10 ans après les grandes marées : des outils pour mieux comprendre et prévenir
À Sainte-Flavie, cette vieille roulotte qui a failli partir à la dérive le 6 décembre 2010 repose toujours dans la même position, 10 ans plus tard.
Photo : Radio-Canada / Simon Turcotte
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Cela fait maintenant une décennie que les grandes marées du 6 décembre 2010 ont frappé dans l'Est-du-Québec. Si cet événement a laissé une trace indélébile dans la mémoire des résidents côtiers, il a aussi permis de mieux comprendre les aléas du fleuve, et les façons de les prévenir.
Jacques Deschênes surveille de près les travaux de construction de sa nouvelle maison. Le retraité de Sainte-Flavie est l'un des 15 propriétaires qui ont décidé de leur plein gré de quitter le bord de la mer pour ne plus revivre le cauchemar du 6 décembre 2010, où les vagues ont abandonné bois et autres détritus dans l'eau salée au seuil de sa porte.
Expatriés dans la région de Montréal pour le travail, Jacques Deschênes et sa conjointe étaient revenus vivre dans leur région natale lorsque leur retraite est arrivée.
C'était en 2009, un an avant les grandes marées. Ils étaient loin de se douter que le rêve allait prendre fin abruptement.
C'était pas drôle, mon garage a été emporté en partie et tout l'intérieur s'est vidé. Je n'avais jamais vu ça et personne n'avait jamais vu ça
, souligne celui qui a grandi pourtant tout près, à Mont-Joli.
Durement frappé en 2010, le secteur compris entre Rimouski et Matane a été le premier à être scruté à la loupe par les spécialistes de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) au lendemain des événements.
« Jusqu'en 2010, on connaissait peu la climatologie des vagues dans l'estuaire et le golfe [du Saint-Laurent]. »
Au terme d'un travail étalé sur quelques années, le chercheur Pascal Bernatchez et son équipe ont réussi à donner un indice de vulnérabilité
pour chaque terrain situé sur une bande de littoral d'une trentaine de kilomètres, soit le front de mer de la MRC de La Mitis ainsi qu'à Maria, dans la Baie-des-Chaleurs.
En d'autres mots, les chercheurs en sont venus à prévoir où la mer pourrait le plus durement frapper lors d'une prochaine grande marée destructrice.
C'est ainsi que le terrain de Jacques Deschênes a été identifié comme à risque.
Le retraité a donc pu obtenir une aide financière dans le cadre d'un projet pilote de retrait volontaire des côtes, ce qui lui a permis de se construire une nouvelle maison au sud de la route 132.
La mer, il la voit encore, mais de loin.
« On a fait le bon choix, pour le reste de nos jours ça va éliminer ce problème-là des grandes marées, car la nuit quand on entend gronder la mer et qu'il vente fort, on se dit : "Est-ce que ça va déborder encore?" »
Comme bien d'autres voisins, M. Deschênes disposait d'un ouvrage de protection lorsque la marée a frappé en 2010, dans son cas, un quai en bois. Ça n'a pas empêché les vagues de venir frotter son solage et de faire des ravages sur son terrain.
J'avais des vagues à mi-mollet
, se rappelle-t-il.
Ce que les grandes marées de 2010 ont bien démontré, c'est que l'homme n'a pas encore inventé de structures assez solides pour empêcher la mer de dicter ses conditions.
Comment se protéger des marées?
Ainsi, le tiers des ouvrages de protection, comme les quais en béton ou en bois, mais surtout les remblais de roches (enrochement), n'ont été d'aucune utilité le 6 décembre 2010, selon des données recueillies par la Chaire de recherche en géoscience côtière de l'Université du Québec à Rimouski.
Pire encore, à Maria, en Gaspésie, il a été démontré que ces ouvrages rigides ont augmenté la submersion côtière.
Sur ces terrains, le niveau d'eau a atteint un mètre et demi à deux mètres de plus que dans les zones naturelles
, explique Pascal Bernatchez.
C'est l'un des principaux enseignements des grandes marées : une plage enrochée ou bétonnée se vide et ainsi, offre un environnement favorable aux vagues destructrices. La plage n'est plus là pour absorber les vagues
, ajoute le chercheur.
Aujourd'hui, les autorités ont adapté leurs méthodes de travail, que ce soit lors des travaux réalisés depuis à l'Anse-aux-Coques, à Sainte-Luce, à Percé ou à La Grave, aux Îles-de-la-Madeleine, par exemple.
Un projet pilote qui fera des petits
Autre leçon, celle-là pourtant bien simple : vaut mieux prévenir que guérir.
Au lendemain des grandes marées, 65 résidences ont été démolies et 14 autres ont été déplacées au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.
C'est relativement peu compte tenu du nombre de bâtiments encore debout à quelques mètres seulement de la plage.
Comme sa voisine, Sainte-Luce, Sainte-Flavie a donc décidé de prévenir plutôt que de guérir.
La municipalité de 890 habitants, située sur une bande de littoral d'à peine 200 mètres de large, est actuellement le théâtre d'un projet pilote de déménagement volontaire.
La Municipalité gère actuellement une enveloppe de 5,5 millions de dollars octroyée par le ministère de la Sécurité publique.
Chaque bâtiment à Sainte-Flavie a un indice de vulnérabilité et après on a pris ceux qui avaient l'indice le plus élevé. Le programme offre [aux résidents touchés] une aide financière pour soit partir, déplacer leur résidence, ou rester là et peu importe leur choix, je dois les accompagner et être le lien entre eux et le ministère
, précise la chargée de projet en résilience côtière, Géraldine Colli.
De plus, la MRC
de La Mitis encadre plus sévèrement la construction en bord de mer. Avant les grandes marées, il fallait respecter une distance de neuf mètres entre une nouvelle construction et la ligne des hautes eaux.Désormais, se basant sur les données fournies par la Chaire de recherche en géoscience côtière, cette marge atteint 42 mètres dans certains secteurs.
Le maire de Sainte-Flavie, Jean-François Fortin, explique que les chercheurs de l'UQAR ont comparé des photos des années 40 jusqu'à aujourd'hui et on voit que la côte régresse progressivement, ça nous a permis de mieux connaître notre territoire en fait.
Sainte-Luce, tout comme Sainte-Flavie, dispose d'une chargée de projet en résilience côtière, un titre d'emploi probablement spécifique au Québec.
Mieux informer les riverains
Une des lacunes soulevées au lendemain des grandes marées de 2010, c'est l'effet de surprise, malgré la conjoncture d'événements relativement prévisibles que constituaient les hautes marées, les vents forts et la pression atmosphérique.
Depuis, les avertissements de débordement côtiers, conçus par l'équipe de l'Institut Maurice-Lamontagne, sont publiés sur le site d'Environnement Canada.
Des municipalités comme Matane ont également mis au point des systèmes d'alerte d'urgence par textos.
À Matane d'ailleurs, 2010 n'a pas marqué les esprits autant que dans La Mitis ou à Maria. D'autres tempêtes comme celles de 2007 ou de 2016 ont causé plus de dommages.
Le corollaire de toutes ces tempêtes, c'est la difficulté de prévoir avec précision où les vagues feront le plus de dommages. L'orientation de la côte, la direction des vents, la présence de glaces, notamment, dicte l'allure de la tempête.
Ce problème explique en grande partie pourquoi les riverains sont la plupart du temps pris par surprise, mais cela pourrait changer sous peu.
L'équipe de Pascal Bernatchez travaille actuellement à modéliser, avec une précision chirurgicale, où la tempête frappera le plus. Cela permettra, entre autres, d'effectuer des évacuations préventives ciblées plusieurs heures avant la catastrophe annoncée.
Le problème, précise le scientifique, c'est que lorsqu'il y a des alertes d'ondes de tempêtes, elles couvrent une bonne partie du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Là, on sera en mesure de raffiner ces alertes pour identifier des segments de côte pour mieux intervenir.
Un outil qui deviendra probablement indispensable pour les municipalités et le ministère de la Sécurité publique, d'autant plus que ces événements spectaculaires risquent d'augmenter avec les changements climatiques.