La science, grande gagnante de la pandémie
Selon le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, la science a été en quelque sorte la vedette de cette pandémie.

Gary Kobinger est directeur du Centre de recherche en infectiologie de l'Université Laval et il siège aussi au comité-conseil de l'OMS sur la pandémie.
Photo : Radio-Canada / Guylaine Bussière
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Depuis presque un an, des chercheurs à travers le monde travaillent à un rythme effréné dans l’espoir de vaincre la COVID-19. Malgré un afflux de fausses nouvelles à propos de la pandémie, les scientifiques croient que le public a désormais une plus grande compréhension et une meilleure appréciation du processus scientifique.
S’il constate certains ratés dans la gestion de cette crise sanitaire, le scientifique en chef du Québec se dit très impressionné par le travail des chercheurs à travers le monde. Ce qu'on a réussi avec le vaccin, c'est assez exceptionnel
, se réjouit Rémi Quirion.
Il rappelle qu’il y a moins d’un an, le SRAS-CoV-2 n’était pas du tout connu de la communauté scientifique. Si le défi de trouver des réponses rapides à ce nouveau virus était angoissant, il a été aussi très stimulant pour les scientifiques.
De nombreux chercheurs ont mis de côté certains de leurs projets pour consacrer tous leurs efforts à contrer la menace mondiale.
En quelques semaines seulement, le pathogène a été identifié et les séquences génétiques ont été partagées. Le gouvernement canadien a accéléré les permis pour les laboratoires étudiant le SRAS-CoV-2, puis l’autorisation d’urgence pour le vaccin. Ainsi, des vaccins efficaces ont été découverts en un temps record.
On a vu un exploit jamais pensé possible avant la COVID-19. La génération de plusieurs vaccins, du concept jusqu'à un programme de vaccination, en moins d'un an, est vraiment incroyable
, dit le directeur du Centre de recherche en infectiologie de l'Université Laval, le Dr Gary Kobinger.
M. Quirion ajoute que les chercheurs ont également accéléré l’innovation dans plusieurs domaines autres que la santé, comme la technologie et les télécommunications. Par exemple, les chercheurs ont fait d’importantes avancées technologiques pour améliorer l'efficacité des respirateurs et de l’équipement utilisés pour l’intubation.
Le scientifique en chef n’est toutefois pas surpris qu'autant d'innovations aient vu le jour en si peu de temps. Selon lui, la science a toujours avancé à pas de géant lors de grandes crises internationales.
« Si l’on pense à la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu énormément de nouvelles technologies qui ont été développées pour la défense et l’armée, mais qui ont servi au public, comme les ordinateurs. »
Une année marquée par la collaboration
Une des raisons qui expliquent pourquoi les chercheurs ont réussi à faire d’importantes avancées scientifiques est une collaboration internationale sans pareille.
Les gens ont beaucoup travaillé en sciences ouvertes. Ça a assuré des progrès beaucoup plus rapides qu'en temps normal
, explique Rémi Quirion.
Il dit avoir été surpris de constater que même certaines compagnies pharmaceutiques ont accepté de collaborer pour résoudre ce mystère virologique.
La majorité des chercheurs ont par ailleurs mis leur esprit compétitif de côté pour le bien commun, ajoute M. Kobinger.
On a vu que dès que le nouveau virus est apparu, le génome a été séquencé rapidement, ça a été mis sur la place publique par les équipes chinoises, souligne-t-il. Il y a eu des échanges de matériel, de connaissances, énormément d'informations circulaient, ce qu'on n'a pas vu très très souvent [dans le passé].
« La pandémie a amené la collaboration en recherche à un autre niveau. »
Cette crise a démontré à quel point la collaboration est plus efficace que la compétition pour l’avancement de la science, se félicite M. Quirion. Il souhaite que cette coopération mondiale se poursuive après la pandémie.
Est-ce qu'on va retourner dans nos vieux souliers après? se demande-t-il. Du côté de la science, j’espère que non. J’espère qu’on aura réalisé les avantages de travailler en équipe, de partager les connaissances le plus rapidement possible en science ouverte. En bout de ligne, tout le monde y gagne.
Il espère aussi que les gouvernements ont réalisé l’importance de financer la science et la technologie pour faire face à différentes crises mondiales. Par exemple, il déplore le fait qu’après l’épidémie du SRAS, le financement en virologie ait énormément diminué.
Ça a été une erreur de penser qu’on avait tout compris des virus
, déplore le scientifique en chef du Québec.
La prochaine catastrophe peut venir de n’importe où, tient-il à rappeler. C’est pourquoi les politiciens devront appuyer tous les secteurs de la science.
L’équilibre entre science et politique
Selon le scientifique en chef du Québec Rémi Quirion, au cours des derniers mois, plusieurs élus ont été sensibilisés à l’importance de la méthode scientifique, à la recherche et à la science.
Toutefois, trop de politiciens ont choisi d’ignorer la science, au grand dam du Dr Kobinger. Toutes les erreurs qu'on a vues [au cours de la pandémie], c'était souvent à cause de décisions politiques qui n'étaient pas assises sur la science solide
, déplore-t-il.
Le Dr Kobinger, qui siège aussi au comité-conseil de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la pandémie, affirme que toutes les réponses aux épidémies sont trop politisées. Ce fut le cas pendant l’épidémie d’Ebola en Afrique et c’est le cas maintenant.
« Les politiciens pensent en termes de réélection. Ils pensent surtout en termes de perfection. Et il n'y a rien de parfait aux réponses aux épidémies. C'est impossible. Parce que la science et la connaissance évoluent. »
En fait, il critique les gouvernements qui ont tardé à modifier leurs messages ou leurs stratégies au fur et à mesure que les chercheurs faisaient de nouvelles découvertes à propos du virus.
Selon lui, l’une des plus grosses erreurs des politiciens est d’avoir tardé à recommander le port du masque.
Les masques ont été rejetés pendant des mois, alors qu'il n'y avait aucune science qui supportait le rejet. À l'inverse, la science en supportait l'utilisation, puisqu’il n'y avait pas d'effets néfastes [au port du masque], souligne-t-il. C’est l'exemple typique d'une recommandation de santé publique qui n’est pas assise sur la science et qu'on ne veut plus changer parce qu'on a peur de mal paraître.
Le Dr Kobinger estime qu’il aurait été plus prudent pour les politiciens d’expliquer au public, dès le début, que la science évolue et que les décisions politiques évolueraient elles aussi. On doit dire qu’on prend des décisions au meilleur de notre connaissance.
Il ajoute que certains scientifiques et experts en santé publique n’ont pas pu être suffisamment indépendants.
« Même l'Agence de la santé publique du Canada – qui a fait du travail exceptionnel – est malheureusement un bras du gouvernement. Je pense qu’ils auraient mieux fait avec les masques, les voyages, s'ils avaient été indépendants. »
Le Canada aurait été mieux servi par un groupe-conseil qui est apolitique pour faire des recommandations basées sur la science aux gouvernements, estime M. Kobinger. Si le gouvernement va à l'encontre de ces recommandations, il doit expliquer pourquoi
, souligne-t-il, pour faire valoir l'avantage d'une telle approche.
La soif de comprendre l’emporte sur la désinformation
Et pourtant, le public avait une soif immense d’avoir des explications scientifiques pour mieux comprendre le virus.
Ainsi, la science n’a jamais été aussi présente sur la place publique qu’en 2020, croit M. Kobinger. La quantité phénoménale d’informations et de données rapportées par les médias ont contribué à rehausser le discours scientifique entourant la pandémie.
Les gens demandent maintenant : "c'est quoi la science là-dedans? C'est quoi les évidences expérimentales?" Ils veulent des données. Les gens ont reconnu l'importance du raisonnement scientifique, d'avoir un support de données solides. Ça, c’est fort
, dit le Dr Kobinger.
Plus les gens ont accès à de l’information crédible et de qualité, plus ils deviennent habiles à différencier l'information scientifiquement solide de l'information qui est spéculative ou une légende urbaine, souligne-t-il.
De plus, de nombreux experts en santé ont fait un travail colossal de vulgarisation scientifique sur les réseaux sociaux.
On n'aura jamais eu autant de monde qui comprend c'est quoi un ARN et à quoi ça sert! Si on avait tenté avant la pandémie d'expliquer à la population mondiale la différence entre l'ADN, l'ARN et les protéines, on n’aurait jamais réussi aussi bien que maintenant
, explique le Dr Kobinger en guise d'exemple.
Bien sûr, beaucoup de fausses informations ont circulé depuis les derniers mois, tant à propos de l’origine du virus que de l’efficacité du vaccin. Aussi, le scientifique en chef du Québec Rémi Quirion croit qu’il y a un encore un énorme travail à faire pour s’assurer que la bonne information circule.
« Quand on parle d’un petit groupe de personnes qui disent que la terre est plate, ce n’est pas si dangereux. Mais la désinformation par rapport au virus, au vaccin, ça devient très dangereux. Quand 30 % de nos concitoyens disent qu’ils ne veulent pas être vaccinés, ça commence à être un problème. »
Ce type de désinformation survient à chaque fois qu’il y a une crise sanitaire, tient à rappeler le Dr Kobinger qui, avec son équipe, a conçu un vaccin contre l'Ebola (Nouvelle fenêtre).
Ce médecin, qui a été sur le terrain en République démocratique du Congo pendant l'éclosion de ce virus hémorragique mortel, voit un parallèle entre la désinformation qui circulait lors de l'épidémie d'Ebola et lors de cette pandémie.
Les gens en Amérique du Nord riaient des personnes en Afrique qui disaient que l'Ebola n'existait pas, même s’il y avait une épidémie, rappelle-t-il. Or là, on voit le même phénomène aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Même si de nombreux internautes font circuler de fausses informations à propos du virus et de la pandémie, M. Quirion croit que la crédibilité des chercheurs et de la cause scientifique est encore très élevée.
Au Canada, globalement, il y a un très bon respect pour leur travail
, dit-il, tout en ajoutant qu’il faut demeurer vigilant quant à l’émergence de phénomènes conspirationnistes.
Pour sa part, le Dr Kobinger est optimiste et pense que les Canadiens pourront retourner à une certaine normalité d’ici l’été.
Mais d'ici là, les scientifiques devront poursuivre leur travail de vulgarisation et de communication. Ainsi, il sera plus facile de convaincre la population de se faire vacciner et de continuer à suivre les mesures sanitaires en place.