Les promesses de carboneutralité des entreprises : coup de marketing ou vérité?

Les capsules en aluminium de Nespresso sont récupérables et recyclables depuis 1991.
Photo : Getty Images
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Apple et Nespresso se sont récemment engagées à devenir carboneutres pour l’ensemble de leurs produits et de leur chaîne logistique dans la prochaine décennie. Voici comment ces multinationales peuvent y arriver, à la condition de se soumettre à des standards élevés et à une surveillance stricte.
On sent que c’est important pour le consommateur
, explique Julie Pomerleau, vice-présidente marketing chez Nespresso au Canada. L’entreprise, présente dans 84 pays, a promis récemment que chaque tasse de café
serait carboneutre d’ici 2022.
D’abord, qu’est-ce que la carboneutralité? Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM, la définit ainsi : Quand on se fixe un objectif de carboneutralité, c’est qu’on veut décarboniser toute sa chaîne de valeur, donc réduire les émissions de carbone au maximum. Puis, on devrait faire appel à une tierce partie pour évaluer cette réduction et voir combien d’émissions restantes il faudra compenser.
Toutes les actions doivent donc être calculées. Nespresso prétend que ses activités opérationnelles (usines, boutiques et logistique) et l’énergie utilisée sont déjà carboneutres. Il reste néanmoins encore du chemin à faire avec les 110 000 fermiers avec qui elle travaille pour la production de sa matière première : le café.
Parmi les mesures en place, on compte l’utilisation d’énergies renouvelables, l’utilisation du biogaz et du plastique recyclé pour la fabrication ainsi que la plantation d’arbres dans les plantations de café. Nespresso veut maintenant tripler sa capacité à planter des arbres
dans les pays producteurs comme la Colombie et le Guatemala, et soutenir des projets de conservation et de restauration des forêts. Pour y parvenir et atteindre ses objectifs, elle collabore entre autres avec des tierces parties comme Rainforest Alliance et Pur Project.
Dans le cas de ses fameuses capsules de café, la multinationale souhaite qu’elles soient constituées à terme d’aluminium recyclé à 80 %, mais l’un des défis est de s’assurer que les consommateurs ne les jettent pas à la poubelle. Au Canada, 95 % des gens qui ont des machines Nespresso ont accès à des solutions de recyclage, indique Julie Pomerleau. Après ça, c’est sûr qu’il y a une action à faire de la part des gens. Il y a une partie qu’on ne contrôle pas.
Elle n’est d’ailleurs pas en mesure de nous fournir le taux de récupération des capsules.
« Quelque part, plus les gens recyclent, mieux c'est pour nos programmes. Cet aluminium est ensuite réutilisé dans différentes entreprises. Le programme se déroule jusqu'à la fin. C'est le consommateur aussi qui doit faire l'action. »
Une volonté de changement, mais aussi une affaire de marketing
Selon Fabien Durif, les entreprises mettent en œuvre des actions écologiques parce qu’elles n’ont plus tellement le choix
. Elles ne le font peut-être pas pour les éléments qu’elles mentionnent, précise-t-il, mais parce que la pression des consommateurs devient extrêmement élevée.
Plusieurs groupes de grands produits de consommation et d’alimentation prennent ce virage. Apple promet que tous ses produits auront une empreinte carbone nette de zéro
d’ici 2030 en misant sur plusieurs actions, dont le recours à des matières recyclées et à l’efficacité énergétique. Procter & Gamble, derrière les marques Always, Bounty, Oral-B, Gillette et Tide, veut faire de même pour ses opérations mondiales en réduisant ses propres émissions et en investissant dans des projets de solutions pour contrer les changements climatiques.
M. Durif évoque des procédures relativement rigoureuses
pour obtenir les certifications écologiques. Il apporte cependant cette nuance : Tout ce que ces entreprises annoncent, ce sont des objectifs, un peu comme le Plan vert, c’est-à-dire dans combien d’années elles espèrent être neutres. Maintenant, c’est de les suivre.
« Ce qui est très intéressant, c’est de voir évoluer certains grands groupes et de les voir réfléchir sur l’ensemble de leur chaîne de valeurs. »
Au sujet de Nespresso, l’empreinte des capsules ou de l’emballage serait d’après lui plutôt faible toute proportion gardée, moins dommageable que le reste du cycle de vie de fabrication
où les efforts devraient être mis. Nespresso a souffert de cet acharnement, dit-il, c’est sûr qu’il y a une volonté de repositionner la marque. C’est évident.
La plantation d’arbres, pas nécessairement la meilleure solution
Une fois le niveau d’efforts maximisé au sein de la chaîne de valeurs – de l’exploitation de la matière première à la consommation du produit à la maison –, la neutralité n’est toujours pas atteinte et il faut donc compenser.
C’est ici qu’apparaissent les tierces parties. Les fournisseurs de compensation carbone sont nombreux. Au Québec, Planetair offre une panoplie de portefeuilles de projets pour lesquels il suffit de payer entre 20 et 35 $ la tonne d’émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de projets de reboisement au Québec, de parc éolien en Nouvelle-Calédonie, de fours efficients en Afrique, etc. La directrice de l’organisme, Karine Oscarson, offre en plus aux entreprises la communication de l’engagement
.
Chaque projet n’aura, bien entendu, pas un impact équivalent. Si la plantation d’arbres semble une solution facile, elle n’aura pas le même effet dans la forêt boréale que dans la forêt tropicale. Le crédit carbone sera comblé plus rapidement au sud. Dans un contexte canadien, indique-t-elle, ça demande la plantation de quatre arbres pour générer une tonne sur 50 ans.
Les projets d’efficacité énergétique et de transfert technologique seraient d’ailleurs plus rentables dans un avenir rapproché. Les choix dépendent donc de l’objectif.
Quiconque peut avoir accès aux portefeuilles de compensation carbone sur une base volontaire. Au dire de Mme Oscarson, ils connaîtraient une plus grande popularité depuis l’avènement de Greta Thunberg
, la jeune militante écologiste suédoise.
Cette solution demeure tout de même largement méconnue. Fabien Durif est d’avis que l’effort passera davantage par les grandes entreprises, qui refileront indirectement la facture aux consommateurs. Les citoyens veulent ça, observe-t-il, mais quand c’est à eux de payer, ils ne le font pas.