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Alors que Biden succède à Trump, que peuvent espérer les migrants?

Chassés par la violence, la pauvreté et l’insécurité, des dizaines de milliers de Centraméricains affluent toujours aussi nombreux vers les États-Unis en quête d'une vie meilleure.

Des gardes frontaliers interrogent des familles de migrants d'Amérique centrale à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

La présidence Trump a été marquée par la criminalisation des migrants et l’adoption d’une série de mesures répressives, dont la séparation des familles.

Photo : Reuters / Lucy Nicholson

Une nouvelle caravane de migrants honduriens est en route vers les États-Unis. Encouragées par l’élection du démocrate Joe Biden, ils espèrent traverser le Guatemala et le Mexique pour enfin atteindre la frontière américaine. Mais si la réponse de son prédécesseur Donald Trump se résumait à refouler les migrants à la frontière, Joe Biden pourrait leur offrir un peu d’espoir.

Qui sont ces migrants?

Pendant des décennies, il s'agissait essentiellement de Mexicains qui tentaient de se rendre aux États-Unis pour améliorer leur sort. Mais depuis quelques années, l’origine des migrants a changé.

S’il y a toujours parmi eux beaucoup de Mexicains, leur proportion est en baisse alors qu'augmente le nombre de migrants originaires du Honduras, du Salvador ou du Guatemala.

Ces trois pays, qui forment ce qu’on appelle le triangle du Nord (ou triangle nord), sont en train de dépasser le Mexique comme principal point de départ des migrants.

  • En 2000, 98 % des 1,6 million de personnes arrêtées à la frontière sud des États-Unis étaient Mexicaines.
  • En 2019, les Mexicains ne représentaient plus que 19 % des personnes arrêtées.

Le gouvernement mexicain soutient que cette baisse de l’émigration est liée à la bonne performance de son économie. Guadalupe Correa-Cabrera, professeure à l'Université George Mason, en Virginie, n’en est pas convaincue. Selon elle, ce sont plutôt les restrictions à la frontière et le crime organisé qui en sont la cause.

Il est devenu plus coûteux pour les Mexicains de s’en aller aux États-Unis, affirme-t-elle. Ce n’est pas comme avant, lorsque les gens partaient avec un ami ou un voisin qui les faisait rentrer aux États-Unis. Maintenant, ce sont des réseaux de traite de personnes qui s’en occupent et qui n’hésitent pas à se débarrasser des migrants.

Les Mexicains font une analyse coût-bénéfice et préfèrent plutôt se déplacer à l'intérieur de leur pays.

Une citation de Guadalupe Correa-Cabrera, professeure à l'Université George Mason.

Par contre, remarque-t-elle, c’est vrai que le Mexique ne va pas aussi mal que ses voisins du triangle nord, dévastés par la violence chronique, la corruption, la pauvreté, les catastrophes naturelles et soumis aux exactions des gangs de rue.

Des espoirs déçus

Après les conflits armés des années 1980, un vent d’espoir a soufflé sur l’Amérique centrale, affirme José Miguel Cruz, directeur de recherche au Centre de l’Amérique latine et des Caraïbes de l’Université internationale de la Floride.

Les habitants de ces pays ont pensé qu’il y aurait une opportunité pour la reconstruction et la relance économique, mais leurs espoirs ont été vite refroidis.

À cela s’est ajouté l’affaiblissement des institutions, en particulier au Honduras, où le gouvernement a été impliqué dans plusieurs cas de corruption, et puis le fait que des groupes faisant partie du crime organisé, dont des cartels mexicains de narcotrafiquants, se sont consolidés dans plusieurs zones de ces pays, explique-t-il.

Un couple portant un enfant marche dans une rue inondée où l'eau arrive à la taille des deux adultes.

Les ouragans Eta et Iota ont fait plus de 200 morts et un nombre indéterminé de disparus, ainsi que des millions de dollars de dégâts, surtout au Honduras, où 154 000 personnes ont perdu leur maison.

Photo : Reuters / JORGE CABRERA

De plus, la région, qui vient d'être ravagée par deux ouragans, est particulièrement vulnérable aux catastrophes climatiques. Depuis quelques années, il y a eu des sécheresses, puis des inondations, qui ont fait augmenter le niveau de pauvreté et d’insécurité alimentaire de bien des gens, note M. Cruz.

La présence de gangs criminels comme le MS-13, formés d’anciens membres de gangs de rue renvoyés des États-Unis dans les années 1990, a fondamentalement déstabilisé ces pays. Ces gangs font la loi, remplaçant carrément le gouvernement dans leur secteur d’influence et rançonnent les citoyens.

Quelqu’un qui a une petite entreprise de vente au détail doit payer une contribution aux gangs de rue qui contrôlent le territoire, faute de quoi lui et sa famille sont menacés, soutient Mme Correa-Cabrera.

Ce modèle se base sur l’expansion de la peur. Si tu ne payes pas, je te tue ou je tue ta famille. Pour les gangs de rue, la vie ne vaut pas grand-chose. Ils sont prêts à tuer et à mourir eux aussi.

Une citation de Guadalupe Correa-Cabrera, professeure à l'Université George Mason

Des familles en fuite

C’est d’ailleurs en raison de ces menaces qu’on voit de plus en plus de familles migrer vers le Nord, affirment les chercheurs. Au cours des dernières années, leur nombre a augmenté de façon exponentielle.

Alors qu’en 2012, les adultes seuls représentaient 90 % des migrants arrêtés à la frontière sud des États-Unis, en 2019, ils n’étaient plus que 35 %. Les 65 % restants étaient des familles ou des mineurs non accompagnés.

Reflet de l’ensemble des migrations, les familles originaires du triangle du Nord sont devenues majoritaires au cours des dernières années.

Beaucoup de gens dans le nord de l’Amérique centrale fuient littéralement pour sauver leur vie, alors que des gangs visent des familles entières, y compris des enfants, souligne dans un communiqué Jean Gough, directeur régional du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Ils ne laissent aucun proche derrière eux, car ils craignent des représailles de la part des gangs dans les communautés.

J’ai entendu un nombre incalculable d’histoires de migrants qui ne quittent pas leur pays à cause du rêve américain, mais plutôt parce que leur situation dans leur propre village, au Honduras, au Guatemala ou au Salvador, est insoutenable, raconte M. Cruz. Rester signifie faire face à la possibilité d’être assassiné ou de mourir de faim. Dans ces circonstances, ils n’ont rien à perdre en migrant aux États-Unis.

Un homme porte une fillette en traversant le fleuve.

Des migrants honduriens faisant partie d'une caravane tentent de traverser le fleuve frontalier Suchiate à Tucun Uman (Guatemala) pour passer au Mexique et poursuivre leur route vers les États-Unis.

Photo : Reuters / Adrees Latif

Même si les gens sont conscients du climat anti-immigrants aux États-Unis et qu'ils savent que les chances de réussir à traverser la frontière ont diminué, ils continuent cependant à se joindre aux caravanes, parce que leur situation est désespérée.

Une citation de José Miguel Cruz, directeur de recherche au Centre de l’Amérique latine et des Caraïbes de l’Université internationale de la Floride.

D’ailleurs, de plus en plus d’entre eux optent pour déposer une demande d’asile, une pratique inusitée par le passé.

Un discours plus humain

Le président élu a déjà indiqué qu’il n’investirait plus dans la construction du mur à la frontière mexicaine cher à Donald Trump, mais plutôt dans l’infrastructure de détection. Il ne prévoit pas pour autant de détruire ce qui a déjà été bâti.

Un homme travaille à la construction d'un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Seuls 500 kilomètres du mur promis par Donald Trump ont été construits.

Photo : Reuters / Jose Luis Gonzalez

Il a également signalé vouloir mettre un terme aux politiques d’asile restrictives, notamment le protocole de protection des migrants (MPP, également connu sous le nom Reste au Mexique), en vertu duquel les demandeurs d’asile en provenance d’Amérique centrale doivent attendre au Mexique d’obtenir une date d’audience pour l’examen de leur dossier.

Joe Biden entend, de plus, prioriser la réunification des enfants migrants séparés de leur famille par les politiques de l’administration Trump. Il souhaiterait aussi s'engager dans une réforme complète de la loi sur l’immigration en vue de donner accès à la citoyenneté aux 11 millions d’immigrants illégaux établis au pays de longue date.

Deux jeunes enfants sont assis au sol, pendant que des gardes-frontières américains sont debout parmi un groupe de migrants.

Des familles de migrants écoutent les instructions des gardes-frontières américains avant d'entrer aux États-Unis par le pont piétonnier de Paso del Norte. Les États-Unis ne traduisent pas en justice les migrants qui franchissent la frontière par un point d'entrée officiel.

Photo : Reuters / Jose Luis Gonzalez

Il devra toutefois trouver la façon de concilier des intérêts divergents, soutient José Miguel Cruz.

La nouvelle administration devra trouver la façon de gérer le dossier des migrants d’une façon moins répressive, mais sans que ses rivaux politiques l’accusent d’ouvrir toutes grandes les frontières, affirme-t-il.

Si les démocrates ont toujours tenu un discours moins axé sur l'aspect sécuritaire et plutôt sur l’humanitaire, c’était avant tout une stratégie politique et, dans la pratique, ils ont souvent été très fermes, rappelle Guadalupe Correa-Cabrera.

Ainsi, Barack Obama est parfois appelé « le déporteur en chef » pour avoir fait expulser du pays 3 millions de migrants sans papiers. Cependant, il s’agissait avant tout de criminels déjà jugés, nuancent certains analystes.

Il doit y avoir un meilleur équilibre entre le contrôle et la protection, pense également Ariel G. Ruiz Soto, analyste au Migration Policy Institute, à Washington.

Les MPP doivent être annulés, affirme-t-il, mais ce doit être un processus graduel.

Le plus grand défi pour Joe Biden est d’envoyer un message qui exprime clairement que les États-Unis vont mieux gérer la situation, mais qu’ils ne vont pas ouvrir la frontière à tout le monde.

Une citation de Ariel G. Ruiz Soto, analyste au Migration Policy Institute, à Washington.

La politique migratoire dans la région a toujours été réactive, en réponse à des crises ponctuelles, mais on n’a jamais élaboré une vraie vision de la politique migratoire à long terme, dit M. Ruiz Soto. Selon lui, l'administration devrait notamment élargir le programme de visas qui permettent aux migrants de se rendre aux États-Unis temporairement pour y travailler dans certains secteurs spécifiques.

La migration illégale ne s'arrêtera jamais, mais il peut y avoir des façons de la réduire progressivement.

Une citation de Ariel G. Ruiz Soto, analyste au Migration Policy Institute, à Washington.
Des travailleurs récoltent les raisins d'un vignoble.

Il y aurait environ 12 millions de travailleurs sans papiers aux États-Unis, dont environ 8 millions ont un emploi dans des secteurs comme l'agriculture et la construction.

Photo : Associated Press / Rich Pedroncelli

Le gros problème, quand on parle d’immigrants clandestins, c’est la demande de main-d'œuvre, pense Mme Correa-Barrera. S’il n’y avait pas de travail aux États-Unis, les gens ne s'y rendraient pas, remarque-t-elle.

Il y a un double discours du côté américain : on dénonce l’immigration illégale, mais on profite de cette main-d’œuvre bon marché.

Les gens sont désespérés, c’est une réalité, sinon ils ne partiraient pas. Mais pourquoi s'en vont-ils aux États-Unis? Parce qu’ils savent qu'ils vont trouver du travail.

Une citation de Guadalupe Correa-Cabrera, professeure à l'Université George Mason.

Des attentes élevées pour le prochain président

Au sud de la frontière, les attentes sont grandes. Tant du côté des 70 000 demandeurs d’asile centraméricains qui attendent au Mexique que de la part des ONG.

Nous attendons une proposition spécifique pour l’Amérique centrale qui mette l’accent sur le renforcement des États et des institutions, note Natalia Ortiz, chercheuse à l’Institut centraméricain d’études sociales et de développement (INCEDES) à Guatemala.

Il est important, pense-t-elle, que le gouvernement nord-américain soit ouvert au dialogue et à l’écoute plutôt que de simplement imposer ses conditions. Les institutions des pays concernés doivent s’impliquer activement dans la lutte contre la corruption et l’impunité, soutient-elle.

Nous sommes optimistes, mais nous savons qu’il y a beaucoup de défis et l’un d’entre eux, ce sont nos propres institutions.

Une citation de Natalia Ortiz, chercheuse à l’Institut centraméricain d’études sociales et de développement (INCEDES).

Pendant les années Trump, les montants de l’aide américaine au développement étaient directement liés à la performance des États dans la contention des migrants. Or, cela n’a pas donné les résultats escomptés, déclare Ariel Ruiz Soto. Que le Mexique mette des agents d’immigration à la frontière avec le Guatemala, ça ne règle pas le problème ni les causes pour lesquelles les gens quittent leur pays, souligne-t-il.

Un homme poursuivi par des hommes en uniforme

Le gouvernement mexicain a renforcé la sécurité à sa frontière sud et tente d'empêcher le passage des migrants

Photo : Getty Images / ISAAC GUZMAN

L’administration républicaine a également signé de nouvelles ententes avec les gouvernements des pays du triangle nord en vertu desquelles ces États sont considérés comme des tiers pays sûrs pour les personnes fuyant la persécution dans leur pays d’origine.

Ils y ont été obligés, soutient José Miguel Cruz, en échange d’obtenir de l’aide américaine. Cela n’a aucun sens qu’un pays comme le Honduras soit considéré comme sûr pour des migrants en provenance d’autres pays alors qu’il ne peut même pas garantir la sécurité de ses propres citoyens.

Ce qu’il faudrait tenter de faire, d'après Natalia Ortiz, c’est de trouver des solutions à l’échelle régionale.

Notre région partage une histoire, remarque-t-elle. Il existe déjà des plateformes régionales à partir desquelles le dialogue et la collaboration avec les États-Unis pourraient avoir lieu.

Des problèmes structurels comme la lutte contre les narcotrafiquants et le crime organisé requièrent une réponse coordonnée au niveau régional et global.

Une citation de Natalia Ortiz, chercheuse à l’Institut centraméricain d’études sociales et de développement (INCEDES)

C’est également l’avis d’Ariel Ruiz Soto. La migration est un problème régional qui requiert des solutions régionales, affirme-t-il. Le défi du président Biden sera de travailler avec les gouvernements des pays du triangle du Nord afin de contrôler les niveaux de migration et pour qu’ils améliorent leur capacité à aider les migrants qui traversent leur territoire.

Il faut également, dit M. Ruiz Soto, que d’autres pays, comme le Canada, fassent leur part d'efforts en ce qui concerne les demandeurs d’asile.

En 2019, le Canada a reçu 938 demandes d’asile de personnes originaires du triangle nord, alors que les États-Unis en recevaient 132 787.

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