Combattre l’insécurité alimentaire dans les quartiers racisés de Toronto

Des organismes communautaires de Toronto cherchent à répondre à l'insécurité alimentaire qu'ils constatent dans leur quartier et se demandent comment ils pourront poursuivre ces initiatives de façon permanente.
Photo : CBC/Evan Mitsui
Alors que la pandémie de COVID-19 entame son dixième mois au Canada, des Torontois s’organisent et se mobilisent pour trouver des solutions à long terme à l’insécurité alimentaire qui sévit dans la métropole.
Dans le quartier St. James Town, au centre-est de Toronto — un des quartiers les plus multiculturels et densément peuplés de la ville —, la Coopérative communautaire de St. James Town a lancé au mois de décembre un programme de distribution d'aliments adapté aux besoins culturels de la population qu’elle dessert.
Notre but, c’est de fournir des produits secs et des fruits et légumes frais aussi biologiques et locaux que possible aux résidents de St. James Town tous les deux vendredis
, explique la coordinatrice alimentaire de la Coopérative communautaire de St. James Town, Yasmine El Hamamsy.
À ceux-ci s’ajoutent une variété d'épices nécessaires à la préparation des diverses cuisines propres aux nationalités des populations qui habitent St. James Town, comme du piment, du curcuma, du cumin, ou encore de la coriandre.
Mais la travailleuse sociale souligne que ce programme va bien au-delà de la charité.
On est dans le processus de créer un club d'achat d'aliments pour être en mesure de procurer des aliments biologiques pour les résidents du quartier grâce à un pouvoir d'achat collectif.
Cette initiative qui emploie deux travailleurs à temps plein et deux à temps partiel existe grâce à une subvention de la Croix-Rouge canadienne qui touchera à sa fin au mois de février.
La Coopérative n'a pas d'espace permanent, mais nous étions autorisés à utiliser le centre communautaire du quartier, ce qui est une bénédiction. Avoir un endroit dédié où stocker la nourriture a fait une énorme différence dans l'exécution de ce projet.
Le programme alimentaire de la coopérative tente présentement d’assurer son avenir, notamment à travers une campagne de sociofinancement qui à l'heure d'écrire ces lignes avait amassé plus de 14 400 $, soit presque la totalité de son objectif de 16 000 $.
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L'insécurité alimentaire de plus en plus criante
Situé dans le nord-ouest de Toronto, l’organisme Black Food Toronto constate une réalité similaire. Ses responsables affirment que les communautés noires, africaines et caribéennes qu’ils desservent depuis 25 ans étaient deux fois plus susceptibles de souffrir de l’insécurité alimentaire avant la pandémie.
Depuis, les besoins ont grimpé en flèche.
Au début de la pandémie, on faisait 80 paniers par semaine pour 80 familles, maintenant c'est 460 par semaine
, indique Zakiya Tafari, gestionnaire des programmes pour Black Food Toronto.
Chaque fois que le gouvernement annonce un autre confinement, il y a une vague de familles qui demandent des paniers.
Black Food Toronto dessert des ménages dans les secteurs ouest de la ville, entre autres à Mount Dennis, Jane et Finch, et le long de la rivière Humber, mais certains de ses clients vivent aussi loin qu’à Scarborough. Ici encore, des efforts sont faits pour que les aliments fournis à la communauté soient culturellement appropriés, on peut y trouver par exemple de l’avocat, du plantain et même du calalou pendant l’été.
Selon M. Tafari, il y a une corrélation entre l'insécurité alimentaire et la santé mentale. Beaucoup de clients nous ont dit que cette nourriture les rassurait, et leur permettait de cuisiner des aliments qui leur rappelaient des temps meilleurs
.
L’insécurité alimentaire ne disparaîtra pas de sitôt
Tout comme la Coopérative de St. James Town, Black Food Toronto est à la recherche d'un lieu permanent où il pourra poursuivre son travail après la pandémie, car le besoin se poursuivra aussi
, souligne Zakiya Tafari.
Ces organismes sont à la recherche de solutions à long terme pour servir leurs communautés, parce que, comme l’explique la chercheuse en insécurité alimentaire de l'Université de Toronto Andrée-Anne Fafard St. Germain, l’insécurité alimentaire, c'est soudain. Mais s’en sortir prend très longtemps
.
Selon cette dernière, la COVID-19 a créé des chocs économiques chez de nombreux ménages torontois, qui ont de plus en plus recours aux banques alimentaires et aux services communautaires.
L’insécurité alimentaire, ça émerge surtout de l'insécurité financière, que ce soit une perte de revenu à cause d’une perte d'emploi ou d’une réduction des heures de travail
, souligne-t-elle.
Elle explique qu’entre payer son loyer, nourrir sa famille, ou couvrir une dépense soudaine comme une réparation de voiture, l'insécurité financière pousse des familles à prendre des choix difficiles et à s’endetter pour survivre.
À Toronto, et partout au Canada, notre argent ne sert pas qu'à nous nourrir. Il y a le loyer, l'électricité, le téléphone et l’Internet, la nourriture, les dettes. Tout d'un coup, tout ça compétitionne, et ce qu'on remarque, que c'est avec la nourriture qu'on compromet pour être capables de subvenir à nos besoins.
Il y a une étude qui a été faite à Toronto il y a une dizaine d'années avec des familles à faible revenu. Il a [été] trouvé que les gens qui font face à l'insécurité alimentaire vont parfois abandonner certains services comme le téléphone ou l’Internet, mais là, avec la COVID, ils ne peuvent pas nécessairement faire ça parce que les enfants en ont besoin pour l’école
, ajoute-t-elle.
Mme Fafard St. Germain souligne que les services communautaires comme Black Food Toronto et la Coopérative communautaire de St. James Town représentent une approche réactionnelle à l'insécurité alimentaire.
On ne fait pas disparaître le problème, on subvient au besoin pendant qu'il est là.
Selon cette dernière, des solutions à long terme sont de mise, surtout étant donné que les experts de l’alimentation au Canada s’attendent à des augmentations du prix de la nourriture en 2021.