Alek Minassian était obsédé par les tueurs en série et les massacres dans les écoles
Ces révélations appuient la thèse de la Couronne selon laquelle l'attentat de Toronto était prémédité.

Capture d'écran d'une vidéo tournée par Alek Minassian dans laquelle il présente un prototype de lunettes-écouteurs qu'il a inventé.
Photo : Bureau du Procureur général de l'Ontario
Une psychiatre de la défense d'Alek Minassian affirme qu'il avait une fascination morbide au secondaire pour le meurtre et les massacres en milieu scolaire. L'individu a plaidé la non-responsabilité criminelle au sujet de l'attentat, qui a fait dix morts et une quinzaine de blessés en 2018 à Toronto.
La Couronne a mis fin jeudi au contre-interrogatoire de la psychiatre de la défense, la Dre Rebecca Chauhan, avec de premières contradictions dans les déclarations d'Alek Minassian depuis sa détention en avril 2018.
Attention: ce texte pourrait choquer certains lecteurs.
La Dre Chauhan affirme qu'elle a rencontré Alek Minassian en septembre 2018 et qu'il était obsédé par le meurtre et l'idée de tuer le plus de personnes possible
.
Elle soutient qu'il s'adonnait à la lecture intensive à ce sujet lorsqu'il était au secondaire et qu'il étudiait de façon méthodique le déroulement des tueries qui ont secoué les États-Unis par exemple dans sa jeune vie d'adulte.
La psychiatre affirme que l'intérêt d'Alek Minassian pour le meurtre se caractérise comme un rituel incessant
.
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L'interrogatoire de la Dre Chauhan avait révélé mercredi que l'intérêt de Minassian pour la mort a commencé au moment où il a éprouvé des difficultés au secondaire dès 2009, date à laquelle il essuie également ses premiers écueils avec les filles.
La Couronne cite effectivement un rapport psychiatrique dans lequel Alek Minassian mentionne la tuerie de l'institut Virgina Tech en avril 2007 en Virginie. On y apprend qu'il s'y est intéressé sur Wikipédia, parce que la situation sur ce campus était dangereuse
. On y mentionne aussi le massacre à Columbine en avril 1999 au Colorado.
Les rapports montrent qu'Alek Minassian s'intéressait à des tueries dans des écoles lorsqu'il se sentait déprimé, mais que le nom d'Elliot Rodger est celui qui revient plus souvent parmi les auteurs que Minassian mentionnait à ses psychiatres.
La Dre Chauhan confirme qu'Alek Minassian était surtout envoûté par M. Rodger, l'auteur de l'attentat du campus de Santa Barbara en Californie en 2014 (l'accusé avait révélé lors de son interrogatoire de police qu'il l'avait rencontré dans des forums virtuels, NDLR
).Sa condition d'autiste l'a rendu vulnérable et sensible aux propos irrationnels et misogynes de Rodgers à l'endroit des femmes
, rappelle-t-elle.
La Dre Chauhan ajoute que l'intérêt de l'accusé pour les massacres s'est intensifié lorsqu'il a pris connaissance du manifeste d'Elliot Rodger en décembre 2017, soit plus de trois ans et demi après le massacre de Santa Barbara.
Le Procureur John Rinaldi insiste toutefois pour dire que Minassian rêvait de devenir un tueur en série dès 2009 bien avant sa rencontre avec Elliot Rodger, le fondateur allégué des Incels.
Cette prédisposition est née 11 ans avant l'attentat de la rue Yonge et bien avant le crime d'Elliot Rodger en Californie en 2014
, explique-t-il.
La Dre Chauhan affirme qu'Alek Minassian lui a pourtant révélé qu'il lisait le manifeste d'Elliot Rodger tous les jours à partir de janvier 2018 jusqu'à avril 2018.
La Couronne lui rappelle que le père d'Alek Minassian a pourtant dit cette semaine que son fils était très occupé avec ses examens et sa recherche d'emploi.
Comment pouvait-il alors passer ses journées à lire ce manifeste s'il était si occupé… Qui croire ?
ironise le procureur Rinaldi.
La psychiatre de la défense dit que l'obsession de l'accusé au sujet d'Elliot Rodger relève néanmoins de l'hyperattention si caractéristique au degré d'autisme d'Alek Minassian.
Le procureur Rinaldi l'interrompt encore : hyperattention ou endoctrinement ? Le manifeste de Rodger l'a-t-il endoctriné ?
lui demande-t-elle.
La Dre Chauhan refuse de dire s'il a été endoctriné, mais elle mentionne qu'il est aussi obsédé par sa solitude et sa haine contre les femmes.
Elle avait déjà révélé mercredi qu'il aurait souhaité tuer plus de jeunes femmes attrayantes
derrière le volant de la fourgonnette sur la rue Yonge.
La Couronne mentionne que le Dr John Bradford a écrit en août 2018 qu'Alek Minassian a expliqué à la police que l'événement déterminant qui l'a fait adhérer aux Incels était une fête d'Halloween au cours de laquelle il s'est senti rejeté par les femmes à l'âge de 20 ans.
Le Dr Bradford, qui n'a pas encore témoigné dans ce procès, est celui qui a mené l'expertise psychiatrique sur la non-responsabilité criminelle supposée d'Alek Minassian.
Or, selon la Couronne, le Dr Bradford a révélé que l'accusé lui a dit que c'était faux et qu'il ne s'était pas inspiré du manifeste d'Elliot Rodger pour planifier son attentat. À quel moment Alek Minassian dit-il la vérité ?
s'interroge Me Rinaldi.
La difficulté dans ce contre-interrogatoire vient du fait qu'Alek Minassian a confié au détective le jour de son arrestation qu'il appartenait à la mouvance des Incels.
L'accusé a ensuite dit 4 mois plus tard au Dr Bradford qu'il n'était pas un membre de ce mouvement, avant de déclarer le contraire à la Dre Chauhan un mois plus tard.
Pour la Couronne, de telles contradictions semblent indiquer qu'Alek Minassian a tenté de minimiser son implication dans le mouvement des Incels pour détourner l'attention des experts.
Rappel: les Incels appartiennent à une mouvance de la sous-culture dans laquelle des hommes expriment leurs frustrations sexuelles, parce qu'ils ne peuvent perdre leur pucelage auprès des femmes et qui se sentent rejetés. C'est l'abréviation anglaise des abstinents involontaires
— Jean-Philippe Nadeau (@jpnadeau_cbc) November 19, 2020
À en croire le procureur Rinaldi, le prévenu a révélé au Dr Bradford qu'il n'avait jamais affiché de message sur les Incels sur Facebook et il a nié qu'il avait été radicalisé par ce mouvement.
On apprend dans le rapport du Dr Bradford que la peur d'Alek Minassian de ne pas réussir dans un nouvel emploi à la sortie du collège était le vrai mobile de l'attentat de 2018 et qu'il voulait s'enlever la vie par policier interposé.
Selon Me Rinaldi, Minassian a confié au Dr Bradford qu'[il n'avait] rien contre l'idée d'être associé aux Incels par rapport à l'idée qu'on lui attribue l'étiquette d'un homme extrêmement anxieux qui a peur de rater sa vie
.
Le prévenu a révélé au Dr Bradford qu'il ne s'était donc pas inspiré d'Elliot Rodger pour commettre l'attaque au camion-bélier à Toronto. Il a nié qu'il s'identifiait spécifiquement aux Incels
, selon le Dr Bradford.
La Couronne explique toutefois que le Dr Bradford ne croit pas qu'Alek Minassian ait tout inventé à partir du manifeste d'Elliot Rodger, parce qu'il a donné trop de détails au sujet du fondateur allégué des Incels.
La Dre Chauhan réplique qu'il aurait fallu faire plus d'entrevues pour savoir si Minassian disait la vérité lorsqu'elle l'a interrogé en détention.
La Couronne lui demande la raison pour laquelle elle a posé des questions à Alek Minassian sur l'attentat de la rue Yonge, alors qu'elle n'avait pas besoin de ces informations pour lui faire passer des tests d'autisme. C'est Alek Minassian qui en parlait constamment
, répond-elle.
Le procureur Rinaldi a par ailleurs tenté de montrer qu'Alek Minassian est bien plus intelligent que ne le laisse croire la psychiatre de la défense.
Me Rinaldi cite le rapport d'un expert de la poursuite cette fois, lequel a soutenu après l'attentat qu'Alek Minassian possédait un niveau d'intelligence auquel on ne s'attendrait pas de la part d'un individu autiste
.
Il y est notamment écrit que l'accusé affiche une moyenne élevée d'intelligence
; l'expert statue qu'il est même plutôt brillant
.
La Dre Chauhan n'a pas contredit une telle analyse, mais elle précise que le cadre dans lequel elle a examiné le prévenu était limité
.
La psychiatre ajoute que son manque d'introspection au sujet de ses déficiences intellectuelles était dû à son degré d'autisme (Alek Minassian connaissait sa condition mentale, NDLR
).Les notes des experts que la Couronne cite montrent à ce sujet qu'Alek Minassian a exagéré sa condition mentale au secondaire et qu'il a agi au contraire de façon normale au collège pour s'adapter à son entourage
.
La Dre Chauhan note néanmoins qu'il affiche peu ou pas d'empathie ou d'émotions et qu'il éprouve les mêmes problèmes de socialisation que d'autres membres des Incels.
Elle soutient qu'Alek Minassian a des difficultés significatives au niveau du raisonnement moral
, mais qu'elle n'a pas l'expertise pour juger s'il n'est pas criminellement responsable du crime dont il est accusé.