Les résidences pour aînés : des tout-inclus avec beaucoup d’extras
Avec le vieillissement de la population, le marché des résidences privées pour aînés est en pleine expansion. Mais la vie d'hôtel peut entraîner des surprises. De plus en plus de locataires dénoncent les prix élevés des loyers, des services et des soins. Les propriétaires, eux, réclament l’aide de Québec. Enquête au coeur de l'or gris.

Un important projet résidentiel en construction.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Au Québec, il y a 1745 résidences privées pour aînés. Des établissements à but lucratif qu’on appelle couramment des RPA. Plus de 131 000 retraités y habitent. C’est presque une personne sur cinq parmi la population de 75 ans et plus.
Le marché des RPA est un véritable Klondike pour les investisseurs. Cinq grands développeurs dominent ce marché : le Groupe Maurice, Sélection Retraite, COGIR, Groupe Savoie et Chartwell. Les promoteurs investissent 3 milliards de dollars pour construire 70 résidences au Québec au cours des deux prochaines années.
Ce n’est qu’un début, et pour répondre à la demande de la population vieillissante, ils projettent de construire entre 2000 et 4000 appartements par année pendant 25 ans.
Des complexes où tout est pensé pour plaire aux retraités dynamiques. Salon de coiffure, pharmacie, piscine, salon de quilles, table de billard. Tout sous un même toit. Un milieu de vie qui permet de socialiser. La vie d’hôtel au quotidien.
Jean-François Gilbert, de la firme d’experts-conseils GDA, guide les promoteurs dans leurs projets d’expansion. Dans quel quartier faut-il construire? De quelle grosseur? Les premiers baby-boomers ont 75 ans cette année. Tout doit être prêt pour leur entrée en résidence. Il y a une grosse vague qui s'en vient. Il y a plusieurs personnes qui veulent accommoder cette clientèle-là.
Des promoteurs qui veulent profiter de la manne. Je ne pense pas que le mot "profiter" est juste. Je crois que, pour les promoteurs, c'est plus de pouvoir offrir à cette clientèle-là un mode d'habitation qui est attractif pour eux
, précise-t-il.
Ce modèle de maison de retraite a été créé au Québec. La première aurait ouvert en 1922 en Estrie, la Résidence Wales Homes, mais Eddy Savoie propriétaire des Résidences Soleil a été un précurseur dans l’expansion de ce type d’habitation. Aujourd’hui, près de la moitié des RPA du pays se trouvent au Québec.
Dans une RPA, le loyer moyen est de 1844 $ par mois, mais il peut grimper jusqu’à 3500 $ sans service personnalisé.
Âgé de 92 ans, Marc Pettigrew habite les Appartements de Bordeaux à Québec, propriété de Chartwell. Lorsqu’il a emménagé en résidence, cet ancien administrateur dans la fonction publique québécoise a constaté que le prix du loyer pour un logement semblable différait d’une porte à l’autre. Le prix dépendait en fait de la capacité de chacun à négocier.
« Ce qui m'a animé, c'est l'iniquité qu'il y avait dans la négociation des baux… je trouvais ça épouvantable, ça n'avait pas de bon sens. »
En 2018, avec une dizaine de personnes de sa résidence, il a contesté l’augmentation de loyer de Chartwell devant le Tribunal administratif du logement. L’année suivante, nouvelle contestation, ils sont 46 locataires.
Autre bataille, cette fois elle se tient devant le Commissaire aux plaintes… l’ancien sous-ministre québécois aux Forêts Michel Duchesneau se plaint de la qualité des repas et d’une augmentation de 20 % des coûts des repas à la carte.
Le commissaire aux plaintes reconnaît que l'augmentation est importante, mais elle est légale. La RPA a le droit d’augmenter le coût des services à la carte ou de modifier ceux-ci à tout moment
, indique Jacques Beaulieu, commissaire aux plaintes du CIUSS de la Capitale-Nationale.
Dans son rapport de 2016, la Protectrice du citoyen avait recommandé une plus grande protection des droits des résidents de RPA. Le locataire qui se plaint vise une entreprise ou un individu dont il dépend chaque jour pour des soins qui lui sont indispensables. En pareil contexte, des locataires craignent d’être la cible de représailles.
Ces établissements privés réclament l’aide du gouvernement
Les loyers des résidences privées pour aînés sont régis par le Tribunal administratif du logement, anciennement la Régie du logement.
Le Regroupement québécois des résidences pour aînés réclame de nouvelles règles de fixation de loyer qui tiennent compte de l’ensemble de leurs dépenses.
« Les augmentations de loyer sont indexées selon la variation des indices des prix à la consommation, qui n’ont rien à voir avec les augmentations beaucoup plus importantes que nous subissons avec les salaires, la nourriture et les autres dépenses pour assurer la grande qualité des services et des installations que nous offrons à nos résidents. »
Coincés entre des coûts d’exploitation qui augmentent et des investisseurs à satisfaire, et pour ne pas pénaliser leur clientèle, disent-elles, les RPA demandent aussi au gouvernement de bonifier les crédits d’impôt pour maintien à domicile dont bénéficient les résidents.
Le gériatre et ancien ministre de la Santé Réjean Hébert s'interroge sur le rôle de l’État dans ce marché privé.
« 80 % des gens qui réclament le crédit d'impôt pour maintien à domicile, ce sont des gens qui vivent en résidence privée. Pourquoi? Parce que les résidences aident les personnes à réclamer ce crédit d'impôt et même l'escompte dans certains cas, dans le coût du loyer. Il y a une subvention déguisée de l'État dans les résidences pour personnes âgées. »
Si le gouvernement n’a pas encore répondu à ces demandes, il a accepté d’aider les RPA financièrement de façon à ajuster les salaires du personnel pour freiner l’exode vers le secteur public.
Les résidences privées pour aînés ont-elles toutes besoin de l’aide de l’État pour augmenter les salaires de leurs employés?
Anne Plourde, chercheuse à l’Université du Québec en Outaouais, termine une étude sur l'impact de la course au profit en hébergement pour aînés. On n'en a aucune idée, donc c'est très difficile de savoir s’ils pourraient se permettre d'augmenter les salaires. C'est possible qu’ils soient incapables réellement de le faire en maintenant une marge bénéficiaire suffisante pour survivre. Dans ce cas-là, si c'est le cas, ça veut dire que c'est un modèle d'affaires qui ne fonctionne pas.
Il va falloir que les résidences ouvrent leurs livres parce qu'on ne peut pas demander des subventions et ne pas être transparent dans la gestion des finances
, indique Réjean Hébert.
Des propriétaires à qui nous avons demandé de dévoiler leurs chiffres ont tous refusé. Leurs entreprises sont privées et leurs états financiers ne sont pas du domaine public.
« Alors pas de subvention de l'État. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. »
Les soins et les services à la carte font grimper la facture
Les prix des services et des soins varient d’une résidence à l’autre. Nous avons fait une moyenne de certains frais à partir de listes que nous avons obtenues.
Liste de prix à l’acte
- changer une ampoule : 5 $
- installer un climatiseur : 36 $
- monter un repas à l’appartement : 7 $
- mettre et enlever des bas pour l’hypertension : 24 $
- mettre des gouttes pour les yeux : 9 $
- injecter de l’insuline : 9 $
- distribuer des médicaments : 9 $
- prendre la tension artérielle ou la température : 11 $
- aider à l’habillement : 12 $
- aider au bain : 35 $
- faire marcher pendant 15 minutes : 8 $
- amener à la toilette : 8 $
Des frais que Marc Pettigrew appelle des entourloupettes. C'est des entourloupettes pour nous soutirer un petit peu d'argent ici, un petit peu d'argent là. Ça n’a pas de bon sens. Il faut que vous soyez rentable, faut que vous ayez un rendement sur votre capital investi. Mais arrêtez de charrier et de nous exploiter comme ça. C'est clair!
Des investisseurs à la recherche de bons placements
À l’exception du Groupe Savoie qui est une entreprise familiale, la plupart des grands groupes de RPA sont financés par des actionnaires, des fonds d’investissement privés, des fonds de retraite.
Selon le président de la firme d’experts-conseils GDA Montréal, Jean-François Gilbert, le rendement courant annuel varie d’un groupe à l’autre et d’une année à l’autre. Généralement ça va varier entre 7 % et 10 %. Il y en a quelques-uns qui dépassent le 10 %, je vous dirais que ça se situe pas mal dans cette fourchette-là.
Le Groupe Sélection Retraite a tenu à préciser dans une réponse écrite que son rendement annuel est plutôt de l’ordre de 6 %. Un rendement raisonnable est nécessaire pour poursuivre nos activités et répondre aux besoins croissants en hébergement de la population vieillissante
, dit Chartwell.
Le Groupe Maurice a répondu : Contrairement à ce que certains pourraient penser, les profits proviennent essentiellement du développement immobilier et non des services à la clientèle.
Il nous a été impossible de valider ces informations, puisqu’aucun groupe ne nous a donné accès à ses états financiers.
Les RPA doivent être mieux encadrées
L’ancien ministre de la Santé Réjean Hébert ne cache pas qu’il n’aime pas ce modèle d’habitation où les aînés se retrouvent entre eux. Pour lui, son essor découle de la faillite des soins à domicile. On n'a pas été capables d'assurer aux personnes âgées qu'en cas de perte d'autonomie il y aurait des services qui seraient disponibles dans leur maison.
Maintenant qu’elles sont là et qu’elles accueillent 1 aîné sur 5 âgés de 75 ans et plus, il estime que le gouvernement doit mieux les encadrer.
« Dans ce milieu-à, il n'y a pas de norme. Quelle est la présence des infirmières, par exemple? Quelle est l'évaluation qu'on devrait faire des gens qui habitent dans ces résidences-là? Il y a dans le réseau public des outils standardisés qui permettent d'évaluer les besoins des personnes et de pouvoir faire un plan d'intervention. Dans les résidences privées, c'est loin d'être la norme. Il y en a quelques-unes qui ont des hauts standards, mais ce n'est pas le lot de toutes. »
La qualité des soins n’est donc pas toujours au rendez-vous malgré un coût important. Le patient doit généralement payer 1000 $ par mois pour une heure de soins par jour, 2000 $ pour deux heures. Cela en plus du coût du loyer de base, des repas et de l’entretien.
Dans leur publicité, certaines résidences présentent une clientèle dynamique. De jeunes retraités qui s’amusent en bonne compagnie. En réalité, 47 % des résidents ont 85 ans et plus. 40 % des RPA se sont adaptées au vieillissement de leurs résidents et se sont dotées d’unités de soins, des ailes fermées pour des gens en perte cognitive, et même des unités de soins palliatifs.
Dans l’ensemble des RPA, on compte environ 3000 infirmières et infirmières auxiliaires. Ce qui revient en moyenne à une demi-infirmière par résidence, par quart de travail.
Julie St-Germain dirige le service des inspections à l’Ordre des infirmiers infirmières auxiliaires du Québec (OIIAQ). Même si l’on dit qu’il y a du personnel infirmier sur place 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce n’est pas toujours le cas, selon elle.
« Pas toujours; des fois elle est là le matin, des fois l'après-midi, des fois elle est là, mais au téléphone. »
Dans les RPA, le travail dans les unités de soins repose surtout sur des préposés. Pour pallier le manque d’infirmières causé par la pénurie de main-d'œuvre, le ministère de la Santé a amendé le Code des professions en 2003 pour donner aux préposés plus de responsabilités.
« On leur demande de faire des soins infirmiers. Ils ne sont pas à l'aise. Faire une injection d'insuline, administrer des médicaments, des narcotiques, et d'autres soins plus invasifs. Ils voient le danger eux-mêmes. »
L'OIIAQ est inquiet de constater que certaines unités de soins dans des RPA s’occupent de cas trop lourds pour leurs capacités. Des cas qui sont parfois envoyés par les centres intégrés de santé et de services sociaux en attente d’une chambre en CHSLD. Des patients dont le niveau de soin excède largement la capacité d’une RPA, reconnaît Katasa qui possède plusieurs RPA.
Jean-François Gilbert reconnaît que des RPA acceptent une clientèle beaucoup trop lourde. Ceux que j'ai à l'esprit qui acceptent ce genre de clientèle, nonobstant le fait qu'ils n'ont pas toute l'expertise à l'intérieur pour les accepter, généralement ce sont des résidences qui sont affectées par un niveau d'inoccupation élevé dans leur résidence.
Selon le docteur Réjean Hébert, la génération avant la génération des baby-boomers, qu'on appelle la génération silencieuse, est plus charmée par ce genre d’habitation parce qu’ils ont eu des vies difficiles. Ils se disent qu’ils peuvent maintenant profiter d'un milieu qui leur apporte sécurité, camaraderie, activités...
« Cette génération-là a été séduite par ce chant des sirènes. Je suis pas sûr que les baby-boomers qui suivent après vont être aussi séduits par ce modèle. Je pense que les baby-boomers vont vouloir continuer à vivre chez eux de façon indépendante, de façon mieux intégrée dans la société. Ils vont réclamer des services, ce que la génération silencieuse ne faisait pas. »
Selon un sondage de la firme Léger de 2017, 94 % des résidents de RPA se sont dits satisfaits de leur milieu de vie. Mais pour l’année 2018-2019, les commissaires aux plaintes du Québec ont reçu 850 plaintes de résidents de RPA et de leurs familles. Un phénomène qui est à la hausse, selon des commissaires.
La génération silencieuse le serait de moins en moins.
Michel Duchesneau, locataire aux Appartements de Bordeaux à Québec, vient de signer sa deuxième lettre de doléance contre Chartwell à la commissaire aux plaintes : Un résident d'une RPA qui se questionne encore sur la vulnérabilité des aînés considérés comme une marchandise qui doit générer un maximum de profit
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Le reportage de Johanne Faucher et de Jo-Ann Demers est présenté à Enquête le jeudi à 21 h à ICI Télé et en reprise le samedi à 13 h. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 18 h 30.