Les Ontariens évitent les urgences par peur de contracter la COVID-19

Des experts en santé de la région du Grand Toronto s'inquiètent depuis qu'ils remarquent que les patients évitent les urgences, ce qui a souvent des conséquences graves.
Photo : Radio-Canada
Un nombre grandissant de médecins et d’urgentologues en Ontario affirment que de nombreux patients ne se présentent plus aux urgences dans des délais raisonnables, et que cela a des conséquences graves, voire fatales.
Je n'ai jamais vu ça dans ma carrière médicale
, souligne le Dr Scott Kapoor, un urgentologue de la région du Grand Toronto.
Je viens de voir un patient qui s'est présenté à l'hôpital trop tard dans sa maladie, de sorte qu'il est décédé d'un arrêt cardiaque quelques jours plus tard
, indique-t-il.
J'ai vu au moins trois cas de quelqu'un qui est tombé et qui a subi une fracture, et qui s'est présenté à l'hôpital deux à trois semaines plus tard.
Tandis que les unités de soins intensifs de l’Ontario regorgent de patients atteints de la COVID-19, le soir, il y a parfois si peu de patients aux urgences que des médecins attendent en se tournant les pouces
, déplore-t-il.
Pour l’urgentologue, il n’y a aucun doute que cette tendance est due à la peur de la COVID-19. Par exemple, dans un cas, une patiente qui avait fracturé son bras deux semaines plus tôt s’est présentée aux urgences vêtue d’une combinaison Tyvek avec des lunettes de protection.
Selon le Dr Kapoor, qui est aussi médecin du travail pour certaines entreprises, un certain nombre de personnes qui ont des maux de cœur ou des blessures à la tête refusent d'aller à l'hôpital
par crainte d’être infectées par la COVID-19.
Évitant les grandes villes, ils choisiront d'aller à l'hôpital dans une région éloignée. Ils prendront la voiture et parcourront de grandes distances pour se rendre dans une ville plus petite
, indique-t-il.
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Les conséquences des délais sont graves
Selon la Dre Samantha Hill, présidente de l’Association médicale de l’Ontario (AMO), ce genre d’aversion effrite les soins préventifs que peuvent offrir les systèmes de santé.
Quand les consultations se font trop tard, constate la chirurgienne cardiaque, lorsqu’on opère, ce sont des patients beaucoup plus malades, qui ont déjà souffert des problèmes de muscles. Moins de muscles qui fonctionnent, ça les rend beaucoup plus à risque d’avoir des complications pendant la chirurgie et après la chirurgie
.
La présidente de l’AMOs’il y a un problème, cherchez de l'aide
.
Selon le Dr Kapoor, la télémédecine n’est pas toujours une solution pour ceux qui souhaitent éviter les hôpitaux.
Il donne l’exemple d’un patient qu’il a vu dernièrement et qui subissait des douleurs à la jambe. Le jeune garçon faisait de la fièvre. Sa douleur ne disparaissait pas même avec des analgésiques. Une nouvelle série de tests a révélé qu’il avait possiblement un cancer.
J'ai été stupéfait par ce cas et par la facilité avec laquelle j'aurais pu rater ce diagnostic
, souligne l’urgentologue.
Cet exemple démontre qu'il est très difficile de créer un algorithme pour savoir quand les gens devraient ou ne devraient pas se rendre aux urgences.
Une tendance déjà observée lors de la première vague
Partout au pays, les urgences se sont vidées de moitié durant les premiers mois de la pandémie, selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Lors de la première vague, l’Ontario a rapporté par moments 50 % moins de visites aux urgences qu’à l’habitude.
Depuis, les chiffres se sont stabilisés, mais ils restent bien en deçà des niveaux habituels.
Selon Tracy Johnson, directrice des analyses des systèmes de santé et des problèmes émergents de l’ICISles grippes, les rhumes, ou les douleurs abdominales
ont le plus chuté.
Mais comme elle le souligne, les douleurs abdominales peuvent être des symptômes de maladies graves, mais vous ne pouvez pas le savoir avant d’être vu par un médecin
.
Il faut se demander si certaines personnes qui se seraient présentées aux urgences, mais qui ne l'ont pas fait, sont passées à côté de maladies beaucoup plus graves qu’elles ne l’imaginaient.
Mme Johnson affirme toutefois que la baisse des visites aux urgences peut être partiellement attribuable à la prudence accrue des Ontariens, et à la fermeture des écoles et l’annulation de nombreux événements sportifs.
Cela peut aussi expliquer en partie la réduction des volumes de patients
, affirme-t-elle.
Les urgences sont-elles sécuritaires malgré les craintes?
On fait de notre mieux dans les salles d'urgence et dans les bureaux des médecins de famille pour s'assurer qu'il n'y a pas de transmission entre les patients
, souligne la Dre Samantha Hill.
De son côté, le Dr Scott Kapoor affirme que la peur des urgences est raisonnable, mais qu’elle est injustifiée.
Je peux comprendre un peu de peur quand vous regardez dans la salle d'attente, que vous êtes assis dans une pièce avec des gens malades, et que vous ne savez pas pourquoi ils sont là
, dit-il, avant de préciser que la transmission dans une salle d’attente est peu probable si les patients portent un masque
.
Dans mon hôpital, je peux vous dire que nous faisons tout pour éviter qu’il y ait des foules. Pas de visiteurs autorisés, et on impose la distanciation physique dans les salles d'attente.
Il ajoute que le nettoyage est démesuré. Les nettoyeurs vivent presque dans notre salle d'urgence, ils nettoient et désinfectent tout, constamment
.