Prostitution juvénile au Québec : punir les abuseurs, accompagner les victimes
La Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs formule 58 recommandations dans son rapport déposé jeudi à l’Assemblée nationale.
Les députés membres de la commission : Christine St-Pierre (PLQ), Méganne Perry Mélançon (PQ), Lucie Lecours (CAQ) et Alexandre Leduc (QS).
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Sensibiliser l'ensemble de la population pour prévenir en amont, punir davantage les proxénètes et mieux outiller et accompagner les victimes dans leur retour à la vie normale; voici les grands axes du rapport de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs au Québec.
Au terme de 18 mois de travaux, la Commission formule 58 recommandations dans son rapport déposé jeudi à l'Assemblée nationale pour lutter contre la prostitution juvénile.
Membre phare et vice-présidente de cette Commission, la députée libérale Christine St-Pierre veut que les tribunaux durcissent le ton à l'égard des clients de la prostitution juvénile. L'angle mort de tout ça, c'est le client abuseur, soutient-elle.
Toutes les recommandations sont importantes et devront être mises en place si le Québec veut se défaire de sa réputation de plaque tournante de l'exploitation sexuelle des mineurs, précise Christine St-Pierre. D'un point de vue personnel, elle croit que le client doit prendre conscience que le fait d'acheter des services sexuels auprès de mineurs constitue un acte criminel.
Elle s'explique mal que les outils qui sont déjà en place pour sévir ne soient pas utilisés par les tribunaux.
« Le client abuseur qui achète les services sexuels d'une mineure, c'est un agresseur sexuel, je pense qu'il faut que ça passe par l'application de la loi. »
La députée libérale dénonce la banalisation de l'exploitation criminelle et déplore que les clients écopent rarement plus que de la peine minimale de six mois, alors qu'ils sont passibles de dix ans d'emprisonnement, selon le Code criminel.
Cette banalisation a un effet pervers sur les dénonciations et ne représente pas la réalité des jeunes victimes d'exploitation sexuelle, selon elle.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. De 2015 à 2020, il y a eu à peine 50 arrestations par année, alors qu'une victime peut faire de 10 à 15 clients par jour
, explique Christine St-Pierre.
« Il faut que les mentalités changent dans les plus hautes sphères, le Code criminel est très clair [...] On fait la lutte au crime organisé, au blanchiment d'argent, à la corruption... Pourquoi on ne ferait pas la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs? »
Priorité nationale
L'exploitation sexuelle des mineurs, c'est l'affaire de tout le monde
, s'entendent pour dire tous les députés membres de la Commission, qui lors de l'annonce du dépôt de leur rapport ont fréquemment fait état d'un fléau
.
« Ce rapport fait consensus sur une chose : la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs doit devenir une priorité nationale. C'est d'ailleurs notre première recommandation. »
La députée caquiste Lucie Lecours, qui a succédé à son collègue Ian Lafrenière à la tête de cette Commission, est formelle : ce rapport, il ne sera jamais tabletté
.
La députée constate que l'exploitation sexuelle – qu'elle tient à dissocier du concept de prostitution juvénile puisqu'elle repose d'abord et avant tout sur un rapport de force – est un phénomène au sujet duquel il y a beaucoup d'éducation et de sensibilisation à faire. Des gens ne le comprennent pas
, observe-t-elle.
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Parler aux hommes de tous les âges
Si les élus veulent freiner le phénomène, ils doivent s'attaquer à ceux qui créent le marché
, avance Michel Dorais, sociologue de la sexualité et professeur à l'École de travail social et de criminologie de l'Université Laval. Selon lui, la solution est de s'attaquer au client d'aujourd'hui et de demain par des programmes plus étoffés d'éducation à la sexualité.
« Pensez qu'aujourd'hui, les clients de demain sont sur nos bancs d'école. Moi, je suis très content que l'éducation sexuelle soit de retour dans les programmes, mais 5 à 15 heures par année, 5 heures au primaire, 15 heures au secondaire, est-ce que vous pensez que c'est assez? Poser la question, c'est un peu y répondre. »
Selon lui, le nombre d'heures consacrées est insuffisant pour parler des bons et des mauvais côtés de la sexualité. Il faut parler positivement, mais il faut aussi présenter les pièges
, croit-il. Doubler le nombre d'heures d'éducation sexuelle pourrait faire une différence
, souligne le sexologue qui a présenté ses propres recommandations à la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.
Il est essentiel d'avoir des campagnes de sensibilisation pour parler à tous les hommes, de tous les âges, d'après Michel Dorais. À l'image des campagnes publicitaires contre l'alcool au volant, il faut parler aux gens qui créent le problème.
« On ne dit pas aux gens de ne pas sortir parce qu'ils risquent d'être victimes d'un chauffard, c'est le chauffard qu'on a mis au banc des accusés grâce aux campagnes de sensibilisation. C'est la même chose pour la prostitution juvénile, le poids ne doit plus peser sur les victimes. »
Aider les victimes à se reconstruire
Pour plusieurs victimes, malheureusement, c'est un tourbillon sans fin. Il faut trouver un moyen de mieux les accompagner vers la sortie
, observe pour sa part la députée péquiste Méganne Perry Mélançon, membre de la Commission.
Les personnes victimes d'exploitation sexuelle dans leur jeunesse, même une fois libérées de l'emprise des proxénètes, vivent souvent des problèmes financiers et psychologiques qui compliquent grandement leur retour à une vie normale.
La Commission propose donc de bonifier et de rendre plus accessible l'aide financière et le recours à l'aide sociale ainsi que d'améliorer les ressources d'hébergement et d'accompagnement psychologique.
Ses membres sont toutefois conscients du fait que, pour éliminer le problème, il faut s'attaquer à sa racine et à la banalisation de l'exploitation sexuelle. Si en amont on ne réussit pas à casser la demande [...], la roue va continuer de tourner
, observe le député solidaire Alexandre Leduc.
Un contrat moral pour l'exploitation sexuelle
Le rapport de la Commission comporte quatre volets : la sensibilisation, l'éducation, la répression et la réhabilitation. Mais pour que ces recommandations apportent de réels changements, tous les Québécois doivent prendre conscience de l'ampleur du phénomène
, affirme Christine St-Pierre.
On a besoin de l'ensemble des Québécois. J'aime bien quand le premier ministre parle de la question de la COVID-19, mais là aussi on a besoin d'un contrat moral. Il faut arrêter de regarder ailleurs
, conclut-elle.