Le Protecteur du citoyen presse Québec d'améliorer la situation dans les CHSLD

Des préposés en tenue de protection au CHSLD Herron, durement frappé par la pandémie le printemps dernier.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Québec ne peut plus repousser des décisions permettant d’assurer que les droits et la dignité des personnes qui vivent dans des CHSLD soient respectés, conclut le bureau du Protecteur du citoyen dans un rapport intermédiaire publié jeudi.
Considérant ce que la pandémie nous a enseigné, aucun retard n’est maintenant acceptable dans les décisions qui permettent de passer à l’action
pour y parvenir, peut-on y lire.
Le document en question est un rapport d’étape publié dans le cadre d’une enquête spéciale lancée en mai par la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, pour étudier la façon dont Québec a géré la première vague de la COVID-19 dans les CHSLD.
« En ce 10 décembre, la pandémie est encore parmi nous et continue de faire des victimes. Les données ne nous rassurent toujours pas. Il faut que le bagage acquis au fil de la première vague contribue à implanter des changements fiables et durables pour protéger et rassurer les personnes vulnérables [en] CHSLD. »
Disant vouloir donner la parole à des témoins directs de la crise, le rapport d’une vingtaine de pages ne contient pas de révélations-chocs, mais souligne plusieurs manquements déjà constatés et propose cinq priorités d’action au gouvernement Legault.
Selon la protectrice du citoyen, les premiers éléments d’enquête permettent ainsi d’affirmer que les CHSLD ont été l’angle mort
de la préparation à la pandémie, les efforts s’étant massivement
concentrés sur les hôpitaux.
La menace que représentait le coronavirus dans les CHSLD a été nettement sous-évaluée
par les autorités, ajoute-t-elle. Qui plus est, les CHSLD n’étaient pas outillés pour donner des soins de la même intensité qu’à l’hôpital; or, c’est ce qu’on attendait d’eux au plus fort de la crise
.
Elle souligne en outre que les équipements ont été insuffisants et distribués de façon inégale
, que la mobilité du personnel a contribué à la propagation
du virus, et que la mise à l’écart des proches aidants a porté un dur coup
à la santé mentale et physique des résidents.
Elle réitère par ailleurs que des soins et des services de première nécessité – hygiène, aide à l’alimentation et à la mobilité, hydratation – ont été reportés ou annulés
, que les renforts sont arrivés tardivement et que le pouvoir décisionnel en CHSLD était éloigné du terrain des éclosions
.
Les cinq priorités d'action identifiées par le Protecteur du citoyen
- Centrer les soins et les services en CHSLD sur les besoins des usagers et usagères en misant sur l’humanisation des soins et la valorisation des personnes proches aidantes;
- Assurer la stabilité des effectifs dans les CHSLD et la présence de personnel en nombre suffisant;
- Poursuivre la mise en place, dans chaque CHSLD, d’une ou d’un gestionnaire de proximité en mesure d’exercer un leadership local fort;
- Implanter dans les CHSLD une culture rigoureuse en matière de prévention et de contrôle des infections qui soit connue de tous et toutes;
- Renforcer les canaux de communication, tant sur le plan local et régional que national, pour diffuser des informations et des directives claires et faciliter le partage des meilleures pratiques.
« De manière très franche et très sincère, j’ai eu beaucoup de difficulté comme protectrice du citoyen à vivre cette première vague. J’ai encore de la difficulté, parce que j’aurais souhaité que le gouvernement solidifie les milieux d’hébergement de manière graduelle, dès le moment où on a levé le drapeau. »
C'était comme mettre le feu dans les CHSLD
La protectrice du citoyen a aussi indiqué que le gouvernement n’a pas apprécié justement l’impact du transfert de patients des centres hospitaliers vers les CHSLD
lors de la première vague, minant du coup la capacité des CHSLD, déjà en pénurie de personnel, à prendre soin de leurs résidents.
Donc on est venu ajouter à leur capacité des personnes résidentes et au surplus, en faisant ça, il y a eu pour les CHSLD une difficulté à contenir les éclosions, parce que lorsque les transferts ont eu lieu, on n’avait pas testé les personnes qu’on transférait. On ne les a pas isolées non plus.
À un moment donné, on a cessé cette pratique parce qu'on constatait que ça n'avait aucun sens. C'était comme mettre le feu dans les CHSLD
, a-t-elle commenté.
« On a rempli les CHSLD, ce qui fait que dès le moment où il y a eu des éclosions, on n’a pas pu isoler les personnes qui étaient positives des autres. [Et] les CHSLD sont souvent des établissements vieillots, d’anciens hôpitaux [avec] des chambres communes. »
C’est cet ensemble de méconnaissance du milieu des CHSLD qui a fait en sorte de créer cette crise aiguë par du délestage [alimenté] par le fait aussi qu’il n’y avait pas de gestionnaires de proximité, ce qui fait en sorte qu’on ne connaissait pas l’état des lieux avant de transférer les personnes.
La mobilité de personnel est venue aggraver la situation, ajoute Marie Rinfret. On transférait le personnel d’un CHSLD à l’autre, et même dans un même CHSLD, il y a eu de la mobilité de personnel entre étages, entre les zones chaude et froide
, indique-t-elle, évoquant un cocktail explosif
.
Selon Mme Rinfret, le personnel soignant dans les CHSLD a d'ailleurs vécu beaucoup de désarroi, beaucoup de détresse [et] apprenait souvent les consignes lors de points de presse
du gouvernement. Elle a cependant souligné leur immense dévouement
dans la tempête.
En n’ayant pas de gestion de proximité, pas de gestionnaire qui coordonne, pas de gestionnaire qui partage l’information auprès des autorités des CISSS et des CIUSSS, ils ont été les parents pauvres lors de la distribution des équipements
, souligne-t-elle.
Selon la protectrice du citoyen, certains CHSLD n'ont toujours pas de tels gestionnaires à l'heure actuelle.
L’éviction des proches aidants a eu un impact majeur
En conférence de presse, Marie Rinfret a précisé que l’interdiction de visites des proches aidants dans les CHSLD a eu des conséquences néfastes
, qui ont entraîné des cas d’anxiété et de détresse majeure chez les personnes hébergées et les familles
.
L’interdit de visite des proches aidants a eu un impact majeur sur les personnes hébergées, d’abord en termes de sécurité
, a-t-elle précisé ultérieurement.
Souvent les proches aidants sont le repère de la personne hébergée pour assurer la continuité des soins, pour être certains que ces besoins sont bien compris de la part du personnel soignant.
« L’impact chez des personnes hébergées a été tel que certaines d’entre elles ont été complètement désorganisées, et ça a pu causer des effets irrémédiables, malheureusement. »
Selon Mme Rinfret, les proches aidants doivent être considérés comme de véritables partenaires
du personnel soignant, et leur travail doit être valorisé
dans une perspective d’humanisation des soins.
Il y a du personnel soignant qui a dû choisir entre deux résidents ou résidentes pour leur donner les soins de confort. [...] Il y a des milieux de vie ou les personnes qui étaient sur place n’avaient pas la formation pour offrir ces soins de confort.
« Il y a des endroits où on a constaté que des personnes sont décédées seules. Pour ma part, je ne considère pas qu’il s’agit de personnes qui sont mortes dans la dignité. »

Québec ne peut plus repousser des décisions permettant d’assurer que les droits et la dignité des personnes qui vivent dans des CHSLD soient respectés, conclut le bureau du Protecteur du citoyen dans un rapport intermédiaire publié jeudi. Entrevue avec la protectrice du citoyen, Marie Rinfret.
Je prends ma part de responsabilité
, dit Legault
Tout le monde s’entend pour dire qu’on n’en a pas assez fait pour nos aînés dans les dernières années
, a commenté le premier ministre François Legault dans un message publié sur sa page Facebook en milieu d'après-midi.
« On a le devoir de traiter nos aînés avec dignité, avec respect, avec humanité. Mais depuis plusieurs années, nos CHSLD manquent de financement et de personnel. Tous les gouvernements qui se sont succédé sont responsables de ça, incluant le mien. Je prends ma part de responsabilité. »
Le premier ministre réitère que, si c’était à refaire, il aurait augmenté les salaires des préposés aux bénéficiaires plus rapidement. Il rappelle aussi l'effort de recrutement de nouveaux préposés aux bénéficiaires de son gouvernement et sa volonté de construire des Maisons des aînés
.
Avec notre plan de deuxième vague, on a déjà pris en compte les recommandations que la protectrice du citoyen fait aujourd’hui
, ajoute-t-il, avant d'indiquer que le sort des aînés est une priorité
de son gouvernement.
En entrevue à Radio-Canada, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, dit pour sa part accueillir le rapport avec beaucoup d'humilité
.
Nous prenons notre part de responsabilité, évidemment
, a-t-elle ajouté, après avoir plaidé que le gouvernement a déjà beaucoup appris de la première vague
.
Selon elle, ce qui s'est produit dans les CHSLD s'explique par un ensemble de facteurs : culture d'hospitalo-centrisme, CHSLD négligés pendant des années, compressions en santé publique, pénuries de personnel, etc.
« Je crois qu’on a mis en place plusieurs éléments qui font partie du rapport […] et je peux vous assurer que nous allons prendre en considération toutes les recommandations du Protecteur du citoyen. »
Mme Blais dit qu'elle regrette particulièrement la décision d'interdire l'accès des proches aidants au CHSLD.
C’était vraiment une décision crève-cœur. Mais en même temps, je comprends pourquoi on l’a fait. C’était vraiment presque au tout début. Et on voulait vraiment protéger [le personnel] et on n’avait pas assez de matériel de protection pour les proches aidants. Maintenant, on l’a
, a-t-elle dit.
On ne pourra pas passer à côté d'une enquête publique
L'opposition, elle, demande une enquête publique, à la lumière de ce rapport, sur la gestion gouvernementale de la pandémie. On ne pourra pas passer à côté
, a estimé le péquiste Harold Lebel, jeudi.
Il y a eu 4000 décès ce printemps
, a rappelé en Chambre le député de Rimouski, en matinée. Les résidents des CHSLD, les proches aidants, le personnel soignant ne méritent-ils pas une enquête publique, une vraie enquête publique, autant que les victimes du viaduc de la Concorde à Laval?
, a-t-il demandé.
« On ne s'est pas donné de vision sur le vieillissement de la population. On a une des populations qui vieillit le plus dans le monde, mais on ne s'est jamais arrêté pour se demander comment on fait pour adapter notre société au vieillissement de la population. »
Dès que la pandémie va s'apaiser, il va falloir revoir en profondeur le modèle
, a déclaré pour sa part le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois.
Un rapport final dans un an
Le rapport final de la protectrice du citoyen dans cette enquête doit être remis à l’automne 2021. Il doit permettre de présenter des pistes de solution pour préparer les CHSLD à affronter de futurs épisodes similaires et, plus généralement, pour améliorer l’organisation des soins et des services qui y sont offerts.
Mme Rinfret avait déjà conclu dans son rapport annuel 2019-2020, publié en septembre, que le drame incommensurable
qui s'est produit dans les milieux de vie pour aînés avait été amplifié par l'inaction gouvernementale des dernières années.
On a pointé du doigt la pénurie de personnel, l’épuisement des effectifs, le manque d’intervenants qualifiés, la vétusté des lieux. Ces problèmes se sont manifestés plus durement qu’à l’habitude, mais ils existaient auparavant et avaient été souvent rapportés au cours des décennies précédentes
, indiquait-elle.
En date du 8 décembre, Québec compilait 4573 décès survenus dans des CHSLD ou des unités de soins de longue durée des centres hospitaliers depuis le début de la pandémie, 1319 dans les résidences pour personnes âgées et 379 autres dans des ressources intermédiaires.