L'Ontario gère la pandémie de façon « incohérente et désorganisée », selon la VG
Le gouvernement Ford prend des décisions importantes sans consulter la santé publique, déplore la vérificatrice générale.

La vérificatrice générale de l'Ontario, Bonnie Lysyk.
Photo : Radio-Canada / Matéo Garcia-Tremblay
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Plan d’urgence archaïque, réseau de laboratoires fragmenté : si l’Ontario avait retenu les principales leçons de la crise du SRAS, la province aurait pu éviter de sérieux ratés dans sa gestion de la pandémie.
La réponse de l'Ontario à la première vague a été plus lente, incohérente et désorganisée
que celle d’autres provinces, conclut la vérificatrice générale, Bonnie Lysyk, dans un rapport publié mercredi.
Contrairement au Québec et à la Colombie-Britannique, la province a été incapable d’activer son plan d’urgence provincial en mars, en raison de sa désuétude et d’un manque de personnel spécialisé, bien que la vérificatrice ait signalé ces problèmes il y a trois ans.
Les principaux experts en santé publique de l'Ontario, dit Mme Lysyk, ne dirigent pas ou ont joué un rôle limité dans l’intervention de la province. Résultat : la province a donné des directives qui n’étaient pas fondées sur la science, selon elle.
Le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, David Williams, manque de leadership et refuse de prendre des décisions sans le feu vert du gouvernement, dit-elle, ce qui a retardé des décisions, comme la politique provinciale sur le port du masque, promulguée en octobre seulement.
Elle prévient que la province n’a toujours pas entrepris de planification détaillée
de possibles futures vagues de la COVID-19, et que le dépistage, le traçage de contacts et les analyses en laboratoire ne sont pas effectués assez rapidement pour limiter la propagation du virus.
Le gouvernement Ford se défend
Le premier ministre Doug Ford défend sa gestion de la pandémie, affirmant que l'Ontario est la province qui a le moins de cas de COVID-19 pour 100 000 habitants à l'exception de la bulle Atlantique.
Il fustige la vérificatrice générale et affirme que son rapport contient « 21 pages d'inexactitudes ».
M. Ford réitère aussi sa confiance dans le Dr Williams. Il est à mes côtés depuis le début, dit-il. Il n'y a aucun désaccord entre nous deux.
« Le rôle d'une comptable n'est pas de donner des conseils sur la santé publique. »
On a gaspillé 2744 heures à répondre aux questions [de la vérificatrice]
, s'indigne M. Ford.
La ministre de la Santé, Christine Elliott, admet que le plan d'urgence provincial n'avait pas été mis à jour depuis 2013, mais elle en impute la responsabilité au précédent gouvernement libéral.
Elle accuse elle aussi la vérificatrice de « déformer » certains faits et assure que le gouvernement a toujours suivi les recommandations du Dr Williams.
« Ce n'est pas vrai que l'Ontario a pris plus de temps que d'autres provinces à agir. On a été les premiers à faire du coronavirus une maladie à déclaration obligatoire et à fermer les écoles publiques [le printemps dernier]. »
Le gouvernement veut prolonger le mandat du Dr Williams, qui vient à échéance en février, affirmant qu'il ne serait pas approprié de chercher un remplaçant en pleine pandémie. Il nous a aidés à très bien passer à travers la première vague
, dit la ministre Elliott.
À lire aussi :
L’Ontario, mauvais élève
Au début de 2020, la province a estimé que le risque posé par la COVID-19 était faible
, malgré la propagation du virus ailleurs dans le monde, note la vérificatrice provinciale.
Le gouvernement Ford a attendu au 28 février pour créer un groupe de commandement et a même permis initialement les voyages à l’extérieur du pays pour la semaine de relâche.
« La leçon fondamentale de la Commission sur le SRAS n’a pas été tirée, soit le principe de précaution — la nécessité d’agir s’il existe une preuve suffisante d’une menace. »
La province n’avait pas de plan à jour et prêt à déclencher en cas de pandémie. Le Comité ministériel des urgences, qui comprend le premier ministre et huit députés, ne s’était pas réuni en cinq ans, de sorte qu’il était incapable de s'acquitter de ce mandat
.
Le Bureau provincial des situations d’urgence, qui relève du ministère du Solliciteur général, ne comptait que huit fonctionnaires en mars. Ceux-ci étaient en télétravail et ont rapidement été dépassés par la crise, comme l'avait prévenu la vérificatrice dans son rapport de 2017.
Le gouvernement Ford a dû recourir en catastrophe aux services de la société de conseil McKinsey & Company, ce qui a coûté 1,6 million de dollars, pour la mise en place d’une structure organisationnelle et à la firme KPMG pour créer un réseau de laboratoires coordonné.
La vérificatrice ajoute que la province a versé 3,2 millions supplémentaires à la firme McKinsey pour la planification de la réouverture en éducation et la gestion de la pandémie. Le coût du consultant était supérieur aux taux standards de l’industrie
, affirme Mme Lysyk.
Le ministère de la Santé a ignoré d’autres recommandations tirées de la crise du SRAS, de nombreux comités d’experts (Nouvelle fenêtre) et de rapports de vérificateurs généraux (Nouvelle fenêtre) depuis 2007 sur le système de laboratoires de la province, souligne Bonnie Lysyk. Celui-ci était donc sous-financé, fragmenté, désuet et incapable de réagir à une pandémie, note-t-elle.
Le rapport sur la crise du SRAS avait aussi conclu que les bureaux régionaux de santé publique manquaient de personnel et d’expertise quant à la protection contre les maladies infectieuses, ce qui est toujours un problème. La Commission avait aussi recommandé d’examiner si le financement de ces bureaux devrait être confié à la province.
À lire aussi :
Dans sa réponse à Bonnie Lysyk, le gouvernement Ford indique qu’il a entamé un processus de modernisation de la santé publique en 2019, mais que celui-ci a été interrompu par la COVID-19.
Les recommandations sur le sujet avaient pourtant été formulées il y a 15 ans, rappelle Bonnie Lysyk, et Doug Ford a sabré le financement de la santé publique après avoir pris le pouvoir.
Le Dr Williams critiqué
La Commission sur le SRAS
a aussi exigé que les pouvoirs du médecin hygiéniste en chef de la province soient accrus.Bonnie Lysyk souligne qu’au Québec, le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, ne relève pas de l’Assemblée législative comme en Ontario et jouit de plus d’indépendance que son homologue David Williams.
Selon elle, le Dr Williams n’use même pas des pleins pouvoirs qu’il détient. Il refuse de prendre des décisions sans consulter le gouvernement Ford, même s’il a ce pouvoir, et n’a pas formulé les recommandations nécessaires pour aider les 34 bureaux régionaux de santé publique à se coordonner, dit-elle.
Ainsi, selon la vérificatrice, les critères pour le port du masque ont varié d’une région à l’autre jusqu’en octobre et aucune ordonnance n’a été rendue pour protéger les travailleurs étrangers sur les fermes, qui ont pourtant été des lieux d'éclosion importants.
David Williams n’a pas non plus joué de rôle déterminant dans la gestion globale de la pandémie, selon elle. Il n’a pas présidé les réunions du groupe de commandement et ses membres n’étaient même pas au courant, selon Bonnie Lysyk, qu’il en est le coprésident.
Le médecin hygiéniste en chef David Williams agit comme conseiller et non comme leader de la table de commandement sur la COVID-19, dit la VG, et il ne semblait pas aussi « à l’aise » d’être sous les feux de projecteurs, contrairement à Bonnie Henry et Horacio Arruda. pic.twitter.com/tySmhLh79P
— Natasha MacDonald-Dupuis (@NatashaCBC_RC) November 25, 2020
L'opposition réagit
Le chef des libéraux provinciaux, Steven Del Duca, affirme que les Ontariens ne peuvent « pas faire confiance » au premier ministre Doug Ford.
« Plutôt qu’écouter les experts en médecine, il a choisi de faire confiance aux politiciens et experts en sondage, trahissant les familles ontariennes. »
Des milliers de personnes sont mortes et deux régions en Ontario sont de retour en confinement à cause de son leadership incompétent
, ajoute-t-il.
En point de presse, Steven Del Duca a admis que les libéraux n'étaient pas parfaits
, mais n'a pas offert d'explication sur les raisons pour lesquelles le gouvernement libéral précédent a négligé de mettre à jour le plan de préparation pour les pandémies de 2013 à 2017.
La chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Andrea Horwath, accuse le gouvernement Ford d'avoir ignoré les conseils des experts en santé publique.
« La mauvaise gestion de la pandémie par [Doug] Ford coûte des vies. »
Elle note que l'Ontario n'a toujours pas atteint son objectif d'effectuer 50 000 tests de dépistage par jour.
Une bureaucratie écrasante
La structure de commandement provinciale pour la gestion de la COVID-19 est devenue trop lourde, selon la vérificatrice, et compte désormais plus de 500 personnes.
« Pendant des mois, toutes les communications se faisaient par téléconférence, ce qui créait de la confusion. Ce n’est que le 14 juillet que des réunions ont débuté par vidéoconférence et il n’y a aucune documentation complète sur les discussions tenues. »
Les experts de la santé publique ne font pas partie des têtes dirigeantes de cette structure, qui comprend des présidents d’hôpitaux et des sous-ministres. Le gouvernement Ford a donc pris de nombreuses décisions incohérentes
, dit-elle, comme celle d’étendre le dépistage aux personnes asymptomatiques dès le mois de mai.
La vérificatrice générale décoche aussi une flèche au gouvernement de Justin Trudeau. D'avril à août, le gouvernement provincial n’a pu communiquer qu’avec 9 % des voyageurs qui sont entrés en Ontario pour le traçage des contacts, parce qu’il n’a pas reçu d’informations exactes, complètes et en temps opportun
de la part d’Ottawa.
Bonnie Lysyk publie une série de trois rapports annuels ce mois-ci.
La semaine dernière, elle avait vivement dénoncé l’inaction du gouvernement Ford en matière d'environnement.
Elle doit publier un troisième rapport la semaine prochaine, cette fois sur l’approvisionnement en équipement de protection individuelle et la situation dans les foyers pour aînés de l’Ontario.
Avec la collaboration de Michel Bolduc