Les chefs médicaux et politiques devraient-ils se faire vacciner en priorité?
Ces figures publiques doivent utiliser leur influence pour combattre les hésitations liées au vaccin, disent des experts.
La Dre Bonnie Henry est devenue cette semaine la première médecin hygiéniste en chef d'une province canadienne à recevoir le vaccin contre la COVID-19.
Photo : La Presse canadienne / Chad Hipolito
On lisait son sourire derrière le masque. Devant les caméras présentes dans une clinique de l’île de Vancouver, Bonnie Henry est devenue cette semaine la première des médecins hygiénistes en chef du Canada à recevoir le vaccin contre la COVID-19.
Pendant que la Dre Henry essuie les reproches de ceux qui l'accusent de « sauter la file » au moment où les doses de vaccin sont limitées, des experts constatent que, pour la classe politique et médicale, l’équilibre est mince entre vouloir influencer positivement la population et abuser d'un « privilège élitiste ».
Pour autant, l'exercice médiatique d’une vaccination publique, hâtive, est crucial dans la lutte contre « l’hésitation antivaccin », soutient le professeur adjoint en communication Ahmed Al-Rawi, de l’Université Simon Fraser, à Vancouver.
À ce stade, les doses de vaccin sont trop précieuses
Le médecin urgentologue James Heilman termine une longue nuit de travail dans un hôpital de la Colombie-Britannique. Je suis un peu fatigué
, souffle-t-il.
Comme la majorité de ses collègues, il n’a pas encore reçu le vaccin contre la COVID-19, même s’il figure sur la liste des groupes prioritaires ciblés par la province.
L'urgentologue s’explique mal qu’un médecin hygiéniste en chef, dont le travail peut être effectué de manière virtuelle ou avec distanciation sociale, reçoive le vaccin avant ceux qui travaillent en contact direct avec des patients atteints du virus.
À ce stade, les doses du précieux vaccin sont incroyablement limitées
, dénonce-t-il.
Influencer et rassurer
Le message est que les vaccins sont importants
, a lancé sans détour la Dre Henry lors de sa vaccination. Un grand travail a été fait pour s'assurer que le vaccin fonctionne et qu'il est sûr, et je suis convaincue que c'est son cas.
Ce coup médiatique est une très bonne décision
, croit M. Al-Rawi. Très visible dans les médias, la Dre Henry a beaucoup d'admirateurs. C'est positif d'envoyer ce message, surtout parce qu'elle est médecin
, ajoute-t-il.
Si quelqu'un peut servir d’exemple et convaincre que le vaccin est sans danger et qu’il devrait être pris
, c’est elle, ajoute le président de l’agence de relation publique Hoggan and Associate, John Hoggan. Lorsque vous avez quelqu'un qui est très connu, admiré, avec une grande réputation, cela a une énorme influence.
Or, pour le Dr Heilman, cet argument ne tient pas la route, puisque le vaccin n’est pas encore offert à la majorité de la population.
Les travailleurs de la santé n’ont pas besoin d’être convaincus de prendre le vaccin
, affirme-t-il. Nous sommes tous extrêmement enthousiastes à l'idée de nous faire vacciner.
Le problème à ce stade, ce n’est pas les antivaccins; le problème, c’est le manque d'approvisionnement en vaccins.
Les premiers ministres devraient-ils attendre leur tour?
Le Dr Heilman se dit rassuré en entendant le premier ministre Justin Trudeau affirmer qu’il préfère attendre son tour pour se faire vacciner contre la COVID-19.
Cette stratégie de communication a d'ailleurs été reprise par plusieurs de ses homologues provinciaux, notamment par le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, celui de la Saskatchewan, Scott Moe, et celui de l’Alberta, Jason Kenney.
Ne pas vouloir se faire vacciner en priorité est valable
, reconnaît M. Al-Rawi. Après tout, rappelle-t-il, le vaccin est un privilège dont certains ne pourront se prévaloir. Il y a donc des inégalités, une sorte de dynamique de pouvoir.
Il n’en reste pas moins que ces figures publiques devraient exploiter leur influence médiatique pour façonner l’opinion publique, dit-il.
Lorsque vous voyez une personnalité publique se faire vacciner à la télévision, cela envoie un message très fort.
Confiance et transparence
De l'avis de M. Hoggan, la participation des politiciens dans la lutte contre les antivaccins est d’autant plus importante qu'ils sont en partie responsables du sentiment généralisé de méfiance au sein de la population
.
Je pense qu’il est intéressant de noter que cette hésitation à propos des vaccins est en partie enracinée dans une méfiance générale que nous avons et qui est insufflée par les dirigeants politiques
, fait-il valoir.
Peu importe la stratégie qu’adopte la classe politique et médicale, elle doit s’accompagner de la plus haute transparence, croit M. Al-Rawi.
Si la stratégie consiste à rassurer le public et à lutter contre les hésitations liées au vaccin, ça doit être clairement énoncé. On ne doit pas laisser les gens le deviner.
Le Dr Heilman convient qu’il y aura un travail de persuasion publique à faire. Il espère que les travailleurs de la santé pourront y prendre part.
Espérons qu'avec tous les travailleurs de la santé de première ligne qui ouvrent la voie et se font vacciner, nous serons en mesure de convaincre plus de gens.
Mon souhait, c'est que tout le monde se fasse tôt ou tard vacciner
, conclut-il.