Le recours à la généalogie génétique : une arme à double tranchant
Cette récente technologie a permis des avancées indiscutables dans les enquêtes criminelles non résolues

Vue informatisée d'un corps humain et de son ADN
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La généalogie génétique qui consiste à combiner l'ADN d'un suspect et l'arbre généalogique d'un parent éloigné a permis d'identifier le meurtrier de Christine Jessop, qui avait été assassinée dans la région de Durham en 1984.
Il a fallu 36 ans pour identifier l'assassin Calvin Hoover, dont le sperme avait été retrouvé sur les sous-vêtements de sa victime de 9 ans.
La science n'était pas encore assez avancée à l'époque pour y arriver et il faudra attendre le début des années 1990 pour que la technologie de l'ADN fasse ses preuves.
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Bien qu'ayant réussi à relever le sperme de l'assassin, les enquêteurs de police n'avaient en 1984 aucun indice pour l'identifier. Calvin Hoover est donc demeuré un inconnu... jusqu'à sa mort, en 2015.
Entre-temps, son sperme a été conservé dans des dossiers avant que les analyses d'ADN ne permettent d'y prélever le bagage génétique de son propriétaire et de l'entreposer dans une base de données.
Aujourd'hui, les policiers utilisent des échantillons d'ADN recueillis sur les lieux d'un crime pour dessiner le profil génétique du tueur avant d'enregistrer ce profil dans une base de données génétiques à des fins de comparaisons.
À l'autopsie de Calvin Hoover, les médecins légistes avaient donc prélevé son sang pour l'analyser dans le but d'élucider sa mort (suicide, accident, mort naturelle...) sans savoir encore qu'il s'agissait bien de l'assassin de la fillette.
Malheureusement, le profil génétique relevé dans le sperme de l'assassin ne correspondait à aucun autre profil de criminel dans la Banque nationale de données génétiques
, explique Anthony Tessarolo, le directeur du Centre des sciences judiciaires de l'Ontario.
Il faudra attendre 2018 pour que la généalogie génétique soit utilisée une première fois pour arrêter le tueur en série Joseph DeAngelo aux États-Unis plus de 40 ans après les meurtres et les viols qu'il avait commis.
M. Tessarolo soutient que l'enquête non élucidée sur le meurtre de Christine Jessop se prêtait à ce genre de technologie, parce que la police avait une abondance d'échantillons d'ADN du violeur.
C'est le laboratoire américain Othram qui a aidé la police de Toronto à identifier Calvin Hoover. Cette compagnie privée collige des données sur l'ADN de personnes qui veulent connaître leurs ancêtres moyennant des frais.
Méthode de fonctionnement
La généalogie génétique est une technologie qui ratisse beaucoup plus large que les tests traditionnels sur l'ADN d'un individu, lesquels ne relèvent que 22 marqueurs génétiques spécifiques (couleur des yeux, des cheveux, âge, etc.).
Dans le sperme de Hoover, les généalogistes ont relevé des milliers de marqueurs (cela peut être par exemple des gènes de maladies héréditaires, des gènes en mutation, une séquence d'ADN) pour trouver un ADN identique à celui d'un membre de sa lignée ancestrale.
Si le tueur n'a pas transmis son ADN sur Internet par l'intermédiaire d'une firme comme Othram, les enquêteurs espèrent qu'au moins un membre de sa famille l'a fait.
C'est dans cette optique que le laboratoire américain a pu établir grâce aux informations de la police de Toronto un arbre généalogique potentiel de l'assassin sur plusieurs générations avec plusieurs possibilités d'identité.
Il a ensuite remis ces données à la police, qui s'est chargée de dresser des parallèles avec des personnes d'intérêt ou des suspects grâce à l'échantillon recueilli sur la scène de crime.
Lorsque l'assassin est mort, les choses sont plus compliquées, mais pas impossibles, selon M. Tessarolo.
« Si le suspect est décédé, la police doit alors recourir à son dossier médical, ou récupérer une dent ou faire une biopsie sur un cadavre... il est donc possible de déterminer un profil génétique même dans de telles circonstances. »
Lorsque l'assassin est en vie, la police peut le suivre à son insu et attendre qu'il laisse au hasard des traces de son ADN dans son quotidien (de la salive sur un verre, un mégot jeté par terre, un cheveu dans un évier, des empreintes digitales sur une voiture, etc.) pour en faire la comparaison avec l'ADN de la scène de crime.
L'efficacité de cette technologie
Il est indéniable selon le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale du Québec que l'ADN reste une méthode sûre pour les corps de police lorsqu'il s'agit d'élucider un meurtre ou un viol ou de retrouver une personne disparue ou d'identifier des ossements.
C'est une technologie qui a beaucoup de potentiel, mais ce n'est pas l'usager [des banques de généalogie] que l'on va cibler pour une enquête criminelle, mais le suspect ou la personne disparue, l'identification se fait par analyse génétique
, explique la directrice du département de biologie ADN du Laboratoire, Diane Séguin.
« Ce n'est pas la généalogie génétique qui va permettre d'accuser une personne ou d'identifier un meurtrier, mais c'est un outil d'enquête qui permet d'orienter les enquêteurs vers des suspects ou des personnes inconnues dont on aurait retrouvé des ossements. »
Cette technologie n'existe toutefois pas au Canada, ce qui force les policiers à faire affaire avec des entreprises aux États-Unis, où il existe plusieurs sociétés proposant des services de généalogie aux particuliers.
M. Tessarolo explique qu'il s'agit toutefois d'une technologie coûteuse et qu'il est préférable de faire appel à des firmes américaines pour les rares fois qu'on y a recours. Elle ne peut être utilisée que dans les enquêtes non résolues sur des meurtres et des viols, parce qu'elle reste une méthode très invasive en termes de vie privée et de confidentialité
, dit-il.
Dans un communiqué, la GRC
reconnaît que cette technologie peut aussi être utilisée pour aider à identifier des restes humains lorsque les techniques et les ressources existantes ne donnent aucun résultat. Elle explique qu'elle y a recours lorsque toutes les techniques judiciaires ont été épuisées au pays.Les limites de cette technologie
Cette technologie n'est toutefois pas infaillible, rappelle l'avocate Bhavan Sodhi, du groupe Innocence Canada, qui défend les personnes faussement accusées au pays, comme Guy Paul Morin, qui avait été condamné pour le meurtre de Christine Jessop.
Tant que cette technologie est manipulée par des hommes, il y aura toujours des erreurs dans la manipulation de l'ADN
, dit-elle. Elle cite notamment le danger de contaminer des données génétiques lors de tests. Il existera toujours un risque qu'une personne innocente soit condamnée à tort pour un crime
, poursuit-elle.
La généalogie génétique n'est donc qu'un outil de plus dans les méthodes d'enquête policière mais elle n'apporte aucune preuve pour élucider un crime. Il est essentiel au départ d'avoir l'ADN du meurtrier en assez grande quantité sur la scène du crime,
explique M.Tessarolo. Recourir aux bases de données génétiques du grand public devient superflu sans l'ADN du criminel selon lui.
La généalogie génétique soulève toutefois des problèmes d'ordre éthique et des questions de vie privée. Me Sodhi se dit inquiète pour les libertés civiles des citoyens.
« Est-ce que les consommateurs de ces banques de généalogie, qu'ils soient consentants ou non à fournir leur ADN, savent que leurs données peuvent être utilisées par la police pour élucider un meurtre? Les ramifications vont donc bien au-delà du Code criminel. »
L'avocate se demande par exemple ce qui arriverait si une société d'assurance mettait la main sur de tels renseignements personnels, qui peuvent parfois contenir les antécédents médicaux de l'usager. Il faut aussi penser à la possibilité que ces sociétés privées de généalogie puissent vendre au plus offrant de telles informations confidentielles
, poursuit-elle.
Il est important selon elle que les gouvernements formulent des réglementations pour encadrer ce genre d'activités au Canada et garantir des garde-fous pour la sécurité du public.
Me Sodhi rappelle qu'aux États-Unis, les forces de l'ordre doivent par exemple souvent obtenir au préalable un mandat de perquisition avant de solliciter l'aide de ces firmes généalogiques dans leurs enquêtes criminelles.
La GRC affirme qu'elle collabore avec la communauté juridique pour déterminer la viabilité de cette technique et les aspects juridiques liés à son utilisation.
« La GRC effectue les recherches nécessaires concernant les répercussions juridiques, éthiques, confidentielles et pratiques de l'utilisation de cette technique, y compris aux fins d'élaboration d'une politique. »
La GRC reconnaît qu'il s'agit d'une technologie nouvelle et que toutes les enquêtes sont examinées minutieusement dans le cadre d'un processus judiciaire. Si une affaire comportant un élément de généalogie génétique est portée devant les tribunaux, la décision rendue aura une incidence sur l'utilisation de cette technique d'enquête par la police
, écrit-elle.
Autre son de cloche
Le premier directeur général de l'entreprise américaine Verogen, Brett Williams, rappelle néanmoins que cette technologie est sécuritaire et qu'elle est encadrée de façon scrupuleuse en Californie. Verogen est la compagnie qui a aidé la police à appréhender Joseph DeAngelo à Sacramento en 2018 grâce à sa banque généalogique.
Il précise que sa compagnie ne demande par exemple aucune information médicale à ses usagers et qu'elle offre à ses clients le choix de partager leurs données avec les forces de l'ordre dans le cadre d'une enquête criminelle dans le but de faire correspondre leur profil avec celui d'un individu dont on a relevé l'ADN sur une scène de crime.
« Vous avez dans une démocratie un droit absolu à votre vie privée, mais vous avez aussi le droit de ne pas être violé ou assassiné; vous ne pouvez avoir l'un ou l'autre, il doit y avoir un équilibre et c'est pour cela que nous offrons le choix à nos clients d'aider la police. »
M. Williams explique que les risques de piratage sont en outre minimes et que les données de ses clients sont protégées. Nous ne conservons que des noms, et ce sont parfois des pseudonymes, et des adresses de courriel... toutes les autres informations sur leur ADN sont codées
, dit-il.
Il souligne que les données généalogiques que sa compagnie collige ne lui appartiennent pas. Elles appartiennent aux usagers, si bien que nous ne pouvons donc pas vendre ce qui ne nous appartient pas
, ajoute-t-il.
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M. Williams ajoute que les policiers doivent obéir aux conditions des services que sa compagnie offre, c'est-à-dire dans des circonstances exceptionnelles comme un crime violent. Il n'existe par ailleurs aucune preuve jusqu'à présent que des corps de police aient utilisé à tort ou de façon abusive de telles données
, poursuit-il.
Tout est une question de confiance, conclut-il.