2020, une année de mobilisation contre les statues controversées

Des protestataires ont volontairement fait tomber la statue de John A. MacDonald, place du Canada, à Montréal, l'été dernier. La tête du monument s'est alors détachée.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Elles ont été aspergées de peinture ou encore déboulonnées en 2020. Les statues controversées sont devenues la cible des militants antiracistes, un peu partout au pays. Avec le vandalisme à répétition dénonçant l’héritage de certains personnages historiques, les gouvernements cherchent, en coulisse, des solutions de rechange.
Ne cherchez plus la statue de Sir John A. Macdonald devant la législature ontarienne. Elle a été dissimulée derrière de grands panneaux de bois. L’Assemblée législative n’a toujours pas déterminé ce qu’il adviendra du monument, érigé à l'entrée de Queen’s Park en 1894.
John A. Macdonald est l’un des Pères fondateurs de la Confédération. Au pouvoir de 1867 à 1873 et à nouveau de 1878 à 1891, il a établi le programme des pensionnats autochtones et adopté la Loi sur les Indiens.
Nous l’avons recouverte pour la protéger et elle le restera pour le moment
, indique le président de l’Assemblée législative, Ted Arnott. Sous sa gouverne, un panel de députés sera formé pour se prononcer sur le sort de la statue. Une première rencontre est prévue en janvier.
Mais déjà, Ted Arnott ne cache pas sa préférence pour le statu quo : Toutes les statues qui se trouvent actuellement sur notre terrain sont là pour une raison
. Il dit toutefois comprendre le malaise associé à certaines figures politiques, dont le père de la Confédération. En plus des hostilités envers Sir John A. Macdonald, les statues de Egerton Ryerson et celle du Roi Édouard VII ont aussi été saccagées dans la dernière année à Toronto.
Le mouvement Black Lives Matters s'en est pris aux statues d'anciens politiciens pour communiquer ses revendications.
Il faut détruire les monuments qui représentent l'esclavage, le colonialisme et la violence (traduction libre).
C’est du mal qui nous a été fait et le mal n'a pas vraiment été corrigé
, explique France Picotte, qui milite pour la reconnaissance des droits des Métis en Ontario. Malgré les années qui passent et les promesses répétées des élus, les minorités continuent d'être victimes de discrimination, mais de manière plus moderne
, ajoute-t-elle.
Le gouvernement ontarien n’est pas le seul à se retrouver avec le casse-tête des statues jugées offensantes. La Ville de Montréal est dans une situation similaire depuis le déboulonnage de John A. Macdonald, place du Canada.
Un comité pluridisciplinaire devra se prononcer sur l’avenir de la statue montréalaise, lourdement endommagée lors de sa chute. La statue de John A. Macdonald est présentement entreposée dans des locaux fermés au public pour être analysée par des spécialistes en restauration. Nous attendons leur rapport
, précise la chargée de communication à la Ville, Anik de Repentigny.
À Victoria, le conseil municipal s'est débarrassé en 2018 de sa statue, mais le retrait du monument avait divisé les citoyens et provoqué des manifestations. Une preuve que l’élimination complète des monuments commémoratifs ne fait pas l’unanimité.
Il y a plusieurs façons d’intervenir sur un monument. Je crois que les enlever complètement de la sphère publique pose problème, mais il faut toujours être sensible sur l’effet qu’ont ces monuments sur les populations concernées
, explique la professeure en histoire de l’art et muséologie à l’UQAM , Jennifer Carter.
La Commission permanente de l’art public de Montréal plaide aussi pour la préservation des statues. La Commission a partagé une série de constats à la suite d’un forum public intitulé Entre raison et tension — L'art public à l'épreuve de la commémoration corrigée, organisé en octobre 2019.
La Commission estime qu'il faut favoriser la pratique additive
sur les monuments commémoratifs, c'est-à-dire d’ajouter de la contextualisation à l'œuvre, en supprimer le moins possible
.
Plutôt que d’éliminer les personnages controversés des parcs et des places publiques, pourquoi ne pas modifier les monuments qui leur sont dédiés? Une occasion de remettre les pendules à l’heure sur leur contribution et les injustices dont ils sont responsables.
La ligne d’action la plus privilégiée est celle d’ajouter de nouvelles couches de signification, de nouveaux projets, et non pas d’en supprimer.
On peut envisager l'addition par un contre monument qui va explorer l’histoire d’une autre manière, d’une autre perspective, in situ
, ajoute Jennifer Carter.
Dans le cas de Sir John A. Macdonald, l'exercice permettrait de porter un regard sur les séquelles dévastatrices des pensionnats [autochtones]
. Ceci dit, Jennifer Carter affirme que chaque monument doit être analysé individuellement, en consultation avec les communautés concernées.
À l’avenir, la Commission recommande de désindividualiser
les statues pour qu’elles représentent des thématiques, des actions conjointes, des mouvements populaires, des causes
plutôt que des personnages. Le choix prudent
serait de célébrer la contribution de plusieurs individus.
Une entreprise coûteuse
L'ajout d'un monument, sa relocalisation ou son retrait sont toutes des options qui coûtent cher, rappelle le président de l’Assemblée législative, Ted Arnott. La révision du catalogue de statues pourrait en effet devenir une entreprise coûteuse et prendre beaucoup de temps.
Moi, je dirais que ça coûte plus cher de les laisser en place, plus cher non seulement en termes financiers, mais symboliques, humains à tous les égards
, répond Jennifer Carter.
Oui [la révision] ça risque d’être long, mais à mon sens, il faut bien entamer ce processus que de ne pas l’entamer, parce que c’est la chose juste, l’action juste.
Des militants pour les droits des autochtones se demandent d’ailleurs si les fonds publics ne seraient pas mieux utilisés autrement.
Si France Picotte comprend le malaise qu'évoquent ces statues controversées, elle préfère cependant que les gouvernements investissent dans des programmes sociaux à la place et qu'on évite de consacrer des milliers de dollars à la modification des monuments existants.
Dépenser de l'argent pour faire de vraiment belles statues qui honorent notre nation ou nous autres comme nation indigène, pourquoi ne pas mettre cet argent-là sur le problème d'eau [potable]
, indique-t-elle.