Un plan de réduction des GES « caduc » à Lévis
La Ville de Lévis souhaite limiter la hausse de ses émissions de GES à 3,5 % d'ici 2021 par rapport à l'année de référence 2009.
Photo : Radio-Canada / Sébastien Vachon
La Ville de Lévis n’effectue aucun suivi en continu de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), un élément pourtant indispensable pour mesurer l’impact et l’efficacité de ses politiques environnementales.
Dans le cadre de son plan de réduction des GES
2013-2021, Lévis s’est engagée à limiter la hausse de ses émissions polluantes à 3,5 % par rapport à l’année de référence 2009.Cette cible ne concerne pas l’ensemble des GES
produits sur le territoire de la municipalité, mais uniquement les émissions des secteurs d’activité sur lesquels elle exerce un contrôle direct : bâtiments municipaux et postes de pompage, équipements motorisés et traitement des eaux usées.La Ville avait prévu d’effectuer un inventaire en continu de ses émissions de GES
sur une fréquence hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, selon le secteur d’activité.La réalisation d’un inventaire continu des émissions permettra de mesurer l’impact des mesures adoptées par la municipalité dans le cadre de ce plan d’action
, peut-on lire dans le document.
Or, Radio-Canada a appris que cet inventaire n’a jamais été mis à jour. Nous avons tenté d’obtenir, par l’intermédiaire de la loi sur l’accès à l’information, les inventaires annuels des émissions de GES
que la Ville de Lévis s’était engagée à produire. Voici ce qu'elle nous a répondu :Nous devons vous informer qu’aucun document n’a été identifié relativement à votre demande. La prochaine mise à jour des informations concernant les GES
sera faite lorsque le bilan du plan de réduction de GES sera terminé.
Pour consulter le plan de la Ville de Lévis, cliquez sur ce lien (Nouvelle fenêtre).
Excès d’optimisme
Le chef de service de la mise en valeur des écosystèmes à la Ville de Lévis, Christian Guay, admet que la municipalité a peut-être été un petit peu optimiste
en annonçant qu’elle effectuerait un suivi en continu de ses émissions. L’exercice s’est avéré beaucoup plus exigeant que prévu, tant et si bien que la Ville a décidé d’y mettre fin.
C’est énormément de travail, l’inventaire en continu des gaz à effet de serre. On a mis notre énergie plus sur les actions
, explique Christian Guay.
Il ajoute que la Ville a continué de collecter les données brutes et qu’elles seront comptabilisées et rendues publiques à la fin du plan, en 2021. Malgré l'absence de mise à jour des inventaires, M. Guay est persuadé que Lévis atteindra ses objectifs.
À peu près toutes les actions que la Ville avait identifiées ont été réalisées. Donc, on est très, très confiant d’atteindre nos cibles, en fait, de dépasser nos cibles.
À elle seule, la transition vers l’électricité ou le gaz naturel de bâtiments municipaux alimentés au mazout a permis de réduire les émissions du secteur municipal d’environ 500 tonnes équivalent de CO2 (tCO2éq).
Cela correspond à la moitié des 1050 tCO2éq que Lévis doit éliminer pour parvenir à limiter la hausse de ses émissions de GES
à 3,5 % par rapport à 2009.Il est à noter que cette cible est inférieure à celle de la Fédération canadienne des municipalités, qui recommandait à ses membres de réduire leurs émissions de 20 % par rapport à une année de référence donnée, et ce, dans un délai de 10 ans.
Reddition de comptes insuffisante
David Talbot, professeur de gestion à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP), émet certaines réserves par rapport au plan de réduction des GES
de la Ville de Lévis.Il mentionne qu’un plan environnemental doit permettre de suivre la performance, dans le temps, des actions implantées et d’évaluer dans quelle mesure elles contribuent à l’atteinte des objectifs initiaux. L’absence d’un suivi en continu des émissions de GES
va à l’encontre de ce principe.Il est clair, pour moi, qu'un plan, si on ne fait pas le suivi puis si on ne communique pas les résultats, c'est un plan tout simplement caduc, c’est-à-dire que pour n'importe quel citoyen, il est impossible de connaître réellement la performance de sa municipalité
, explique David Talbot.
Ce suivi en continu de la performance permet en outre d’apporter en cours de route les correctifs et améliorations qui s’imposent plutôt que d’attendre à la toute fin du plan pour procéder à des ajustements.
Le professeur de l’ÉNAPmanque flagrant de cibles et d’objectifs quantifiables
dans le plan municipal.
On se rend compte que le plan n'était pas très ambitieux en soi [...] et qu’on se retrouve avec plein d'actions, plein d'indicateurs potentiels où on ne connaît pas c'est quoi l'objectif visé au final.
Lévis a bénéficié d’une subvention de 125 000 $ du programme Climat Municipalités pour élaborer son plan de réduction des GES
. Financé par le gouvernement du Québec, le programme lancé en 2009 visait à mettre les villes à contribution dans la lutte aux changements climatiques.Selon David Talbot, l’incapacité de la Ville de Lévis à effectuer un suivi approprié de ses émissions découle principalement d’un problème de ressources. Il croit que d’autres municipalités ayant participé au programme provincial se sont retrouvées dans la même situation.
C'est comme si on donnait un signal aux gens [comme quoi] c'est important de faire un effort pour les changements climatiques, mais après ça, on ne donne aucune ressource pour la mise en oeuvre des plans et [...] ça fait un décalage important entre ce qui était prévu initialement et ce qui s'est passé la suite.
Il faut arrêter de développer des plans s'il n'y a pas de ressources pour les implanter.
Plan bricolé
Plusieurs mesures incluses dans le plan de réduction des GES
de la Ville de Lévis sont tirées de son Plan d’action de développement durable.Cette pratique, également observée dans d’autres municipalités, fait en sorte qu’il est difficile d’évaluer les impacts réels d’un plan de réduction des GES
, indique David Talbot.On a souvent l'impression que les organisations font simplement du bricolage. On va aller chercher une action à droite, une action à gauche puis on va tenter de mettre l'ensemble des actions dans un plan cohérent
, déplore le professeur.
Il invite les municipalités et les organisations en général à se doter d’un plan de réduction des GES
comprenant des cibles engageantes et accompagné de mesures dont il est possible de mesurer l’impact à court, moyen et long terme.David Talbot les enjoint également à miser sur l’innovation plutôt que sur un recyclage d’actions et d’initiatives
déjà en place.