Obésité : le long chemin pour faire tomber les préjugés
Le reportage de Nicole Germain
Photo : Radio-Canada / Nicole Germain
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
De nombreuses personnes obèses dénoncent les préjugés qui persistent sur leur poids, et ce, même après avoir subi une chirurgie bariatrique. Si l’Association médicale canadienne demande aux médecins de traiter l’obésité comme une maladie, le chemin pourrait être long avant que la société fasse de même.
Sébastien St-Pierre a reçu une chirurgie bariatrique il y a un an et demi.
À 34 ans, il est passé de 480 livres à 275. Selon l’équipe médicale, je serais à mon poids santé
, explique-t-il.
Malgré un changement de silhouette, il remarque quotidiennement de nombreux préjugés dans la société au sujet de l’obésité et de la chirurgie bariatrique.
« Il y a des préjugés préopératoires et post-opératoires. On se fait dire que c’est une méthode lâche, une méthode facile. »
La vérité, c’est que ne n’est pas plus facile que quelqu’un qui a perdu du poids par lui-même
, raconte l’homme de Québec.
C'est que Sébastien a dû tout réapprendre. Pensez à un bébé qui commence à manger en purée. Je l’ai fait, mais à l’âge de 33 ans. Il faut réapprendre des habitudes de repas et je ne parle pas d’enlever la poutine, je parle d’habitude de manger tranquillement et de faire les bons choix
.
Malgré tout, sur les réseaux sociaux, les commentaires sont nombreux : arrêtez de manger des cochonneries, arrêtez de manger des croustilles
, illustre M. St-Pierre
L’obésité, une maladie
À 52 ans, Lucie Ricard a perdu des dizaines de livres depuis sa chirurgie bariatrique, il y a 4 mois.
Au plus fort de son poids, elle a déjà atteint 450 livres.
Depuis la chirurgie, la vie de Mme Richard a considérablement changé. Mais jusqu’à cette étape, la dame de Québec a subi son lot d’épreuves reliées à son poids, la poussant même jusqu’à une tentative de suicide, en 2014.
J’ai grandi en étant grosse, mais sans en souffrir. Un peu au secondaire, mais pas assez pour m’atteindre parce que j’avais un grand réseau d’amis et de bonnes personnes autour de moi
, témoigne Mme Richard
« Pour moi, manger, ça avait toujours été la façon de célébrer mes joies, de passer par-dessus mes déceptions, de combattre mes peines et de battre l’ennui. »
En vieillissant, elle s’informe sur la chirurgie bariatrique auprès de l’IUCPQ, sans jamais compléter le processus.
J’ai compris avec la démarche à l’hôpital que je n’avais pas d’indice de satiété. Ça, c’est ce que vous, le monde normal, vous ressentez lorsque vous avez plus faim. Moi, j’avais tout le temps faim. Je ne l’avais pas, mon corps ne ressentait pas la satiété
.
Intimidation
Durant sa quarantaine, un collègue de Lucie Ricard se met à commenter son poids de façon vraiment insidieuse
.
Jour après jour, il me disait des choses vraiment plates. De fil en aiguille, ça m’a vraiment blessée au point de ne plus aller aux toilettes parce qu’il fallait que je passe devant son bureau, de ne plus diner à la cuisine, éviter les rencontres et ne pas se présenter au travail lorsqu’une rencontre était prévue avec lui
, ajoute Lucie.
Une tentative de suicide s’en est suivie ainsi qu’une dépression.
Tout ce que je voyais de moi-même, j’étais un gros tas[…] inutile. À un moment donné, ça prend toute la place. Tu vas faire une commission, tu as l’impression que tout le monde juge ce que tu as dans ton panier. Il n’y a plus moyen d’avoir l’esprit libre
, illustre Mme Ricard.
Quelques semaines avant son opération, elle se fait de nouveau insulter gratuitement par un automobiliste de Québec.
Ça m’a brisée pendant plusieurs jours. L’envie d’en finir était revenue
. Or, grâce à son entourage, Mme Ricard prend du mieux.
Intervention salutaire
Elle se fait finalement opérer en juin 2020. On m’a enlevé plus que l’estomac, moi j’ai l’impression qu’on m’a enlevé un gros poids de mes épaules
, illustre Mme Ricard, au sujet de sa chirurgie menée par les médecins de l’IUCPQ.
Aujourd’hui, Lucie marche près de 50 kilomètres par semaine.
« Cet hiver, j’ai envie de refaire du ski, j’ai envie de faire la raquette. Le bonheur que j’ai à attacher moi-même mes lacets, c’est des petites choses. C’est une grosse victoire. »
Elle souligne l’intervention exemplaire de l’équipe médicale. J’ai eu l’impression que j’avais une armée avec moi. Une armée qui avait déjà combattu ces mêmes démons-là auparavant
.
Et surtout, cette équipe médicale ne cesse de rappeler que l’obésité est avant tout une maladie, ce qui lui donne le gout de multiplier les efforts.
Malgré tout, il y a des gens qui croient que si tu es gros, c’est juste parce que tu ne fais pas d’effort
, témoigne, Mme Ricard.
C’est faux, croit Laurent Biertho, chirurgien à l’IUCPQ. Il y a vraiment un regard qu'il faut changer. Il faut déculpabiliser d'une part les patients et aussi éduquer les professionnels de la santé et le public.
Des milliers d’articles scientifiques montrent que les changements au niveau du cerveau, de l’intestin, au niveau hormonal, sont les causes de l’obésité
, conclut le médecin, qui espère renverser les préjugés.
Avec les informations de Nicole Germain