•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La troisième vague sera-t-elle celle de la santé mentale?

« Catastrophe psychologique en devenir », moral « vraiment beaucoup dégradé ». Depuis quelques jours, le bien-être des Français inquiète de nombreux spécialistes. Visite dans un hôpital psychiatrique où les besoins ne font qu’augmenter.

Un vaste parc borde le pavillon.

Une partie du campus du centre hospitalier La Chartreuse de Dijon.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Un calme clinique règne dans les corridors de l’unité d’accueil du centre hospitalier La Chartreuse de Dijon. Quelques soignants discutent au téléphone de l’autre côté d’une épaisse vitre.

Une poignée de patients sont réunis à la cafétéria pour le repas de midi. Une ambiance calme, mais trompeuse, explique Cédric Dutartre, l’un des gestionnaires de l’unité d’accueil des patients.

On est occupés, oui, les gens ne vont pas bien. Il y a des problèmes de places à l’hôpital. Il faut trouver un lit pour l'un, des soins à domicile pour l’autre.

Une description des difficultés quotidiennes qui s’applique à n’importe quel hôpital recevant des patients atteints de la COVID-19. Sauf qu’à ce centre hospitalier, on soigne les séquelles psychologiques du coronavirus.

Dans la région de Dijon, La Chartreuse est le principal point de chute pour de nombreux cas de détresse psychiatrique. Les patients y sont recommandés par des médecins ou se présentent parfois de leur propre chef.

Aujourd’hui, la salle d’attente est vide. Hier, la scène était bien plus animée, explique Cédric Dutartre.

« Parfois, les patients sont agités, ils s’impatientent parce que les temps d’attente peuvent être longs. »

— Une citation de  Cédric Dutartre, un gestionnaire de l’unité d’accueil des patients

L'hôpital accueille les cas les plus sévères, bien sûr. Mais les spécialistes de la santé mentale de la région signalent que les besoins se font plus nombreux et plus pressants.

Déstabilisant, le second confinement

Stress, sommeil difficile, consommation d’alcool à la hausse. Les signes de difficultés psychologiques sont nombreux, explique le docteur Gérard Milleret, l’un des responsables du centre hospitalier.

C'est l'illustration d’une difficulté à être bien dans la vie courante parce que, ce confinement, c’est quand même rester chez soi, vivre d’une manière qui n’est pas très, très fantastique, rappelle-t-il.

Le docteur MIlleret, masqué, dans son bureau.

Le docteur Gérard Milleret, l’un des responsables du centre hospitalier La Chartreuse de Dijon.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Ce second confinement a beau être plus léger que le précédent, l’aspect inédit de l’épreuve a fait place à la lassitude et la morosité.

L’avenir est également plus difficile à entrevoir. Il sera possible de traverser le pays pour fêter la fin de l’année avec des proches. Mais de quoi le quotidien aura-t-il l’air en février ou en mai?

Un brouillard qui peut devenir très angoissant. Surtout s’il est accompagné d’anxiétés professionnelles liées aux difficultés économiques des entreprises.

La population est mise dans une situation très déstabilisante, explique le docteur Milleret. D’autant plus que la crise est avec nous depuis neuf mois maintenant.

Cette longue période, c’est très anxiogène, c’est source d’angoisse, avance-t-il. Le psychiatre montre du doigt le volume d’informations disponibles sur la maladie ou encore les bilans quotidiens des contaminations.

Les infos? Essayez d’en écouter le minimum, conseille-t-il.

Tout le monde peut être affecté

Le directeur général de la santé a récemment évoqué l’impact du second confinement sur le moral de ses concitoyens. Le nombre de Français concernés par des épisodes dépressifs ou anxieux a doublé entre la fin septembre et le début novembre.

Un Français sur cinq serait touché. Ceux qui sollicitent de l’aide iront d’abord consulter leur médecin de famille. Difficile, donc, de bien mesurer l’ampleur du problème qui peut toucher à peu près tout le monde.

Responsable du laboratoire de sommeil à La Chartreuse, le docteur Clément Guillet reçoit des patients qui rechutent. Ils voient aussi des nouveaux malades qui ont du mal à se projeter, d’autres pour qui l’isolement, c’est insupportable.

Devant des fenêtres.

Le docteur Clément Guillet, responsable du laboratoire de sommeil au centre hospitalier La Chartreuse.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

La peur d’être contaminé en déstabilise plusieurs.

On a vu des patients délirer sur ça. D’autres, plutôt sur un versant hypocondriaque, sont terriblement angoissés à l’idée de sortir et se lavent les mains trop fréquemment.

Ces troubles n’épargnent pas les soignants, eux-mêmes érigés en véritables superhéros au printemps. Les effets bénéfiques de ces encouragements se sont estompés; la santé psychique s’est parfois fragilisée.

J’ai vu plusieurs soignants en burnout, explique Clément Guillet. Il y a aussi des soignants qui ont rechuté dans l’alcool alors qu’ils étaient stabilisés, certains travaillaient (aux soins intensifs), épuisés, confrontés à la mort en permanence.

Que vais-je faire de mon avenir?

Cette crise n’épargne pas les plus jeunes non plus.

La Chartreuse possède une section dédiée à la pédopsychiatrie. Une unité où résident de manière temporaire quelques adolescents aux idées suicidaires.

Des spécialistes dans les écoles et les universités de la région sont en contact avec Pierre Besse, le responsable de l’unité de pédopsychiatrie. Les échos qui lui parviennent font aussi état de détresse et d’anxiété.

Dans un des couloirs de l'hôpital.

Le psychiatre Pierre Besse, responsable de l’unité de pédopsychiatrie.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Ce qu’on entend, c’est : "je ne peux plus faire de soirée, je ne peux plus sortir, boire un thé ou un café avec les copains en sortant du lycée".

À la maison, ces adolescents ont des parents qui, eux, sont angoissés, angoissés par l’avenir.

Conséquence : des jeunes qui doivent composer avec leurs angoisses et celles des adultes autour d’eux.

Il s'est installé un climat de morosité générale, note-il. Nous en voyons les effets avec des jeunes qui sont dans une sorte de dépit par rapport à l’avenir.

Du sourire à la tristesse en passant par le désarroi.

Une mesure de l'appréciation d'une journée dans l'une des salles dédiées aux adolescents à La Chartreuse.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Au niveau psychique, Pierre Besse est convaincu que les jeunes, et en particulier les étudiants, sont les plus affectés par tous les bouleversements qui découlent de cette pandémie.

Les plans d’avenir des 18-24 ans sont remis en question, ils sont parfois désignés comme des irresponsables qui s’amusent le soir plutôt que de rester sagement à la maison.

« Ils sont dans une sorte de dépit [...] en se disant : "mais finalement, que vais-je faire de mon avenir?" »

— Une citation de  Pierre Besse, responsable de l’unité de pédopsychiatrie

La crainte de l’isolement revient souvent dans la bouche de spécialistes comme Pierre Besse. Après avoir salué ses patients, il nous confie que plusieurs hésitent à quitter l'hôpital psychiatrique à la fin de leur séjour.

La plupart n’ont pas envie de partir. Ils ont ici un lieu où ils peuvent être ensemble, partager des choses. Et en ce moment, c’est ce qui manque partout ailleurs.

Yanik Dumont Baron est correspondant de Radio-Canada à Paris

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...