Davantage de postes pour les unilingues anglophones dans la fonction publique au N.-B.
« La communauté acadienne a une obligation de se mobiliser », croit le juriste Michel Doucet.

Les unilingues anglophones représentent environ 65 % de la population du Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a pourvu davantage de postes unilingues anglophones que de postes bilingues l'an dernier. Pourtant, des voix s'élèvent en faveur d'une réduction des exigences linguistiques dans la fonction publique, alors que doit s'amorcer la révision de la Loi sur les langues officielles.
Du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, 44 % des quelque 2000 offres d'emploi affichées dans la fonction publique du Nouveau-Brunswick avaient pour exigence linguistique la maîtrise des deux langues officielles.
Selon un chercheur de l'Université de Moncton, Érik Labelle Eastaugh, le chiffre réel est même sensiblement plus bas
.
La réalité, c'est que l'anglais est très prédominant au sein de la fonction publique et il n'y a aucune donnée qui pourrait prétendre le contraire.
Les anglophones ont pu se qualifier pour 53 % des postes offerts dans la fonction publique. Les unilingues francophones, bien que moins nombreux, n'ont pu postuler que sur 5 % des offres d'emploi existantes.
Le problème, selon Érik Labelle Eastaugh, réside dans l'asymétrie des connaissances linguistiques entre les deux communautés. Les unilingues anglophones représentent un peu plus de la moitié de la population du Nouveau-Brunswick, mais seulement 8 % des francophones ne parlent pas l'anglais.
La loi est fondée sur un principe d’égalité des deux langues et des deux communautés. Il y a un plus grand nombre de francophones qui sont bilingues
, note-t-il.
Les langues officielles, pas une priorité à Fredericton
Les données sur l'état de la situation détonnent avec les propos du premier ministre Blaine Higgs, qui s'inquiète plutôt des perspectives d'emploi des unilingues anglophones.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick a même évoqué une diminution des exigences linguistiques dans la fonction publique après une rencontre avec l'Anglophone Rights Association en décembre dernier.
Quand on dit que la situation actuelle désavantage les anglophones, ce qu’on dit réellement, c’est que les francophones ont trop de droits et qu’il faudrait les réduire pour que plus d’anglophones unilingues puissent obtenir des postes dans la fonction publique
, analyse M. Labelle Eastaugh.
Cette rencontre avec un groupuscule hostile au bilinguisme officiel ne fait que s'ajouter aux nombreuses démonstrations de l'incompréhension du premier ministre de la Loi sur les langues officielles, selon le juriste et auteur du livre de référence Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, Michel Doucet.
Que veut réellement l'Anglophone Rights Association?
L'Anglophone Rights Association of New Brunswick (ARANB) se défend de vouloir brimer les droits des francophones. Le groupe allègue qu'il plaide plutôt pour une attribution des emplois proportionnelle à la démographie.
Selon le juriste Michel Doucet, le discours de l'ARANB
révèle une contradiction fondamentale, puisqu'une application inégale de la Loi sur les langues officielles contrevient aux droits linguistiques des communautés minoritaires.Invitée par Radio-Canada à préciser ses objectifs, l'ARANBen raison de la désinformation rapportée par les médias dans le passé sur l'ARANB et ses membres
.
La façon dont se comporte le gouvernement progressiste-conservateur, en offrant par exemple les points de presse sur la COVID-19 par l'entremise d'un service d'interprétation simultanée, plutôt qu'en garantissant la présence d'un porte-parole francophone, ou en manquant à ses obligations de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles dans les ministères, illustre également cette incompréhension, poursuit M. Doucet.
Les langues officielles, ça ne semble pas être une priorité à Fredericton. Il y a une langue officielle qui est l’anglais, et le français, qu’on accommode au besoin, qui est une langue de traduction.
L'application de la Loi sur les langues officielles dans la fonction publique est un enjeu de longue date au Nouveau-Brunswick. Lors de la dernière révision en 2012, une disposition visant précisément la mise en œuvre de la loi avait été adoptée. Or, aucun gouvernement n'a agi depuis pour la faire respecter, la culture institutionnelle anglophone étant trop fortement ancrée, selon Érik Labelle Eastaugh.
L'objectif d'une révision : la progression vers l'égalité
Même s'il le désirait, le premier ministre Blaine Higgs serait incapable de profiter de la révision de la Loi sur les langues officielles pour réduire les obligations linguistiques de la province.
Le principe d’égalité est enchâssé dans la Charte des droits et libertés. Donc le gouvernement n’est pas libre de le modifier. Même s’il peut modifier la loi, il ne peut pas écarter ce principe-là
, indique le chercheur Érik Labelle Eastaugh.
Par ailleurs, la révision de cette loi doit avoir pour objectif l'atteinte de l'égalité. Il y a un principe en droits linguistiques, qui est un principe de progression vers l’égalité. Lorsqu’on fait une révision d’une loi linguistique, on doit chercher à assurer un progrès vers cette égalité
, explique le juriste Michel Doucet.
Propositions de modifications respectueuses du principe d'égalité
Selon Érik Labelle Eastaugh, l'ajout d'une disposition à la loi visant à assurer un environnement de travail propice à l'utilisation des deux langues officielles serait un exemple d'une modification en accord avec le principe de progression vers l'égalité.
Une telle protection, explique-t-il, existe dans la fonction publique fédérale, mais pas au Nouveau-Brunswick.
Le chercheur suggère aussi une augmentation du budget de la commissaire aux langues officielles. Dans son dernier rapport, Shirley McLean a elle aussi formulé quelques recommandations préliminaires.
Appel à la mobilisation pour empêcher une régression
Le premier ministre Blaine Higgs doit annoncer son plan de révision de la Loi sur les langues officielles cette semaine. Il ne lui restera donc plus que onze mois pour réaliser cette importante révision, qui nécessite normalement jusqu'à deux ans de travail.
Selon le juriste Michel Doucet, les craintes d'une régression des droits linguistiques sont fondées, dans la mesure où le statu quo représente déjà une forme de recul.
J’ai toujours dit que si on fait du surplace au niveau des droits linguistiques, on régresse. À moins que le gouvernement ne change son fusil d’épaule rapidement, on peut craindre une régression
, prévient Michel Doucet.
M. Doucet croit qu'il revient maintenant à la population de se faire entendre.
Je crois que la communauté acadienne a une obligation de se mobiliser dans ce dossier pour pouvoir porter les modifications qu’elle veut à cette loi sur la place publique.
Si on demeure silencieux, la communauté acadienne deviendra complice de cette régression-là
, craint-il.
Avec les informations de Sophie Desautels