Quel est l’état de la ventilation dans nos bâtiments?
Difficile à dire. Au Canada, les normes des codes du bâtiment en vigueur aujourd'hui ne s’appliquent qu'aux nouvelles constructions et aucun organisme réglementaire n’en supervise l’entretien.

Avec l'arrivée de l'hiver, la ventilation est le nouvel angle d'attaque dans la lutte contre la pandémie de COVID-19.
Photo : Radio-Canada / Charlie Debons
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La transmission par aérosols du coronavirus fait craindre le pire à l’approche de l’hiver et met à l’avant-plan l’importance de bien ventiler les endroits très achalandés. Que se fait-il déjà et quels sont les défis qu’amène la pandémie de COVID-19?
Avec l’apport d’air extérieur, on ne se trompe pas
, lance d’entrée de jeu Eddy Cloutier, directeur du développement durable et de l’efficacité énergétique à la firme de génie-conseil Bouthillette Parizeau.
Comme avec n’importe quel polluant, la meilleure façon de s’en débarrasser, c’est de le diluer. Et quand on dit apport d'air extérieur, ça sous-entend aussi qu’on évacue l'air contaminé en même temps
, souligne l’ingénieur.
La ventilation est donc bénéfique dans la lutte contre le coronavirus, comme le démontrent nos quatre mises en situation basées sur un modèle mathématique.
Normes pour la construction
Dans le code de construction de chaque province, un chapitre est consacré aux normes à suivre en matière de ventilation (mais aussi de chauffage et de climatisation).
Il s’agit en fait d’une série de références techniques que les ingénieurs consultent au moment de concevoir les systèmes qui seront intégrés aux nouvelles constructions.
Il n’y a pas de norme unique, explique Sylvain Lamothe, porte-parole de la Régie du bâtiment du Québec. Ce qui est vrai dans un restaurant de 20 places ne le sera pas dans un espace à 150 places, comme dans une salle de spectacle, ou même dans un bar ou un endroit où il y a une activité physique, et où les gens dégagent davantage de CO2.
Ces normes varient donc selon l’usage d’un bâtiment, sa superficie et sa densité d’occupation. Et si un bâtiment a été construit il y a 40 ans, ce sont les normes qui existaient au moment de la construction qui s’appliquent
, et non celles d'aujourd'hui, dit-il.
« Il n’y a pas de mise à jour ni de mise aux normes. C’est un mythe. Ça n'existe pas. On doit se conformer aux exigences au moment d’une construction. »
Le parc immobilier du Québec est généralement considéré comme étant vétuste.
De nombreux bâtiments peuvent donc être équipés de systèmes de ventilation mécanique qui ne correspondent pas aux normes actuelles. Ces normes évoluent au fil des ans, mais pas au point de rendre nos bâtiments non sécuritaires, assurent les ingénieurs.
C’est sûr que les normes de l’époque étaient normalement plus basses en matière d’admission d’air extérieur
, indique Eddy Cloutier.
La technologie derrière les systèmes de ventilation aussi a progressé. Mais il ne faut pas non plus s'attendre à voir des systèmes qui ont 50 ans dans nos bâtiments, indique-t-il.
La durée de vie typique d'un système de ventilation est de 25 à 30 ans. Un gestionnaire n’a pas trop le choix de faire des projets de rénovation pour remettre le tout au goût du jour
, affirme l’ingénieur.
Et l’entretien?
L’entretien des systèmes de ventilation est une responsabilité qui repose entre les mains des gestionnaires immobiliers, au même titre que l’entretien ménager, par exemple.
On est plus dans les bonnes pratiques, confirme Sylvain Lamothe. Mais ce n’est pas en fonction d’une réglementation comme celle de la Régie du bâtiment du Québec, mais davantage des références du fabricant
, comme pour l’entretien d’une voiture.
Eddy Cloutier estime que des vérifications ponctuelles seraient d’usage, mais une inspection globale de tout le parc immobilier serait un travail colossal inimaginable, selon lui. Les grands gestionnaires sérieux font très bien leur travail, mais c’est sûr que j’ai vu des bâtiments aux histoires d’horreur
, témoigne l’ingénieur.
La rénovation d’un bâtiment force aussi un propriétaire à se conformer au code de construction. Si on ajoute un étage, qu’on défait les murs d’un étage ou qu’on aménage différemment, là on va revoir la ventilation, explique Sylvain Lamothe. Il pourrait y avoir des normes plus récentes, donc qui sont plus restrictives ou plus exigeantes.
ASHRAE et la ventilation
Parmi les différentes références techniques canadiennes, américaines et européennes consultées par les ingénieurs, la plus couramment utilisée est celle de la Société américaine des techniciens de chauffage, de réfrigération et de climatisation (ASHRAE).
L’organisation a d'ailleurs fait connaître une série de mesures préventives dans la lutte contre la COVID-19 : maximiser l'apport d’air extérieur, minimiser en contrepartie la recirculation de l’air ambiant et utiliser des filtres à plus haute efficacité.
On recommande aussi de mettre en marche les systèmes de ventilation au moins deux heures avant l’arrivée des occupants et de les laisser fonctionner deux heures après, voire toute la nuit. En temps normal, ils sont mis à l’arrêt quand les bâtiments sont vides par souci d’économie d’énergie.
C’est sûr que ces mesures ont un impact monétaire
, souligne Roland Charneux, ingénieur en mécanique du bâtiment et membre d’ASHRAE.
« En période de pandémie, il faut essayer d'agir le mieux possible avec les systèmes qu’on a. »
Mais ça ne peut pas se faire à l’aveugle
, prévient Eddy Cloutier, alors qu’ingénieurs et gestionnaires se butent à une série de considérations.
Le test de l’hiver
Le problème, c’est notre climat extrême
, souligne l’ingénieur.
Cet été, beaucoup de gestionnaires immobiliers ont augmenté les taux d’air neuf, parce qu'on n'avait pas besoin de chauffer, poursuit l’ingénieur. Mais cet hiver, ils vont vite se rendre compte que ce ne sera plus possible.
La plupart des systèmes de ventilation sont limités dans leur capacité à chauffer l’air frais tiré de l’extérieur. C’est pourquoi l’air recirculé compte habituellement pour une plus large proportion de l’air ambiant dans nos bâtiments.
« Quand on atteint des températures très basses, de -20 à -25 °C à l’extérieur, les systèmes n'ont plus la capacité de chauffer cet air frais au-delà du minimum. »
Qui plus est, le coronavirus réagit aussi à la température et à l’humidité.
En hiver, l’air extérieur est frais et sec, ce qui prolonge sa durée de vie et lui permet de voyager plus loin. À l’inverse, une température et surtout une humidité relative plus élevées le rendent viable moins longtemps.
L'ASHRAE recommande de maintenir l’humidité relative entre 30 % à 60 %, ce qui est parfois difficile dans nos conditions climatiques sans compromettre l'intégrité du bâtiment.
Dans la plupart des bâtiments institutionnels et commerciaux, on ne maintient pas des taux d'humidité de 50 %, surtout en hiver, explique Eddy Cloutier. On vise des taux d’environ 30 % et même parfois plus bas pour éviter des problèmes de condensation, limiter la consommation d'énergie et tenir compte de la capacité des systèmes.
Les gestionnaires se trouveront alors devant un choix difficile, selon lui : alimenter plus en air neuf pour rassurer leurs occupants ou en réduire la quantité pour maintenir leur confort.
Filtrer plus, filtrer mieux
Se tourner vers des filtres à plus haute performance pour compenser un apport limité en air neuf n’est pas toujours la solution non plus.
Les filtres plus couramment utilisés varient de MERV 6 à 12, en fonction des milieux. Selon leur classe, ils retiennent la poussière, le pollen, les moisissures ou encore la fumée.
Les petits bâtiments commerciaux ont des niveaux de filtration plus bas, parce que la ventilation est parfois de moindre qualité
, contrairement aux grandes constructions et aux bâtiments institutionnels, affirme Eddy Cloutier.
Certains systèmes n’ont donc tout simplement pas la capacité de passer au MERV 13 pour filtrer les virus, soit le minimum recommandé dans la lutte contre le coronavirus.
Le maillage de ce filtre-là est beaucoup plus fin, ce qui crée une perte de pression additionnelle que le ventilateur doit combattre, explique Eddy Cloutier. Dans plusieurs cas, les unités de ventilation ne sont pas munies d’un ventilateur assez puissant pour le faire.
Les filtres MERV 13 sont aussi plus volumineux et requièrent donc plus d’espace.
« Ça devient un choix entre maintenir le confort dans les pièces, admettre plus d’air neuf ou modifier substantiellement les systèmes de ventilation pour ajouter de la capacité de chauffage ou de filtration. »
Le temps manque toutefois pour modifier les équipements existants ou les remplacer. Ce n’est pas réaliste avant l’hiver, estime Jean-Philippe Morin, chargé de cours à Polytechnique Montréal. Les projets se feraient au mieux l’été prochain.
Entre-temps, la pandémie n’exige pas de nouvelles mesures d’entretien.
Comme d'habitude, les filtres devraient être changés de façon périodique, tous les trois à six mois, par exemple. Certains systèmes sont aussi équipés de détecteurs qui surveillent l’état des filtres et préviennent du moment où il faut les changer.
Ironiquement, un filtre sale n’est pas toujours problématique, souligne Jean-Philippe Morin. Dans les faits, plus un filtre est plein, mieux il filtre
, indique-t-il. Mais si le filtre est tellement sale que l’air ne passe plus ou qu’il cède et ne filtre plus l’air, on a un autre problème
, souligne Eddy Cloutier.
Et pour l’avenir?
La pandémie qu’on vit actuellement va probablement modifier les concepts des systèmes de ventilation du futur
, reconnaît Roland Charneux.
Il ne fait pas de doute, selon lui, que les nouvelles constructions prévoiront des systèmes de ventilation pouvant fournir davantage d’air neuf au besoin. Un mode pandémie
, illustre l’ingénieur.
Des filtres plus performants, comme les MERV 13 ou les HEPA, pourraient aussi devenir la norme dans certains bâtiments, dit Eddy Cloutier. Mais est-ce qu’on va aller plus loin? Je ne crois pas, parce qu’il n’y a pas vraiment de démonstration
que la ventilation est le principal outil dans la lutte contre la pandémie.
Malgré tout, ces ajustements pourraient ultimement avoir des effets bénéfiques plus larges. Ça va peut-être aider pour autre chose, même après la COVID, pour le rhume ou la grippe
, cite en exemple Jean-Philippe Morin.