Snow Beef : un bœuf d’exception produit dans une ferme laitière

Bovins croisés à la ferme Benbie Holsteins à Caronport, en Saskatchewan.
Photo : Radio-Canada / Ron Boileau
Les producteurs laitiers canadiens s’inquiètent des répercussions de la dernière entente de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique sur leur industrie. Une famille de la Saskatchewan a trouvé une façon inusitée de diversifier ses sources de revenus.
Ian et Nicole Crosbie gèrent Benbie Holsteins, une ferme laitière établie il y a presque 100 ans à Caronport, en Saskatchewan.
Leurs 160 vaches Holstein produisent 6000 litres de lait par jour.
Dans les enclos à l’extérieur de l’étable, on trouve aussi une centaine de bêtes noires, que les Crosbie élèvent pour leur viande.
Mais pas n’importe quelle viande, comme le souligne Ian Crosbie : Je veux que mon bœuf soit reconnu comme étant le meilleur que l'on peut acheter en Saskatchewan.
Diversifier leurs sources de revenus
Il y a quelques années, les Crosbie cherchaient à diversifier leurs sources de revenus.
Les méthodes de production modernes étant de plus en plus efficaces, ils n’avaient plus besoin de toutes leurs génisses Holstein, comme l’explique Ian Crosbie : On a optimisé notre production laitière grâce à la génétique, à une bonne gestion et à une meilleure alimentation. On n’a donc plus besoin d’autant de génisses qu’il y a 10 ou 20 ans. On perd de l’argent en continuant de les élever.
Ils décident alors d’inséminer certaines de leurs Holsteins avec de la semence de bœuf Angus, l’étalon d’or de la production bovine au pays.
Ils réussissent à vendre ainsi des dizaines de veaux mi-Holstein, mi-Angus au prix de quelques centaines de dollars par animal.
Je voulais me distinguer de la compétition.
Mais le croisement Holstein-Angus est bien connu au pays et Ian Crosbie voulait que son bœuf se distingue des autres produits sur le marché.
L’incomparable bœuf Wagyu
En 2016, dans un restaurant de Toronto, il commande un steak de bœuf Wagyu.
Ian Crosbie est ébahi par son goût unique : Ce steak m’a coûté 85 $, mais dès la première bouchée, j’ai compris que je goûtais au meilleur steak de ma vie. C’est là que je me suis dit : "C’est ça que je veux créer".
Les bovins Wagyus, originaires du Japon, produisent l’une des viandes les plus recherchées au monde.
Ces bêtes développent un persillage intramusculaire qui donne un goût exceptionnel et une tendreté remarquable à la viande.
Quelques fermes d’élevage voient le jour au Canada dans les années 1990. La viande qu’on y produit est souvent le résultat du croisement entre les races Wagyus et Angus.
Séduit par le potentiel de ce bœuf, Ian Crosbie achète de la semence de Wagyu d’une ferme en Ontario.
Il insémine quelques-unes de ses Holsteins.
Les veaux ainsi croisés partagent des enclos avec les veaux Holstein de race pure jusqu’à l'âge de 15 mois.
Ils sont ensuite transférés dans des enclos d’engraissement, où ils prennent du poids pendant 10 mois – soit deux fois plus longtemps que les races de bovins typiquement élevés pour leur viande.
Il faut plus de temps pour développer le persillage unique chez ces animaux, comme l’explique Ian Crosbie : On espère, à ce stade, avoir développé au maximum le persillage de la viande. Comme un bon vin, plus on attend, plus la complexité et les goûts se développent.
Le Snow Beef est lancé
En 2018, les Crosbie font abattre leurs premiers animaux. La qualité de la viande est exceptionnelle.
Ian décide d’appeler son produit le Snow Beef
, ou Bœuf des neiges
, une métaphore inspirée du persillage blanc dans la viande.
Peu importe où vous irez sur la planète, le bœuf n’aura jamais le même goût.
Le nom est aussi un clin d'œil au climat froid de la Saskatchewan et à ses hivers enneigés.
Les Crosbie tentent d’abord de vendre leur produit dans de petits marchés locaux.
Au Wandering Market, à Moose Jaw, la propriétaire Nadine Lee avoue qu’elle ne s’attendait pas à l’intérêt que le Snow Beef allait susciter : Je n’ai à peu près pas fait de promotion et tout s’est envolé en une seule journée.
Pourtant, le prix du produit est élevé.
L’entrecôte, par exemple, se vend plus de 50 $ la pièce, soit le double d’une coupe conventionnelle.
Mais la marque de commerce des Crosbie se fait connaître. En peu de temps, les grands de la restauration découvrent le Snow Beef.
Jonathan Thauberger, membre de l’équipe nationale culinaire du Canada, est chef chez Crave Kitchen and Wine Bar, l’un des restaurants les mieux connus de Regina.
Il est l’un des premiers à incorporer le Snow Beef à son menu, surtout en raison de son goût particulier, nous dit-il : La saveur est prononcée, délicieuse. C’est une viande très tendre qui nous pousse à être créatifs.
Outre les coupes de steak, il concocte des plats uniques avec le bœuf : un carpaccio, un pemmican avec des fruits séchés et il se sert du suif dans ses pâtisseries.
Peu importe comment on servait le Snow Beef, les clients en redemandaient.
Mais le Snow Beef n’est pas toujours au menu.
C’est que les Crosbie n’abattent qu’un seul animal par mois, surtout en raison des coûts élevés de production, comme l’explique Ian : Chaque animal nous coûte cher. On s’assure donc d’avoir des débouchés pour notre produit dès le départ.
Bœuf d’exception populaire
En octobre 2020, la filiale Snow Beef des Crosbie fait un pas de géant. Ils concluent une entente avec un distributeur, Prairie Meats.
Son directeur général, Casey Collins, souligne que la demande pour la viande de bœuf haut de gamme monte en flèche : L’alimentation change. Les gens réduisent leur consommation de viande rouge et, lorsqu’ils en mangent, ils s’attendent à vivre une expérience.
Depuis 2016, les ventes de bœuf Wagyu au Canada ont augmenté de 20 % et on prévoit une autre augmentation de 20 % d’ici 2024.
Outre la qualité de la viande Wagyu, sa popularité s’explique aussi par sa valeur nutritive, puisqu’elle est faible en cholestérol et riche en acide oléique.
Les ventes de Snow Beef ne représentent, pour l’instant, que 1 % des revenus des Crosbie.
Mais ils comptent, dès 2022, doubler leur production de viande.
J’ai de grands projets pour les cinq ou dix prochaines années, mais on verra où le marché nous mènera.
En attendant, Ian Crosbie se contente d’avoir atteint l’un de ses grands objectifs : produire sur sa ferme laitière l’une des meilleures coupes de bœuf au pays. Mon plus beau compliment est venu de quelqu’un qui m’a dit : Tu viens de gâcher le steak pour moi. Je ne pourrai plus jamais me contenter d’un autre steak que celui-là!