Une reprise économique en K… oui, en K!
Après le creux économique d’avril, certains secteurs ont repris, d’autres ont continué à décliner.

La pandémie et les problèmes économiques qui en découlent entraînent une augmentation du nombre de personnes qui souffrent d'insécurité alimentaire.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L, U, V, W... Les économistes aiment bien utiliser des lettres de l’alphabet pour illustrer les formes que prend la croissance économique. Depuis quelque temps, le K apparaît de plus en plus souvent quand il s’agit d’évoquer une reprise à deux vitesses.
Cette pandémie a été difficile pour tout le monde, a fait valoir Justin Trudeau dans son récent discours du Trône. Mais pour ceux dont la situation était déjà difficile, le fardeau a été encore plus lourd à porter.
En effet, les dernières données de Statistique Canada parlent d’elles-mêmes. Les travailleurs faiblement rémunérés, qui touchent moins de 16,03 $ l’heure, parviennent plus difficilement à réintégrer le marché du travail. En septembre, on comptait 22 % de moins de ces employés par rapport à l’année dernière, alors qu’il y en avait 2 % de plus chez ceux dont les revenus sont plus élevés. L’agence évoque en ce sens un effet inégal de la COVID-19 sur le marché de l’emploi
.
La moitié de ces travailleurs à faible revenu œuvraient dans le commerce de détail et dans divers services : hébergement, restauration, ainsi que services aux entreprises, relatifs aux bâtiments et de soutien.
« La capacité de ces anciens employés de retourner à l’emploi sera déterminante pour le bien-être économique des travailleurs et pour la performance et la productivité de l’économie. »
Après le creux d’avril, certains secteurs ont repris, d’autres ont continué à décliner. D’où la référence à la forme de la lettre K : la branche supérieure illustre la croissance des secteurs qui se portent bien, et la branche inférieure, le déclin de ceux qui vont mal.
À la question de savoir s'il adhère à ce nouveau concept, le professeur, Alain Paquet, du Département des sciences économiques de l’UQAM, explique qu’il ne s’agit pas de ce que l’on croit, mais de ce que l’on voit
. Le K, c’est juste de dire que certains secteurs vont être affectés plus durablement que d’autres.
Il évoque ceux du tourisme, de l’aviation, de l’aéronautique ainsi que ceux où priment les transactions de proximité, dont les restaurants près des lieux de travail.
M. Paquet préfère tout de même se référer au logo de la marque Nike, c’est-à-dire que la reprise ne prend pas la forme d’un K, d’un V ou d’un L, mais bien celle d'un crochet. Après un creux sans précédent, certains secteurs ont repris mécaniquement
avec la réouverture et, par la suite, c’est le reste de l’économie qui doit suivre
.
La reprise dite en K serait d’ailleurs temporaire
, estime pour sa part l’économiste en chef à la Caisse de dépôt et placement du Québec, Martin Coiteux. C’est seulement qu’elle est inégale entre les secteurs. Il y a des secteurs plus affectés par les mesures de distanciation sociale [...] et qui ont une capacité moindre de rebondir rapidement, mais c’est appelé à se dissiper.
« C’est certain que ça laisse toujours des traces. Ça prend du temps avant que l’emploi retourne aux niveaux qu’on connaissait avant la crise. [...] Il y a toujours des entreprises qui vont devoir se restructurer, et malheureusement, des cas de faillite. Oui, il y a des effets permanents. [...] On a quand même quelques trimestres devant nous avant que les secteurs puissent converger les uns vis-à-vis des autres. »
Le lot des plus mal pognés
Pour moi, K, c’est nouveau, mais ça commence à ressembler à ça
, admet Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, nouvellement initié au concept.
Pendant que certains font de la bonne business
, d’autres sont en situation de dépression
. C’est tragique, ce qui se passe dans le milieu culturel
, donne-t-il en exemple.
« Je me souviens que certains commentateurs de la chose économique disaient : "Ne vous en faites pas, ça va passer, on met l’économie dans le bac à glace et après on va la ressortir pour repartir." Ça ne marchera pas comme ça! »
Au sujet des employés faiblement rémunérés et très touchés par la crise, le lot des plus mal pognés
, M. Céré insiste sur un second phénomène : la sous-utilisation de la main-d’œuvre, c’est-à-dire la situation des personnes qui pourraient travailler, mais qui ne travaillent pas ou qui pourraient travailler plus d’heures.
À 18,3 % en septembre d’après Statistique Canada, ce taux de sous-utilisation demeure encore fort supérieur à celui observé avant la pandémie, soit 11,2 %.
Nul doute que, dans ce contexte, selon M. Céré, il y a des gens qui se sont appauvris
.
Le taux de chômage s’est établi à 9 % en septembre au Canada, après un sommet à 13,7 % en mai, et à 7,4 % au Québec.
Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent?
Le K pourrait-il aussi représenter l’élargissement d’un fossé entre les plus fortunés et ceux qui le sont moins, une croissance des disparités ou même un risque pour la cohésion sociale?
Aux États-Unis, le Wall Street Journal observait une telle divergence
avec la reprise en K au début du mois. Sur la branche supérieure du K, faisait valoir le grand quotidien, se trouvent des personnes aisées et bien éduquées et des entreprises liées à l’économie numérique ou fournissant des produits de première nécessité. Sur la branche inférieure, les travailleurs à faible revenu et qui ont moins de compétences, et des entreprises plus traditionnelles.
Cette situation contribuerait ainsi, peut-on y lire, à expliquer la déconnexion frappante entre les marchés boursiers et la richesse des ménages proche de niveaux records, alors que les files d’attente s’allongent aux banques alimentaires et que les demandes de prestations d’assurance-emploi continuent de croître
.
Deux nouvelles études rapportées par le New York Times révèlent également cette semaine que la pauvreté s’est accrue le mois dernier chez les Américains par rapport à la période pré-pandémique. En fait, jusqu’à 8 millions d’entre eux auraient glissé dans la pauvreté depuis mai avec la fin de l’aide financière massive aux chômeurs.
Un rapport de la société de services financiers UBS et de PricewaterhouseCoopers nous apprenait pendant ce temps que les milliardaires se sont enrichis sur la planète, leur fortune franchissant un nouveau record de 10 000 milliards de dollars américains à la fin de juillet grâce au rebond des marchés.
Les Canadiens fortunés ne font pas bande à part, mais les moins nantis bénéficient au pays d’une politique importante de soutien au revenu. La Prestation canadienne d’urgence et la Subvention salariale d’urgence ont littéralement sauvé la mise
, croit Pierre Céré. Bien que remanié aujourd’hui, ce soutien semble être là pour rester aussi longtemps qu’il le faudra sous la gouverne de Justin Trudeau.
M. Céré se dit rassuré dans ce contexte et pense que, même si beaucoup en pâtiront, l’économie finira comme toujours par se reconstruire et se recomposer
avec, cette fois-ci, de nouveaux acquis pour notre politique sociale
.