Les défis d'élucider la transmission aérienne de la COVID-19

Un appareil servant à projeter des aérosols dans une chambre pour étudier leur comportement.
Photo : Radio-Canada / Érik Chouinard
La pandémie a bouleversé le monde de la recherche scientifique. Du jour au lendemain, les yeux se sont rivés vers les chercheurs en infectiologie, virologie, immunologie, etc. Certains ont dû réorienter leurs travaux afin de jeter de la lumière sur la COVID-19. À Québec, plusieurs professeurs et chercheurs contribuent à cette science encore émergente. Quatre d’entre eux ont accepté de nous ouvrir les portes de leurs laboratoires. Aujourd’hui : Caroline Duchaine.
Comme plusieurs de ses collègues, la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les bioaérosols, Caroline Duchaine, a été surprise
par la COVID-19. Au tout début, la professeure de microbiologie de l’Université Laval et chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) avait peine à croire que le virus finirait par se rendre ici.
Au départ, je ne voulais pas travailler sur la COVID. Je me disais, ça va faire comme le MERS, ça va faire pout pout et ça va s’éteindre
, reconnaît la professeure. Elle n’avait alors accepté qu’une seule collaboration avec des collègues de Toronto, spécialistes en maladies infectieuses.
Sa perception a toutefois rapidement changé lorsque les premiers cas ont commencé à s’accumuler et surtout lorsque le premier patient atteint de la maladie a été accepté aux soins intensifs de l’IUCPQ
.Un collègue intensiviste m’a appelé chez nous à 5 h du matin et il m’a dit : "Caroline, j’ai le premier patient COVID. Veux-tu qu’on fasse de quoi? Veux-tu qu’on prenne des échantillons?"
relate la professeure.
Tout de suite, il a fallu réfléchir à la façon de mettre en branle l'opération. Le centre de recherche avait été fermé, on avait seulement le droit d’être ici pour des projets COVID. Donc, dans les jours qui ont suivi, j’ai obtenu du financement des Fonds de recherche du Québec pour étudier les aérosols de COVID
, souligne la chercheuse.
Les aérosols sont des particules plus petites que les gouttelettes, elles peuvent rester plus longtemps en suspension dans l’air.
Ce qu’on essaie de savoir, c’est si oui, il y a des aérosols, et s’ils sont infectieux, pour qu’ensuite des gens qui sont spécialisés en calcul de risque puissent utiliser ces données-là dans leurs calculs
, précise la professeure.
La suite s’est passée très rapidement. Caroline Duchaine souligne que le travail d’équipe a été absolument essentiel et que la contribution du professionnel de recherche du laboratoire, Marc Veillette, y est pour beaucoup.
Marc a préparé des protocoles avec des photos et on a même inventé des dispositifs pour connecter les échantillonneurs d‘air sur des trappes à vide que les médecins utilisent pour faire les succions. Le développement a vraiment été très rapide
, se rappelle-t-elle.
Même si ça peut paraître simple, c’est en fait assez complexe de récolter des échantillons d’air tout en gardant les virus le plus intacts possible. Comme beaucoup d’air circule sur eux pendant plusieurs heures, cela finit par les endommager.
Récupérer des virus morts peut servir pour prouver leur présence, mais s’ils ne sont plus infectieux, il devient difficile de prouver quoi que ce soit par rapport aux risques réels de transmission par l’air. Caroline Duchaine et son équipe continuent donc d’essayer différents types de filtres et d’appareils.
Il y a une équipe qui a proposé un échantillonneur où les particules sont récoltées en condensant de l’eau, ce qui les fait grossir et après elles tombent dans un tube. Ainsi, les particules ne sont pas desséchées et sont entourées d’eau
, mentionne entre autres la chercheuse.
La complexité se répercute aussi lors de l’interprétation des résultats et le tout dépend de la manière dont la circulation de l'air et la ventilation sont prises en compte. Caroline Duchaine multiplie donc les collaborations avec cliniciens, physiciens, ingénieurs et infirmières en prévention afin de s’assurer de bien interpréter ce qu’elle et son équipe ont trouvé.
Ce n’est toutefois pas tout le monde dans son domaine qui est aussi consciencieux. Si on n’a pas toutes les informations, on ne peut pas comparer nos données avec les autres. Mettons au Nebraska, dans un hôpital, s’ils ont 3000 virus par m2, alors que moi j’en ai 500, peut-être que c’est parce qu’ils ont moins d’échange d’air que nous. Ça nous prend ces informations pour tirer des conclusions
, affirme la professeure.
Pour Caroline Duchaine, c’est signe que certains volets de la science des aérosols restent encore largement à définir.
Au niveau de l’air, il y a toujours eu ce problème. Pendant longtemps, j’ai été consultante sur les maisons inondées avec les moisissures et on me demandait tout le temps les normes et les méthodes standards d’analyses, mais il n’y en a pas. Ce n’est pas comme l’eau potable ou les aliments
, note la professeure.
Même aujourd’hui, on ne connaît pas de preuve de transmission par l’air hors de tout doute de plein de maladies. On sait que l’air joue sûrement un rôle, mais c’est très complexe. Et là, on n’est pas dans le fin détail, on veut juste voir quels sont les contributeurs de la transmission et comment le virus se comporte dans l’environnement. Et je sais que d’ici 15 à 20 ans, on va encore se poser des questions.
La pandémie pourrait toutefois changer la donne, en ayant exposé les risques que comporte la méconnaissance des mécanismes de transmission par l’air. Maintenant, on se rend compte que ça serait peut-être important de proposer des protocoles plus standards pour faciliter l’accumulation de données plus robustes
, se console Caroline Duchaine.
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