Le créole, « une langue qui fait rêver »
Le 28 octobre, les créolophones célèbrent la journée internationale de la langue créole.

Les carnavals sont parmi des outils importants de véhicule de la culture créole.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Depuis 1983, le monde célèbre chaque 28 octobre la journée internationale de la langue créole. L’initiative du Comité international des études créoles vise à célébrer la langue et la culture créoles.
Cette langue née sur les bateaux qui transportaient des esclaves noirs désigne également des populations issues de l’esclavage. Lorsqu’ils se trouvaient ensemble, les populations africaines qui venaient des divers endroits ne pouvaient communiquer parce que parlant des tas de langues différentes les unes des autres
, explique Christiane Dumont, professeure en études françaises à l’Université York.
Les langues créoles sont nées des mélanges entre les langues africaines et les langues parlées par les colonisateurs, ajoute-t-elle. Ainsi on dénombre, entre autres, des langues créoles à base française, portugaise, anglaise, espagnole et néerlandaise.
Langue variée et à part entière

Christiane Dumont est professeure au département d'études françaises à l’Université York, à Toronto.
Photo : Avec l'autorisation de Christiane Dumont
À Toronto, 4960 personnes ont déclaré avoir le créole comme langue maternelle, selon le recensement 2016 de statistiques Canada.
Au total, il y a 12 millions de créolophones dans le monde, selon une estimation de l’Université de Montréal. La majorité de ces locuteurs parlent le créole à base du français. Ces créoles [francophones] venaient en majorité des comptoirs principaux du Bénin et de Gorée
, indique Mme Dumont.
Un grand nombre de ces populations vit dans les Caraïbes, notamment en Haïti et en Martinique. On retrouve également ces créoles dans certaines îles de l'océan Indien, dont les Seychelles, l'île de la Réunion, Madagascar et l'île Maurice.
D’autres créoles sont parlées dans l’archipel des îles de la Guadeloupe, sur la côte nord-est de l’Amérique du Sud. Bien entendu, il faut ajouter les diasporas de ces pays respectifs.

Une femme vend de la cannelle dans un marché de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe.
Photo : Getty Images / AFP/Jean-Michel André
Christiane Dumond insiste sur le fait que la syntaxe du créole ne doit pas être confondue avec celle du français, car le créole n’est pas une déformation de la langue de Molière, comme véhiculé par certaines personnes.
D'après elle, les esclaves étaient obligés d’associer des mots français aux langues africaines pour se faire comprendre par des maîtres dans les plantations, et aussi parce qu'ils n’avaient souvent pas le droit de parler leurs propres langues.
Si on arrive à dire que le créole c’est le français dénaturé, c’est parce que pendant longtemps, il a existé un courant qui pensait que le créole était un mauvais français, ce qui n’est pas vrai
, souligne la professeure.

Dave Champagne, originaire d'Haïti
Photo : Avec l'autorisation de Dave Champagne
Dave Champagne, un Torontois originaire de Haïti, est également de cet avis. Pour lui, la langue créole n’est pas une langue de seconde zone.
La langue créole est un moyen de communication comme toutes les langues, la seule différence est que les peuples qui parlent le créole ont été dominés par d’autres peuples, alors la langue [créole] porte l’empreinte du dominateur.
Il ajoute que le lexique du créole donne naissance à des mots, prête des mots, laisse tomber des mots, donc un phénomène naturel comme c’est le cas dans toutes les langues
.
Éloignés, mais proches
Le fait que les créolophones vivent dans des endroits du monde éloignés les uns des autres est perçu par la professeure Christiane Dumont comme une difficulté pour qu'ils s’identifient dans une culture mère
.
Elle indique toutefois qu'au niveau des régions, les créoles se connaissent et échangent plus. C’est le cas dans l'océan indien et dans les Caraïbes
.

Rajiv Bissessur, Torontois d'origine mauricienne
Photo : Radio-Canada / Radio Canada
Rajiv Bissessur est originaire de l’île Maurice. Le créole mauricien, sa langue maternelle, fait partie de son identité.
C'est mon identité mauricienne, c’est une langue que j’adore, une langue qui fait rêver
, déclare-t-il. Le Torontois est fier de partager la langue et la culture créole avec des créolophones d’autres coins du monde.
Il y a une diversité au niveau du créole, mais on arrive [parfois] à se comprendre. Le créole mauricien contient plusieurs mots anglais contrairement à celui parlé à l'île de la Réunion. Mais on arrive à se comprendre. C’est aussi le cas pour le créole seychellois
Malgré les variétés qui caractérisent les différentes langues créoles, il affirme capter le message lorsqu’il est en communication avec des locuteurs de créoles autres que celui parlé dans son pays d’origine.
Plus qu’une langue

L'ontarienne Magali Laville est une enseignante agrégée en Ontario et détentrice d'une maitrise en histoire des Caraïbes.
Photo : Radio-Canada / Radio Canada
L’Ontarienne Magali Laville est originaire de l’archipel des îles de la Guadeloupe. Elle considère le créole non seulement comme une langue, mais aussi comme le fruit de métissages, comme elle-même .
Mon grand-père était un blanc de France, ma grand-mère est une Indienne d’Inde, mon père est d’origine noire africaine. Dans notre famille il y a toutes les couleurs, les cheveux sont tous différents, des couleurs des yeux sont différentes
, affirme-t-elle.
Elle n'hésite pas à recadrer toute personne qui penserait que les peuples créoles sont des peuples sans culture.
Un jour j’ai dit à ma mère ouvertement, alors que j’avais 8 ou 9 ans, quand elle m’a dit : ne parle pas créole parce que c’est la langue des noirs qui n’ont pas de culture. Alors j’ai dit, attention, maman! Puisque ces peuples font partie de notre culture et de notre famille. Je m’estime tout simplement légitime être humain et je ne veux m’identifier en aucun aspect négatif qu’on veut nous inculquer sur notre culture.
Mme Laville estime que la langue créole devrait-être considérée comme un des éléments importants des cultures créoles. Les cultures créoles sont nées de brassage culturel entre l’Afrique, l’Europe et l’Inde. [Ces cultures] ont pour point commun une langue, des danses, des traditions, des livres, une cinématographie, des contes, des danses et un habillement
, explique-t-elle.
C’est avec joie et fierté qu’elle transmet l’identité culturelle créole à sa fille née au Canada.
Quand je lui parle en créole, à peine j'ai ouvert la bouche elle éclate de rire sans même savoir ce que je vais dire parce qu’elle aime cette espèce d’atmosphère joyeuse et conviviale, le fait d'entendre sa mère parler créole
, raconte l’historienne.