Prolonger la protection de la jeunesse : un bon investissement, selon une étude

La continuité des services offerts aux enfants placés à la DPJ augmenterait la probabilité que ces jeunes obtiennent un diplôme secondaire ou professionnel.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Québec aurait tout intérêt à mieux encadrer les jeunes de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) lors de leur transition à la vie adulte, selon une étude. L’investissement serait « économiquement avantageux » en plus de favoriser le bien-être de ces jeunes après 18 ans.
Pour chaque dollar investi dans ce type de programme, il est tout à fait raisonnable de croire que Québec pourrait retirer 1,75 $, en plus de s'assurer du bien-être des jeunes à la sortie de placement
, explique Martin Goyette, professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique (ENAP) et cosignataire de l'analyse rendue publique lundi.
Un système de soutien pour le passage à la vie adulte engendrerait des coûts d'environ 146 millions de dollars au gouvernement provincial, alors que l’estimation « très conservatrice » des bénéfices attendus se situerait entre 154 et 254 millions de dollars pour une cohorte annuelle de 2000 jeunes placés, selon l'Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJeP).
Toujours selon cette étude, un tel programme augmenterait aussi la probabilité que ces jeunes obtiennent un diplôme secondaire ou professionnel et qu’ils intègrent le marché de l’emploi, en plus de diminuer les risques de détresse psychologique et d’épisodes d’itinérance, une réalité que vit un jeune placé sur cinq.
[Les jeunes] seraient mieux dans leur vie, dans leur peau, dans leur famille et ils vont contribuer à la société tout au long de leur vie.
On se retrouve à 18 ans devant un vide de service, c’est difficile
, confie Jessy Gagné, membre du Comité Jeunes EDJeP qui a été placé sous la DPJ de 3 à 18 ans. J’avais la chance d’avoir un réseau social important, ce qui m’a permis de me stabiliser facilement et de continuer mes études, mais ce n’est pas le cas pour tous.
Ces jeunes se retrouvent souvent avec peu d’acquis pour fonctionner en société, explique-t-il, avec un parcours traumatique et des difficultés qui font en sorte qu’ils ne sont pas prêts à fonctionner seuls, sans soutien psychosocial ou financier.
Un accompagnement jusqu'à 21 ans
La transition est souvent une période difficile pour les jeunes de 18 ans
, poursuit Jessy Gagné.
La Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse a recueilli 276 témoignages dans la dernière année afin de trouver des solutions pour remédier aux problèmes de la DPJ. Régine Laurent doit remettre son rapport le 30 novembre.
Jessy Gagné fait partie de ceux qui ont pris la parole pour témoigner de leur expérience.
On a parlé du sentiment d’abandon, d’absence de support psychosocial et financier, du manque d’incitatifs à poursuivre sa scolarité. On espère avoir été entendus.
Selon lui, les services devraient être systématiquement offerts dès la majorité pour tous les jeunes sous la protection de la jeunesse.

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse doit indiquer au gouvernement de François Legault comment réformer la DPJ et améliorer les services qu'elle a pour mandat d'offrir.
Photo : Radio-Canada / Martin Bilodeau
En centre jeunesse, la vie des jeunes est très restrictive, tout est organisé et tu as beaucoup de règles et des conséquences si tu ne les suis pas. Mais la vie à la sortie, ce n’est pas comme ça
, raconte Nicolas Junoir, lui aussi membre du Comité Jeunes EDJeP, qui se dit contre la sortie à 18 ans
.
Les jeunes ont besoin de plus d’accompagnement pour ne pas se trouver en itinérance à leur sortie. Je pense qu’il faut les garder au moins jusqu’à leurs 21 ans, même jusqu’à 25 ans.
Le Québec en queue de peloton pour le bien-être des jeunes placés
Le Québec est l'une des seules juridictions au Canada qui n'a pas mis en place un système complet et systématique de soutien prolongé, rappelle Martin Goyette. Il est grand temps que la province se questionne sur les meilleures pratiques à mettre en oeuvre pour favoriser le bien-être de ces jeunes qui n’ont pas de soutien familial
, selon lui.

Martin Goyette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évaluation des actions publiques à l'égard des jeunes et des populations vulnérables
Photo : Radio-Canada
On s'interroge sur l'amélioration du système de protection de la jeunesse depuis 40 ans. On a mis le système de protection de la jeunesse en place parce qu'on s'inquiétait de l'adaptation sociale des jeunes placés dans les centres, mais c’est encore aujourd’hui une de nos préoccupations
, explique M. Goyette.
Est-ce que c'est un privilège qu'un jeune ait des services efficaces et spécialisés pour qu'il devienne un adulte heureux, accompli, ou n’est-ce pas plutôt un droit?
La recherche internationale montre nettement que les services en continu sont la voie à suivre, explique Martin Goyette, et il faudra que le Québec s’assure de mettre en place des droits spécifiques pour les jeunes placés.
À lire aussi :
Dirigée par la Chaire de recherche du Canada sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ) de l’ENAP, l’EDJeP a été réalisée en trois temps. Sur une population cible de 2573 jeunes Québécois en situation de placement, 1136 d’entre eux ont été rencontrés.
D’abord vers l’âge de 17 ans, pour remplir un questionnaire détaillé. Quelque 830 d’entre eux ont ensuite été rencontrés de nouveau, en 2019 et en 2020, pour suivre l’évolution de leur cheminement vers l’autonomie. Les données issues de ces questionnaires ont aussi été croisées avec certaines informations sur les trajectoires de services et de placement de ces jeunes, provenant de dossiers administratifs.
Avec les informations de Jacaudrey Charbonneau