Comment encadrer l’usage de la reconnaissance faciale?

Pour le comité, le consentement des citoyens à ce que leur visage soit scanné doit être manifeste et éclairé.
Photo : getty images/istockphoto / SDI Productions
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Données collectées sans le consentement des citoyens, usage disproportionné de la reconnaissance faciale à des fins de sécurité, rapport coûts et avantages d’une telle technologie… Un groupe de 13 étudiants mandaté par la Commission de l'éthique en science et en technologie s’est penché sur la meilleure manière d’encadrer l’utilisation de la reconnaissance faciale dans l’espace public.
Alors que des commissaires à la vie privée de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Canada ont récemment épinglé la société Cadillac Fairview pour avoir recueilli, sans leur consentement, des images et des données biométriques de ses clients dans 12 centres commerciaux, le sujet fait aussi débat au Québec.
Il y a quelques mois, 13 étudiants se sont donné l’objectif de réfléchir aux enjeux éthiques que soulève la reconnaissance faciale. Ce thème prend de plus en plus de place dans notre quotidien et nous voulions porter les revendications et les inquiétudes des jeunes sur ce sujet
, explique Dominic Cliche, conseiller en éthique et co-responsable de l’activité.
Les questions éthiques liées à ce sujet m’intéressaient et j’ai vu cela comme l'occasion d’en apprendre plus sur cette technologie, comment elle peut être intégrée dans la vie de tous les jours, comment on peut l’encadrer, etc.
, explique Fanny Caire, maintenant étudiante en droit et co-porte-parole du groupe. Elle est ses 12 camarades ont participé à ce comité de manière volontaire.
Pour se mettre au parfum, les 13 volontaires ont eu accès à plusieurs ouvrages sur le sujet, comme des articles de presse et des publications scientifiques. La question est large et complexe, puisque la reconnaissance faciale peut être utilisée dans différents domaines : en santé, à des fins commerciales ou à des fins sécuritaires.
Les membres du comité ont ainsi décidé d’aborder les enjeux au travers du prisme de la protection des droits et libertés de la personne, avec un accent mis sur l’égalité et la non-discrimination, et ce, en portant une attention particulière au sort des personnes plus vulnérables.
Parmi leurs 10 recommandations, le principe du consentement apparaît en premier. On est dans un contexte où ça peut toucher aux droits fondamentaux
, explique Fanny Caire.
La jeune femme et ses 12 camarades ont estimé que l’utilisation de la reconnaissance faciale nécessite le consentement, que des renseignements personnels soient collectés ou non. Le consentement doit donc être manifeste, c’est-à-dire évident, et le consentement du citoyen doit être éclairé
, expliquent-ils dans un document remis au gouvernement du Québec.
Peu de recul sur cette technologie
Concernant l’utilisation de cette technologie à des fins sécuritaires, Fanny Caire souligne que c’est l’un des points qui a le plus suscité de débats.
« On s’est dit que ça pourrait être utile dans une boîte de nuit par exemple, pour repérer ceux qui mettent la drogue du viol dans certaines boissons. Mais d’un autre côté, on s’est aussi dit que certaines personnes ne veulent peut-être pas forcément que tout le monde sache qu’elles étaient en boîte de nuit. »
Elle donne également l’exemple d’un logiciel de reconnaissance faciale qui a été utilisé en Inde pour retrouver des enfants disparus. Mais deux ans plus tard, le même logiciel a été utilisé par la police qui a commencé à l'alimenter avec des images de manifestations afin de trier les manifestants habituels
et les éléments turbulents
.
Ainsi, le comité préconise que l’utilisation de la reconnaissance faciale à des fins de sécurité soit justifiée par son efficacité, sa nécessité et sa proportionnalité.
Problème, il y a très peu d’études sur son efficacité justement. On fait beaucoup de promesses avec cette technologie. Le fait qu’il n’y ait pas d’études à ce sujet ne me rassure pas spécialement
, indique M. Cliche.
De nombreux experts soulignent par ailleurs que cette technologie est reconnue pour son très faible niveau de fiabilité, en particulier pour les personnes racisées. Un problème aussi abordé par le groupe d'étudiants.
« Dans certains contextes, l'utilisation d'un système de reconnaissance faciale pourrait avoir des effets discriminatoires sur certains groupes d'individus, ce qui va à l'encontre du droit à la non-discrimination. »
D'ailleurs, il faut noter que l'utilisation de cette technologie suppose un fichage préalable : il faut donc disposer d'une base de données contenant des milliers de photos de citoyens.
En France, une enquête du sociologue Laurent Mucchielli a justement été récemment publiée sur le sujet. Il y détermine qu’enregistrer des images utilisables par les policiers dans leurs enquêtes a une efficacité réelle, mais très limitée
. Aussi, faut-il s’interroger, selon lui, sur le rapport coûts-avantages.
Par ailleurs, il remet en cause l’installation de caméras pour lutter contre la délinquance. Cette détection en direct étant très faible, cela conduit en réalité à un détournement du système vers d’autres usages, le plus rentable étant la vidéoverbalisation
, explique le sociologue dans un billet de blogue publié sur Mediapart.
En tout cas, carte blanche ne doit pas être donnée au privé quant à l’utilisation de la reconnaissance faciale et l’État doit baliser ce secteur. Le groupe de jeunes recommande en ce sens que le gouvernement du Québec se dote d’une instance de surveillance et de régulation en matière d’intelligence artificielle.
Pour que les citoyens soient mieux informés sur ces enjeux, Fanny Caire suggère qu’ils soient inclus dans certains cours, au cégep par exemple. Les jeunes doivent savoir comment ça fonctionne, quels sont leurs droits vis-à-vis de cette technologie, quels en sont les avantages et les inconvénients
, conclut-elle.