Myriophylle à épis : une bataille sous-marine
Après 9 ans de lutte contre le myriophylle à épis, les stratégies et les efforts soutenus pour ralentir sa progression commencent à produire des résultats encourageants dans les lacs et les rivières du Québec, a constaté une équipe de La semaine verte.

Tous les fragments du myriophylle à épis sont retirés du plan d'eau et envoyés à l'enfouissement.
Photo : Radio-Canada / Pierre Mainville
Grâce à des techniques sous-marines plus performantes de bâchage et d'arrachage, les biologistes et plongeurs réussissent à ralentir la progression du myriophylle à épis. Le combat contre cette plante envahissante aquatique est toutefois semé d’embûches.
De plante d’aquarium à plante envahissante
Avec sa longue tige et ses feuilles en plumes, le myriophylle à épis semble bien inoffensif lorsqu’on l’observe sous l’eau. À une époque pas si lointaine, on le retrouvait même dans nos aquariums domestiques, où la végétation exotique servait de décoration.
L’ennemi se reproduit à vitesse grand V
Cette plante vasculaire proviendrait d’Asie et aurait été introduite dans nos milieux aquatiques par les vidanges de ballasts des navires et par les rejets d'eau d’aquariums domestiques.
Ce qui la rend encore plus coriace, c'est qu’elle se reproduit très facilement et de manière fulgurante. En se fragmentant en boutures, le myriophylle va générer d’autres herbiers, qui vont rapidement envahir le fond des plans d’eau.
On ne l'éradiquera jamais. Donc on est pris avec cette espèce-là pour plusieurs décennies, pour ne pas dire plusieurs siècles.
La plante envahissante perturbe la biodiversité des plans d’eau où elle se propage, en livrant une féroce compétition à ses voisines indigènes pour ses nutriments et la lumière. Selon le biologiste Claude Lavoie, qui observe et analyse le myriophylle à épis depuis près de 15 ans, aucune étude sérieuse n’a encore permis de démontrer qu’il représente une menace pour la santé humaine.
Toutefois, il devient un cauchemar pour les riverains et les plaisanciers habitués à profiter des plans d’eau. La présence du myriophylle à épis peut aussi entraîner une dévaluation de certaines propriétés aux abords de lacs ou de cours d’eau infestés par la plante exotique.
Claude Lavoie nous le rappelle, le myriophylle, ce n’est pas juste un problème biologique. C'est un problème qui a une dimension à la fois sociologique, économique et politique
.
Contrôler le myriophylle avec des toiles synthétiques
Pour ralentir la progression du myriophylle à épis, une des techniques utilisées est le bâchage avec des toiles synthétiques de type Aquascreen.
Au lac des Abénaquis, en Beauce, les riverains ont opté pour cette solution, combinée avec de l’arrachage manuel muni d’un aspirateur sous-marin.
En juin 2020, Vincent Gagné, étudiant en maîtrise, et son équipe ont installé 160 toiles sur l'ensemble des herbiers du lac.
Pour y arriver, deux plongeurs déroulent la toile et la fixent au fond du lac en couvrant les herbiers de myriophylle pour stopper leur croissance. Je trouve que c'est une toile qui se manipule bien. Elle est particulièrement petite, donc un plongeur seul peut la transporter sous l'eau
, explique Vincent Gagné.
L’objectif de son projet de recherche : réduire de 95 % les zones infestées par le myriophylle dans les eaux du lac. Une bataille de longue haleine.
À la fin de l’été, les toiles synthétiques ont été retirées et nettoyées. Après quatre ans d’interventions, les résultats sont encourageants. On assiste à un recul des herbiers dans le lac.
En 2016, la plante envahissante couvrait 36 000 mètres carrés au lac des Abénaquis. À l’automne 2020, les zones infestées étaient réduites à 9000 mètres carrés. Le quart de ce qu’elles étaient quatre ans plus tôt.
L’année prochaine ou l'année d'après, nous devrions atteindre un seuil de contamination relativement acceptable. Et encore là, nous devrons continuer à surveiller l'apparition de nouveaux herbiers pour maintenir ce seuil.
L’Estrie, un foyer actif du myriophylle à épis
En Estrie, 50 % des lacs seraient touchés par le myriophylle à épis.
Au lac Brompton, les superficies d'herbiers peuvent même dépasser les 10 000 mètres carrés. Les riverains et les trois municipalités concernées ont déboursé plus de 320 000 $ en trois ans pour lutter contre la progression de l’envahisseur.
En raison de la grande superficie du lac, le biologiste et plongeur Jean-François Martel a privilégié le bâchage avec d'immenses toiles de jute. On est vraiment mieux d'y aller avec le jute, qui va se biodégrader dans le fond du lac, tandis que la toile synthétique, il faut la retirer du lac après quelques mois et la nettoyer. Ça fait beaucoup de manipulations, et donc, plusieurs heures de plongée.
Sous l’eau, les plongeurs combinent eux aussi les interventions de bâchage au jute avec l’arrachage manuel et l’aspirateur sous-marin.
Les tonnes de fragments qui sont retirées du lac chaque été sont ensuite envoyées à l'enfouissement, une exigence du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC).
Ce serait compostable, mais c'est considéré comme de la matière contaminée, alors on réduit ainsi les risques de contamination dans un autre plan d'eau.
Jean-François Martel est satisfait du bilan de ses opérations sous-marines au lac Brompton. Le bâchage avec les toiles de jute, combiné à l’arrachage manuel avec aspiriophylle, ont permis de réduire d’au moins 75 % les zones infestées par le myriophylle à épis.
Nous sommes rendus à croire que dans les deux à trois prochaines années, nous pourrons faire du contrôle de façon efficace. Mais on ne peut parler d'éradication. Avec le myriophylle, il peut toujours y avoir une recolonisation!
Au Québec, ce sont près de 200 lacs qui sont envahis par le myriophylle à épis. Les polluants agricoles favorisent cette propagation en stimulant la croissance de la plante, précise Claude Lavoie. Ils viennent enrichir nos rivières et nos lacs en azote et en phosphore, ce qui va contribuer à amplifier le problème.
En plus de la pollution agricole, les nombreuses embarcations qui naviguent d’un lac à l’autre sont également montrées du doigt comme agent de contamination.
Infestation en milieu protégé
L’envahisseur ne se limite pas aux lacs de villégiature. Il s’attaque aussi aux plans d’eau protégés, comme le lac Hertel, situé au cœur du mont Saint-Hilaire. La particularité du lac Hertel, c’est qu’il fait partie de la Réserve naturelle Gault de l'Université McGill, un sanctuaire reconnu par l'UNESCO.
Depuis près de 50 ans, les activités aquatiques comme la baignade, la navigation ou la pêche sont interdites aux visiteurs. Malgré tout, le lac a lui aussi été envahi par le myriophylle à épis.
La biologiste Hélène Godmaire travaille fréquemment avec les chercheurs de l’Université McGill, qui gèrent le lac Hertel et le milieu naturel qui l’entoure.
Pendant l'été 2020, elle a pu observer des centaines de fragments de myriophylle échoués sur les rives du lac. S’il n’y a pas de fermes autour du lac et aucune embarcation, alors comment expliquer cette infestation?
La biologiste soupçonne les oiseaux migrateurs.
Ces oiseaux font aussi de courtes distances. Ici au lac Hertel, on est assez près de la rivière Richelieu, où l’on retrouve du myriophylle à épis. Les oiseaux migrateurs pourraient transporter jusqu’ici des fragments de myriophylle.
Mais pour plusieurs chercheurs, la dissémination du myriophylle par les oiseaux serait marginale par rapport à celle provoquée par les humains.
En attendant les premiers rapports scientifiques pour expliquer cette invasion dans les eaux du lac Hertel, Hélène Godmaire va proposer un mode d’intervention pour la combattre, et ce sera le bâchage avec des toiles synthétiques.
Un défi : viser l’équilibre des écosystèmes
Même si les stratégies pour combattre l’envahisseur aquatique se peaufinent, la bataille pour ralentir sa progression est encore loin d’être gagnée. Et cette lutte sous-marine sera longue et coûteuse. C'est le prix à payer pour protéger de manière efficace et durable nos écosystèmes, que ce soit sous l’eau ou sur la terre ferme.
Lorsque les gens réaliseront à quel point les lacs sont des écosystèmes fragiles, et que le myriophylle n'est qu'un problème parmi d'autres, là on aura fait un véritable progrès en science de l'environnement des lacs.
Le reportage de Claude Labbé et Pier Gagné est diffusé à La semaine verte à ICI Télé le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.