AnalyseLe nouveau copinage de Doug Ford
Fini le « nouveau » Doug Ford bienveillant et rassembleur, transformé par la pandémie. Au contraire, on l'accuse de profiter de la crise pour avancer ses intérêts politiques.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford.
Photo : La Presse canadienne / Carlos Osorio
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Depuis mars, maints analystes politiques ont souligné à répétition l’avènement du « nouveau Doug Ford », bienveillant et rassembleur, qui avait été complètement changé par l’urgence de la crise.
Fini les allégations de népotisme, le caractère irascible et les innombrables nominations partisanes, croyait-on : le premier ministre de l’Ontario s’était assagi.
Pas trop vite. Alors que tous les yeux sont tournés vers sa gestion de la deuxième vague de COVID-19, Doug Ford se fait accuser de profiter de projets de loi omnibus pour faire avancer, en catimini, ses intérêts politiques.
À l’aide d’une législation pour aider les petites entreprises à faire face à la COVID-19, le gouvernement Ford a redonné à un collège chrétien dirigé par un homophobe avoué, l’évangéliste Charles McVety, l’autorité de décerner des diplômes universitaires.
Le Collège chrétien canadien avait perdu ce droit en 1983 sous le gouvernement Davis, à la suite de scandales et d'allégations de détournements de fonds impliquant le père de M. McVety.
La décision n’a évidemment rien à voir avec la pandémie. Il s’agit plutôt d’un retour d’ascenseur à peine voilé pour Charles McVety, un allié et partisan politique qui a été déterminant pour la victoire de Doug Ford dans la course à la chefferie du Parti progressiste-conservateur.

Charles McVety, Pasteur évangélique, président du Collège chrétien canadien
Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle
Le révérend controversé avait fait campagne pour Doug Ford et incité la droite religieuse ontarienne à l’appuyer au deuxième tour, après l’élimination de leur candidate vedette, Tanya Granic Allen. La droite religieuse y voyait une occasion de répudier la réforme du programme d’éducation sexuelle de Kathleen Wynne, mais a été déçue : la version adoptée par Doug Ford était finalement similaire à l’ancienne.
Un collège qui a promu l'islamophobie et nié la théorie de l'évolution ne devrait en aucun cas être mis sur le même pied que les universités légitimes.
Doug Ford répare en quelque sorte les pots cassés avec cette faveur. Le problème, c’est qu’il entérine, par le fait même, le personnage.
Charles McVety est l'une des personnes les plus ouvertement homophobes et racistes de toute la province. Ce n’est pas un homme respectable. Pourquoi est-ce que le gouvernement veut élargir son mandat?
, martèle l’ex-première ministre Kathleen Wynne, qui est lesbienne.
En 2010, l’émission de télévision nationale animée par M. McVety, Word TV, a en effet été retirée des ondes après que le Conseil canadien des normes de la radiotélévision eut jugé (Nouvelle fenêtre) qu’elle véhiculait des propos malveillants, insidieux et fondés sur la conspiration
envers la communauté gaie et des positions abusives et indûment discriminatoires au sujet de l’islam
.
Le projet de loi est atypique et inhabituel, dit le politologue Peter Graefe, et pourrait faire mal à Doug Ford si les électeurs y voient un retour à ses anciennes tactiques de copinage
.
Il souligne que les autres universités chrétiennes qui décernent des diplômes en Ontario sont passées par les canaux officiels. Le Canada Christian College, à l’opposé, n’a toujours pas obtenu le feu vert de la Commission d'évaluation de la qualité de l'éducation postsecondaire pour devenir une université.
Contestations judiciaires
La loi demeure donc symbolique d’ici à ce que la Commission entérine ou non la demande. Si c’est le cas, pour la professeure Amélie Barras de l’Université York, qui étudie l'intersectionnalité du droit, de la religion et de la politique, des contestations judiciaires pourraient être entamées.
La Cour suprême du Canada a statué en 2018 que les barreaux de la Colombie-Britannique et de l'Ontario avaient le droit de refuser d'agréer la faculté de droit proposée par l'Université chrétienne Trinity Western à cause de son code de conduite jugé discriminatoire envers les homosexuels.
Le Canada Christian College veut décerner des diplômes de baccalauréat en arts et en sciences. La jurisprudence ne s’appliquerait pas automatiquement. Toutefois, comme le fait Trinity Western, le Canada Christian College impose un code de conduite strict à ses élèves, qui interdit notamment toute relation sexuelle en dehors du mariage hétérosexuel.

Le Collège chrétien du Canada a été fondé par le père de Charles McVety en 1967.
Photo : La Presse canadienne / Chris Young
Un argument pourrait certainement être fait que ces codes de conduite étant discriminatoires, ça limite l'accès à cette université et à ses diplômes aux étudiants LGBTQI
, dit-elle. Trinity Western a d'ailleurs rendu son code de conduite optionnel après le jugement.
Il n’est pas rare pour les gouvernements de profiter de crises pour avancer leurs intérêts ou revisiter leur relation avec la religion, souligne la professeure Barras. En France, le projet de loi actuel (Nouvelle fenêtre) du gouvernement Macron sur le séparatisme et la laïcité est un exemple selon elle.
Doug Ford avare de commentaires
Cette semaine, Doug Ford a esquivé les questions à ce sujet lors de ses points de presse. Le processus va suivre son cours et on verra ce qui arrive
, s'est contenté de dire le premier ministre ontarien. Il mise sur le fait que la controverse risque d’être vite oubliée dans le contexte pandémique.
Cette semaine, il a refait le coup en coupant l’herbe sous le pied des municipalités de l’Ontario en empêchant l'utilisation du vote préférentiel dans un autre projet de loi omnibus visant pourtant à protéger les entreprises et les individus de poursuites liées à la COVID-19.
En juillet, toujours à l’aide de projets de loi omnibus, son gouvernement a aussicontourné les évaluations environnementales et restreint l’accès à la justice sans trop faire de vagues. Reste à voir ce qu’il réserve aux Ontariens dans son prochain budget, qui doit être déposé d’ici le 5 novembre.
Il a peu à perdre en continuant d’utiliser ces tactiques. Son gouvernement est majoritaire et le chef surfe sur une vague de popularité sans précédent. L'opposition peut monter aux barricades, mais sans plus.