Controverse à l’Université d'Ottawa : le climat s’envenime

L'Université d'Ottawa est au cœur d'une polémique concernant l'utilisation d'un mot insultant pour les communautés noires.
Photo : Radio-Canada / Marc-André Hamelin
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Cyberintimidation, langage violent, craintes pour leur sécurité : dans la foulée de la suspension d’une professeure ayant utilisé le « mot en n » en classe à l’Université d’Ottawa, le climat s’envenime pour certains de ses collègues qui l’ont défendue.
C’est une situation très pénible
, résume Lucie Hotte. Cette professeure titulaire au département de français de l’Université fait partie des auteurs de la lettre ouverte publiée vendredi, dans laquelle 34 collègues ont signé leur appui à Verushka Lieutenant-Duval.
À la fin du mois de septembre, la professeure Verushka Lieutenant-Duval a été suspendue pour avoir prononcé le mot en n
dans un cours afin d'illustrer la façon dont des groupes marginalisés récupèrent des termes péjoratifs. La polémique s'est ensuite poursuivie sur les médias sociaux, où des professeurs ayant appuyé publiquement leur collègue ont été vivement critiqués.
Mme Hotte se dit harcelée
sur Twitter. Elle n’est pas la seule. D’autres professeurs approchés par Radio-Canada ont aussi dit avoir reçu des insultes et des messages incendiaires par courriel et sur les médias sociaux.
Marc-François Bernier, professeur en communications, a indiqué sur Twitter qu’on lui a rapporté des appels au saccage de bureaux et au boycottage de leurs cours.
Selon Maxime Prévost, professeur au Département de français, des collègues et lui-même ont demandé à leur syndicat d’ouvrir un dossier pour les 34 signataires auprès de la police d’Ottawa. Même s’il n’y a pas de menaces très concrètes
, précise-t-il, la requête veut s'assurer que si l’un de nous est agressé, il y ait déjà du background, il y ait déjà une histoire derrière ça, et qu’on n’ait pas besoin d’informer la police séparément si les choses dégénéraient.
J’ai peur que quelqu’un d’un peu débrouillard et de mal intentionné publie nos adresses, comme ils l’ont fait pour Mme Lieutenant-Duval. Je n’ai pas envie que mes enfants soient témoins de ce genre d'agression.
Enseignez sans blesser, demandent d’autres professeurs
Dans une déclaration publiée en ligne, 27 membres du caucus des professeurs et bibliothécaires noirs, autochtones et racisés de l'Université d'Ottawa ont exprimé leur appui aux étudiants qui se sont sentis brimés par l'utilisation du « mot en n ».
Les étudiants noirs méritent de fréquenter l'université sans avoir à entendre des termes désobligeants à propos de leurs communautés ou sans que l’utilisation de termes qui les déshumanisent soit proposée pour un débat en salle de classe. Se référer à des œuvres qui utilisent une insulte raciste n'en fait pas moins une insulte
, mentionne cette déclaration.
Baljit Nagra, professeure adjointe au Département de criminologie, traite d’enjeux raciaux dans ses cours. Elle est catégorique : ce mot ne devrait jamais être prononcé en classe. J’ai déjà donné un cours de deux heures sur le "mot en n" sans jamais le prononcer. Je donne des cours sur le racisme et je ne l’ai jamais dit, je ne le dirai jamais, et je n’aurai jamais besoin de le dire. Ça ne compromet pas du tout la liberté universitaire.
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Le maire d’Ottawa, Jim Watson, abonde dans le même sens. Je ne pense pas que c’est une bonne idée d’utiliser le "mot en n" en aucune circonstance. C’est une insulte à la communauté noire. Certainement, il y a toujours la liberté d'expression dans les universités, mais il y a des limites à ça
, a-t-il dit.
Mardi après-midi, presque 8500 personnes avaient signé une pétition en ligne sommant l’Université d'Ottawa de discipliner
la professeure Lieutenant-Duval, d’interdire l’usage du « mot en n » et de forcer les professeurs lui ayant montré leur appui à s’éduquer eux-mêmes sur les enjeux présents et passés
.
Plusieurs politiciens québécois et canadiens ont, quant à eux, condamné soit les propos de la professeure, soit les décisions de l’UdO.
Avec les informations de Nafi Alibert et Catherine Morasse