais le Sénat a appuyé, de façon très largement bipartisane, à 84 voix contre 10, la nomination d'Avril Haines comme directrice du Renseignement national (DNI). Mme Haines sera la première femme à la tête du DNI.
Les audiences sur sa nomination et celle de quatre de ses collègues potentiels avaient commencé mardi.
À son entrée en fonction, Barack Obama comptait dans son Cabinet six membres dont la nomination avait été confirmée, et Donald Trump, deux.
Le délai actuel s'explique notamment par le refus des républicains, qui contrôlaient le Sénat, de reconnaître plus tôt la victoire de Joe Biden, ce qui a retardé le processus.
Seuls 2 des 25 membres du Cabinet de Joe Biden n'ont pas besoin du feu vert du Sénat : son chef de cabinet, Ron Klain, et Kamala Harris, qui ont tous les deux été assermentés.
Les démocrates reprennent le contrôle du Sénat

Les sénateurs Raphael Warnock (gauche), Jon Ossoff (centre) et Alex Padilla (droite) lèvent la main lors de leur prestation de serment devant la vice-présidente Kamala Harris.
Photo : Reuters
L'un des premiers gestes de Kamala Harris après son investiture a été de procéder à l'assermentation de trois nouveaux sénateurs : Raphael Warnock et Jon Ossoff, qui ont remporté les élections sénatoriales de la Georgie du 5 janvier, et Alex Padilla, nommé pour succéder à l'ex-sénatrice de la Californie.
Avec l'entrée en poste de Raphael Warnock et de Jon Ossoff, les démocrates ont ainsi repris le contrôle du Sénat.
L'assaut du Capitole avait éclipsé leur élection pourtant historique : ils sont respectivement le premier Noir et le premier juif à y représenter la Georgie. Alex Padilla est pour sa part devenu le premier sénateur hispanophone de la Californie.
Les démocrates et les républicains ont 50 sièges chacun, mais Kamala Harris, en tant que présidente du Sénat, disposera du vote prépondérant en cas d'égalité des voix.
Chuck Schumer devient ainsi le leader de la majorité démocrate du Sénat, tandis que Mitch McConnell est désormais le leader de la minorité républicaine.
- Sophie-Hélène Lebeuf