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COVID-19 : Quel bilan tirer des prépublications scientifiques?

Une biologiste regarde dans un microscope.

La recherche scientifique a été bousculée par la pandémie.

Photo : getty images/istockphoto / Jevtic

La recherche scientifique a toujours été un processus rigoureux, lent et encadré. Or, au cours de la dernière année, l’urgence de la pandémie a accéléré, voir bouleversé cette démarche. Est-ce que le risque en a valu la peine?

En janvier 2020 un ensemble de données publiées en libre accès par des chercheurs chinois ont attiré l’attention de la communauté internationale. Il s’agissait du séquençage du matériel génétique d’un virus nouveau, un membre de la famille des coronavirus qui n’avait pas encore de nom, mais dont on avait détecté les premiers cas humains.

Cette publication allait marquer le monde de la recherche, signalant non seulement le coup d’envoi d’une pandémie mondiale, mais aussi d'une nouvelle méthode de diffuser la science, plus rapide et surtout libre d’accès.

Avec le temps et le sentiment d’urgence qui a accompagné cette crise mondiale, cette tendance s’est accélérée, entraînant dans son sillage une hausse de la diffusion d’articles scientifiques sous forme de prépublications.

Ces articles ne sont pas passés par les canaux de supervision conventionnels nécessaires à toute publication scientifique. Il s’agit donc d’informations dont la validité n’a pas été mise à l’épreuve par d’autres chercheurs.

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Pour certains, l’urgence de la pandémie et le manque d’informations justifiaient cette façon d’agir. Pour d’autres il s’agissait d’un risque. En avril dernier, le scientifique en chef du Québec Rémi Quirion affirmait que ce type d’études pouvait causer plus de tort que de bien.

Un an plus tard, il estime toutefois que l’on s’est habitué à ce mode de publication. C’est un mouvement qui avait commencé avant la pandémie, mais qui s’est accéléré avec la crise, explique Rémi Quirion.

Maintenant, on comprend mieux les avantages et les inconvénients de ce mode de fonctionnement. On sait qu’il s’agit d’information non validée, et qu’il faut insister sur l’absence de révision avant de mettre ça en première page d’un journal ou de baser des politiques gouvernementales dessus.

Une citation de Rémi Quirion
Un homme parle devant une caméra.

Rémi Quirion est le scientifique en chef du Québec.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Michaud

Une opinion partagée par Jonathan Kimmelman, directeur de l’Unité de bioéthique médicale à l’Université McGill. Au printemps dernier, beaucoup de données et de déclarations présentes dans ce type de prépublications étaient basées sur des données de qualité douteuse. Mais avec le temps, plusieurs projets de recherche sont venus remplir le vide de connaissance avec des données de qualité, affirme le chercheur.

Ces études ont rapidement produit des données solides et libres d’accès. C’est grâce à elles qu’on a réussi à produire des vaccins aussi rapidement. Encore aujourd’hui, il arrive qu’on voie passer une prépublication qui nous laisse perplexes, mais des études de ce genre ont rapidement été dépassées en nombre par des travaux de qualité.

Une citation de Jonathan Kimmelman

La publication scientifique : un processus long et rigoureux

Lorsqu’elle n’est pas soumise aux pressions de performance dont une pandémie mondiale est assortie, la publication de recherches scientifiques se fait en trois temps.

Tout d’abord, une équipe de scientifiques qui a travaillé sur une étude, collecté puis analysé des données doit rédiger l’interprétation de ces résultats dans un article. Cet article est soumis à un journal spécialisé et passera devant un comité éditorial dont le rôle est d’évaluer brièvement l’intérêt des résultats et leur pertinence selon les critères de la revue.

S’il est sélectionné, l’article sera ensuite envoyé à un comité de révision par les pairs. Cette étape est la clé qui assure la fiabilité de la démarche scientifique.

La revue par les pairs, c’est fondamental, c’est au cœur de ce qui décide la validité des connaissances scientifiques, explique Lyne Sauvageau, présidente de l'Association francophone pour le savoir (Acfas).

Il n’y a pas de mécanismes externes en dehors de cette autorégulation.

Une citation de Lyne Sauvageau

Les éditeurs sélectionneront deux à trois chercheurs non affiliés à la revue dont les champs d’expertise permettront d’évaluer si les résultats présentés sont de qualité et reposent sur une démarche fiable.

Souvent, ces chercheurs peuvent recommander des expériences supplémentaires pour s’assurer que ce les données présentées dans l’article sont crédibles, ou restent valides même si on change un paramètre dans leur évaluation.

Selon les expériences ou précisions demandées, ce processus de révision peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est uniquement à la fin de ce processus que les chercheurs chargés de ce processus de vérification recommanderont aux éditeurs d’accepter ou non l’article pour publication.

Même avec ces étapes, il est possible que certaines erreurs ou que des traces d'un manque de rigueur se retrouvent dans une étude publiée. Lorsqu’elles sont détectées, le journal demandera alors des modifications aux auteurs. Dans les cas les plus graves, l’article peut même être rétracté par le journal.

Un chercheur dans un laboratoire.

Un chercheur dans un laboratoire.

Photo : Getty Images / Karen Ducey

Face à la crise, la recherche en accéléré

L’ensemble du processus de publication scientifique et de la révision par les pairs sert à empêcher que des études bâclées, aux démarches biaisées ou contenant des erreurs, ne soient incorporées à la littérature scientifique. Cela évite à d’autres chercheurs de baser leurs futurs travaux sur des données ou des informations invalides.

Or c’est un processus qui prend beaucoup de temps. Et du temps, il en manque lorsqu’on fait face à une pandémie qui, chaque jour, prend de nouvelles vies humaines. Cette urgence explique pourquoi plusieurs chercheurs ont commencé à diffuser leurs données et leurs études en libre accès sur Internet.

C’est vrai qu’initialement, ces études non surveillées ont suscité des craintes, explique Lyne Sauvageau. Mais ce qu’on a observé jusqu’à maintenant, c’est qu’elles ont accéléré la compréhension des phénomènes en lien avec la pandémie. Plusieurs craignaient de fonder les connaissances sur ces données, mais au final, elles ont permis d’avoir une idée des grandes tendances, malgré l’absence de révision.

Pour Jonathan Kimmelman, il a toutefois fallu du temps pour que les prépublications deviennent un outil utile pour la recherche.

Au départ, c’était difficile d’évaluer rapidement la qualité d’une prépublication. Comme toute nouvelle plateforme, il a fallu un temps d’adaptation. Mais une fois qu’on a traversé la courbe d’apprentissage, ce genre d’articles nous a permis de voir des résultats intéressants avant qu’ils aient traversé toutes les étapes de la publication scientifique.

Là où la situation se complique, c'est quand ce type de données commence à circuler en dehors de la communauté scientifique.

Ces publications sont toujours à prendre avec un grain de sel, et dans certains cas, on a vu que le grand public ou même certains médias ne faisaient pas la distinction entre un article révisé par les pairs et une prépublication et propageaient des données problématiques.

Une citation de Jonathan Kimmelman

Une tendance qui semble avoir été contrée par un autre mécanisme de régulation, celui du débat public entre chercheurs.

On a vu un bel exemple en début de pandémie avec l’hydroxychloroquine. Même si des données se sont propagées à grande échelle, elles ont rapidement entraîné une levée de boucliers dans la communauté scientifique, qui a signalé les erreurs de méthodologies dans l’étude initiale. Il aura fallu du temps pour que la rigueur scientifique l’emporte, mais on y est parvenu.

Un homme avec des gants chirurgicaux tient un comprimé d'hydroxychloroquine entre ses doigts.

Un homme avec des gants chirurgicaux tient un comprimé d'hydroxychloroquine entre ses doigts.

Photo : afp via getty images / GEORGE FREY

L’avenir de la prépublication

Lorsque la poussière de la pandémie sera retombée, ce mode de recherche en accéléré perdurera-t-il? Selon les spécialistes, cela dépend du contexte.

Ce qu’on a appris de positif avec la pandémie, c’est une façon de faire de la science ouverte, et on essaie de voir si ça peut être utile dans d’autres secteurs, explique Rémi Quirion.

Pour les changements climatiques, par exemple, cette accélération et cette mise en commun des informations pourrait contribuer à faire bouger les choses. Mais tout le monde doit faire attention, chercheurs, journalistes, politiciens, l’important c’est d’expliquer cette science.

Une citation de Rémi Quirion

Un des éléments essentiels à rappeler est qu’une découverte scientifique ne doit jamais être interprétée en dehors de son contexte.

Une seule étude n’est pas suffisante pour apporter une réponse à une question scientifique. Il faut un grand nombre d’études sur un même sujet pour qu’on en tire une réponse fiable, ajoute Jonathan Kimmelman.

Plus les études publiées sont nombreuses, plus il sera facile d’éliminer celles qui sont de moins bonne qualité.

Une citation de Jonathan Kimmelman

Pour Lyne Sauvageau, il est aussi crucial pour le grand public de comprendre que chaque étude a ses limites C’est important d’être outillé en culture scientifique pour comprendre comment ces connaissances se construisent. L’intérêt a augmenté pour ça au cours de la dernière année, alors il faut en profiter pour développer cette culture.

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