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Les centres de surveillance de l'immigration vidés de leurs détenus

Un demandeur d’asile quittant, en mars dernier,  le centre de détention de l’Agence des services frontaliers du Canada situé à Laval.

Un demandeur d’asile quittant, en mars dernier, le centre de détention de l’Agence des services frontaliers du Canada situé à Laval.

Photo : La Presse canadienne

« C'est dans l'intérêt de mes clients qu'ils soient libres. Mais c'est quand même incroyable que tout d'un coup, à cause d'un virus, on veut détenir le moins de monde possible. »

Depuis des années, Me Pierre-Olivier Marcoux plaide pour la remise en liberté de personnes détenues à des fins d'immigration. L'avocat spécialisé en droit de l’immigration au Bureau d'aide juridique à Montréal n'en revient pas que ce soit la pandémie qui leur ouvre maintenant les portes.

Chaque année, l'Agence des services frontaliers du Canada emprisonne des milliers de personnes.

Mais ces derniers mois, l'Agence a eu recours, plus que jamais, à des solutions de rechange pour vider ses trois centres de surveillance de l'immigration et ainsi éviter la propagation de la COVID-19 entre leurs murs.

Voici les chiffres au début de novembre :

  • Le centre de surveillance de Laval, qui peut accueillir 109 détenus, n'en comptait plus que 12;
  • Le centre de Toronto, qui peut en recevoir 183, n’en avait plus que 18;
  • Le nouveau centre de Surrey, en Colombie-Britannique, qui peut héberger 70 détenus, en comptait 11.
Une porte dans une clôture à mailles de chaîne, coiffée de barbelés.

Au Québec, le Centre de surveillance de l'immigration de l’Agence des services frontaliers du Canada est situé sur la montée Saint-François à Laval.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Plus de 8000 personnes derrière les barreaux

Exactement 8825 personnes, dont 138 mineurs. C'est le nombre de citoyens étrangers que l'Agence des services frontaliers a emprisonnés, en 2019-2020, en vertu de la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Parmi eux se trouvaient, par exemple, des demandeurs d'asile qui ne détenaient pas tous les documents d'identité nécessaires, des travailleurs étrangers dont les visas étaient échus et des personnes en attente de renvoi dans leur pays.  La plupart des enfants dans les centres de surveillance accompagnaient un parent détenu.

Près de 2000 d'entre eux – plus d'un sur cinq – ont été incarcérés dans des prisons provinciales, soit parce que les centres de surveillance étaient pleins, soit parce qu'il n'existait pas de centre dans leur région, ou que le dossier du détenu comportait un élément de criminalité. Il restait 94 personnes détenues à des fins d'immigration dans les prisons provinciales au début novembre.

C'est une expérience traumatisante.

Une citation de Patrick, nom fictif

C'est ainsi que Patrick*, un ressortissant africain, décrit les mois qu'il a passés l'année dernière au Centre de surveillance de l'immigration de Laval, un établissement de détention entouré de barbelés.

Ses moindres gestes étaient surveillés par des agents de sécurité, ses mains et ses pieds menottés lors de rendez-vous à l'extérieur de l'édifice.

Si Patrick est heureux que d'autres demandeurs d'asile, comme lui, aient pu réintégrer la communauté en attendant le traitement de leur dossier, il déplore qu'une pandémie ait été nécessaire pour y arriver.

Ça ne vient pas du cœur. Ce n'est pas parce que les agents frontaliers jugent que la détention, ce n'est pas humain. Non, ils sont forcés de le faire, dit-il.

En avril 2018, une famille qui dit être d’origine colombienne traverse la frontière canado-américaine pour faire une demande d’asile au Canada.

En avril 2018, une famille qui dit être d’origine colombienne traverse la frontière canado-américaine pour faire une demande d’asile au Canada.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

La grande majorité des personnes que l'Agence emprisonne ne représentent pas un danger pour le Canada, selon ses propres documents. Dans 85 % des cas, la personne est détenue parce que l'Agence craint qu'elle ne se présente pas à une procédure d'immigration.

Pourtant, nous sommes traités comme des criminels, affirme Patrick.

On utilise des mesures extrêmes pour des personnes dont la situation est irrégulière, dont le seul "crime", c'est souvent de ne pas avoir de papiers canadiens. Pour ceux qui croyaient que le Canada était un paradis humain, ils tombent des nues. On vient de pays où la police et l'armée font des sévices. On arrive ici et qu'est-ce qu'on voit? Ce pays, qui est supposé être un des pays les plus développés au monde, reproduire ça, dénonce Patrick.

Il est souvent plus difficile de faire libérer quelqu'un détenu en immigration qu'au criminel.

Une citation de Pierre-Olivier Marcoux, avocat

M. Marcoux donne comme exemple le fait qu'une personne détenue à des fins d'immigration aura plus de chances d'être libérée si un garant est prêt à l'héberger chez lui en attendant le traitement de sa demande, en plus de déposer une somme d'argent comme garantie.

Au criminel, généralement le garant n'a pas à héberger l'accusé en attendant son procès.

Portrait de l'avocat

Pierre-Olivier Marcoux avocat au Bureau d'aide juridique - Droit de l'immigration à Montréal

Photo : Courtoisie

Depuis le début de la pandémie, Me Marcoux note que les solutions autres que la détention des migrants sont plus facilement acceptées. C'est la preuve, selon lui, que la détention peut être évitée, comme le prévoit le droit international.

Les solutions de rechange peuvent être approuvées par l'Agence des services frontaliers ainsi que par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada.

« 99 % respectent leurs conditions »

L'Agence nous réfère de plus en plus de personnes pour désencombrer les centres de détention, confirme Samira Figuigui, directrice générale de la Société John Howard du Québec.

Son organisme dirige un programme de surveillance des migrants dans la communauté en partenariat avec l'Agence des services frontaliers, depuis l'été 2018.

Or, le programme a connu une recrudescence depuis la pandémie.

Au début de mars, le programme comptait une dizaine de cas actifs. Il en compte maintenant le double.

En vertu de ce programme, la personne qui est relâchée du centre de surveillance de Laval doit accepter de se plier à une série de conditions, comme devoir se présenter à l'organisme chaque semaine, faire du bénévolat ou travailler si elle détient les autorisations nécessaires et suivre des thérapies s'il y a lieu.

99 % respectent leurs conditions, affirme Mme Figuigui.

Depuis le début du programme, l'organisme reconnaît toutefois avoir perdu la trace de deux personnes, l'une qui souffrait de troubles de santé mentale et l'autre qui avait un problème de dépendance aux drogues. Selon Mme Figuigui, les deux personnes en question ne représentaient aucun risque pour la société.

Un centre avec des barbelés

Un des trois centres de surveillance de l'immigration de l’Agence des services frontaliers du Canada est situé à Toronto.

Photo : Google Streetview

La population comprend mieux les impacts d'un confinement

La fermeture des frontières en raison de la pandémie a fait en sorte que des personnes qui devaient être renvoyées du Canada n'ont pu être expulsées, mais elle a aussi entraîné une diminution importante des nouvelles demandes d'asile.

Après la pandémie, il faudra éviter le retour aux détentions de masse, préviennent les groupes de défense des droits des réfugiés à qui nous avons parlé à Montréal, à Toronto et à Vancouver.

Ils espèrent tous que le gouvernement fédéral a tiré des leçons de la pandémie et qu'il continuera de favoriser des solutions autres que la détention comme ils le réclament depuis des années.

Homme aux cheveux blancs et portant des lunettes en entrevue devant la caméra.

Jean-Claude Bernheim, président de la Société John Howard du Québec

Photo : Radio-Canada

C'est le cas notamment du président de la Société John Howard du Québec, Jean-Claude Bernheim.  Il croit d'ailleurs que la population elle-même est maintenant mieux placée pour comprendre les effets néfastes du confinement en raison de la pandémie.

Une détention dans un centre pour immigrants, c'est un confinement qui est beaucoup plus dramatique ou exacerbé que dans la société. Mais la population se rend compte que le fait d'être contraint dans ses déplacements, contraint dans ses contacts, ça a des répercussions sur la santé mentale. Si ça a ces effets sur des citoyens libres, on peut facilement conclure que pour les personnes qui sont détenues, les effets sont beaucoup plus accentués, fait-il valoir.

Le ministre en chambre, avec un coquelicot.

Bill Blair, ministre de la Sécurité publique, est le ministre responsable de l'Agence des services frontaliers du Canada.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Nous avons demandé au ministre responsable de l'Agence des services frontaliers s'il était prêt à continuer de favoriser d'autres solutions que la détention après la pandémie.

Dans sa réponse, le bureau du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, avance que c'est l'approche qu'utilise déjà son gouvernement.

La détention des immigrants a toujours été une mesure de dernier recours, utilisée uniquement dans des circonstances limitées, et seulement après que des alternatives à la détention aient été considérées en premier lieu. L'ASFC s'assure que les volumes restent au minimum et que toutes les options de libération soient explorées dans les cas où le risque associé à une personne peut être géré dans la communauté, peut-on lire dans le courriel que son bureau nous a envoyé.

NOUVEAU :

Le premier ministre Trudeau a laissé entendre mardi que des solutions de rechange à la détention des migrants pourraient être envisagées à plus long terme.

Appelé à réagir au reportage de Radio-Canada, durant une conférence de presse, le premier ministre a reconnu que la pandémie entraîne de nouvelles façons de faire qui vont nous apprendre à réfléchir aux prochaines étapes, à ce qu'on pourrait faire à l'avenir .


* Patrick est un nom fictif que nous avons donné à ce ressortissant africain dont le dossier d'immigration est toujours en traitement.

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