La survie du caribou de la Gaspésie est de plus en plus précaire

Il resterait entre 40 et 50 caribous montagnards au Mont-Albert dans le parc de la Gaspésie (archives).
Photo : Radio-Canada / William Bastille-Denis
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il ne reste environ qu’une cinquantaine de caribous montagnards en Gaspésie selon le dernier rapport du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, réalisé à l'hiver dernier et à l'automne 2019.
La réalité est qu’on est probablement plus près de 40 individus
, évalue le professeur titulaire en écologie animale de l'Université du Québec à Rimouski, Martin Hugues-Saint-Laurent.
C'est beaucoup moins que le recensement de 2018 qui estimait le troupeau de caribous à un peu plus de 70 bêtes.
Martin Hugues-Saint-Laurent n’est pas surpris. Il estime que les mesures de protection malheureusement trop timides
ne permettaient ni la stabilisation ni la croissance du troupeau.
Il évalue maintenant la survie du troupeau tout au plus à une vingtaine d'années si rien n'est fait pour protéger l'espèce.
À partir du moment où on franchit le cap mythique de moins de 50 animaux, c’est très embêtant. Tous les voyants rouges sont allumés.
Un déclin accéléré
Le chercheur explique que la spirale du déclin s’accélère souvent dans les populations de petite taille.
Elles sont plus sensibles aux aléas environnementaux. Trois caribous pris dans une avalanche, deux individus frappés par une voiture, subitement vous venez de perdre 10 % de ce qu’il vous reste de caribous
, illustre-t-il.
Les possibilités d’intervention sont aussi moins nombreuses. On a perdu beaucoup de marge de manœuvre au cours des dernières décennies, soit avec des actions trop timides, soit avec de l’inaction tout simplement. Donc, on est vraiment le dos dans les câbles.

Les caribous qui fréquentent le parc de la Gaspésie ne sont plus qu'une cinquantaine.
Photo : Radio-Canada
La prédation par l’ours ou par le coyote demeure un des principaux obstacles au rétablissement de la population de caribous de la Gaspésie. C’est une prédation accentuée par la qualité de l’habitat qu’on a offert aux prédateurs et aux proies alternatives
, souligne Martin-Hugues Saint-Laurent.
Le chercheur et son équipe ont établi que 50 % des forêts matures autour du parc de la Gaspésie ont disparu au cours des 30 dernières années.
On est allé à l’encontre de ce que ça prenait pour maintenir des caribous en place.
De nouvelles interventions
Que ce soit pour les autres troupeaux en déclin à Val-d’Or et à Charlevoix ou pour celui de la Gaspésie, le chercheur croit malgré tout qu’il n’est pas trop tard pour intervenir et stopper la coupe forestière dans l’aire de répartition des bêtes et, à plus long terme, rétablir les habitats.
Mais à court terme, poursuit Martin Hugues Saint-Laurent, c’est probablement une intensification du contrôle des prédateurs, de la garde en captivité d’une partie de la population pour assurer la survie des jeunes caribous.

La harde de Val-d'Or qui compte moins de 10 individus a été mise en enclos afin de la protéger.
Photo : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
L’introduction de nouvelles bêtes dans le cheptel afin de le soutenir, n’est pas exclue non plus.
2019 a tout de même été une bonne année de reproduction pour le troupeau qui fréquente les monts McGerrigle et le secteur du mont Jacques-Cartier.
C’est moins vrai pour les autres sous-groupes du cheptel, dont les petits ne survivent pas.
D’où le recours à des mesures pour permettre à ses faons de survivre
, commente le biologiste du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Mathieu Morin.
Un enclos pour les femelles en gestation
Mathieu Morin travaille sur un projet d'enclos pour les femelles en gestion qui pourrait être implanté en Gaspésie l'été prochain. Le biologiste précise qu’il s’agit d’une mesure extrême qui se justifie seulement en raison du petit nombre de bêtes.
Il est encore trop tôt pour dire où en Gaspésie sera construit cet enclos, ni quelle sera sa dimension, ni combien il coûtera.
La mesure demande par contre beaucoup de préparation. C’est une forme de captivité, observe le biologiste, il faut s’assurer qu’ils aient de la nourriture adéquate, des sources d’eau. S’il y a des maladies qui se présentent, il faut être en mesure de les soigner, leur prodiguer des soins.
Le succès de cette intervention sur la régénération du troupeau repose avant tout sur la restauration de l’habitat, préviennent à la fois le biologiste du ministère et le chercheur Martin-Hugues Saint-Laurent.

Le coyote est un prédateur important des jeunes caribous et des individus plus vulnérables (archives).
Photo : Getty Images / Chuck Schug Photography
La sortie de l’enclos est aussi indissociable d’une intensification du prélèvement des prédateurs afin de protéger les faons. Il ne faut pas que ce soit une mesure intérimaire qui fait qu’au lieu de les faire mourir dans la nature, on les fait mourir dans un enclos
, commente M. Saint-Laurent.
L’idée de construire des enclos pour les femelles en gestation pourrait aussi être aussi mise en application dans Charlevoix où le troupeau a atteint le seuil critique de 19 animaux.
La mesure fait partie d'une stratégie plus vaste pour protéger l'espèce qui doit être rendue publique en 2021.
En attendant, en Gaspésie, le ministère poursuit l’application de mesures comme l’accélération du programme de piégeage ou celles visant la préservation des massifs forestiers fréquentés par le caribou.
Avec les informations de Jean-François Deschênes