Autonomie alimentaire : le Québec exporte-t-il trop?
Lorsque le Québec est entré en confinement, le premier ministre François Legault a souhaité faire du Québec une province autonome sur le plan agroalimentaire. Mais cet objectif est-il conciliable avec notre modèle agricole actuel? La semaine verte s’est penchée sur la question.

Selon le Conseil canadien du porc, en 2018, la Chine a importé l'équivalent de 500 millions $ de porc du Canada.
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les terres agricoles de la Belle Province ont le potentiel de générer deux fois plus de calories que ce que les Québécois consomment annuellement. Pourtant, nos agriculteurs produisent seulement 35 % de nos aliments. Les deux tiers de notre nourriture proviennent donc de partenaires commerciaux desquels nous sommes dépendants pour nous nourrir.
Ces données sont celles de Patrick Mundler, professeur titulaire de l’Université Laval, spécialiste dans les enjeux d’agroéconomie et de circuits courts. Il obtient le chiffre de 35 % lorsqu’il compare les statistiques de production agricole et celles de consommation.
Lorsque confronté à cette statistique, le ministre de l’Agriculture André Lamontagne parle d’une « légende urbaine » et affirme plutôt que le Québec produit 50 % de son alimentation.
La nuance vient du fait que le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) et l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) estiment que si une pomme chinoise est transformée en compote dans une usine de Sherbrooke, l’aliment est statistiquement québécois.
L’industrie porcine
Depuis les dernières décennies, le Québec a spécialisé son agriculture avec un objectif en tête : l’exportation. Aujourd’hui, près des trois quarts des terres du Québec sont cultivées pour nourrir des animaux destinés en grande partie à l’exportation.
Selon les données du MAPAQ, 90 % des grains produits au Québec sont consommés par des animaux comme les vaches laitières et les porcs.
Le principal produit d’exportation est le porc. Nous en produisons 7 millions de têtes par année. C’est trois fois plus que nous n'en mangeons. Les surplus sont exportés notamment vers l’Asie. Selon Les éleveurs de porcs du Québec, 8 % de la production mondiale provient du Québec.
Les porcs du Québec sont généralement nourris avec du maïs grain, une céréale de consommation animale souvent transgénique. La vaste majorité des superficies allouées à cette culture ne servent donc pas à faire pousser du maïs d’épluchette, mais elles sont plutôt destinées aux animaux.
Les éleveurs du Québec auraient pu faire le choix d’acheter sur les marchés internationaux les grains qui servent à nourrir leurs animaux. Mais selon l’ancien sous-ministre de l’Agriculture, Michel Saint-Pierre, ce sont les programmes de subventions gouvernementaux qui ont incité les cultivateurs à produire eux-mêmes, un choix qui a profondément marqué le paysage agricole du Québec.
C’est clair que ça a façonné le visage de l’agriculture au Québec. Promenez-vous entre Montréal et Drummondville et vous allez voir un paysage de maïs grain et de soya qui n’existait pas auparavant. [Les programmes sont] venus booster des productions de façon spectaculaire
, affirme Michel Saint-Pierre.
La diversification de l’agriculture passera assurément, précise-t-il, par une diversification de nos programmes de subventions.
Pour le président de l’Union paysanne, Maxime Laplante, le Québec fait fausse route, et il espère que de nouvelles orientations seront prises.
Comment ça se fait qu’on subventionne du maïs transgénique? Il y a quelqu’un qui a demandé ça dans la société? Oui oui oui, en tant que contribuable du Québec, j’aimerais que mes impôts payent pour faire pousser du maïs transgénique qui va servir à nourrir des porcs qu’on va exporter au Japon
, ironise-t-il.
Une industrie importante
Pour le président de l’UPA, Marcel Groleau, la volonté de faire du Québec une province qui produit davantage pour elle-même ne rime pas pour autant avec l’abandon de la filière porcine.
Moi je mettrais en garde les gens qui veulent tourner à 180 degrés. Est-ce que pour avoir plus de produits locaux on est obligés d’abandonner les produits qu’on exporte? Moi c’est clairement non! [...] C’est bon pour l’économie du Québec
, souligne-t-il, en rappelant que l’industrie porcine représente plus de 50 000 emplois.
Pour le professeur de droit international de l’Université Laval Richard Ouellet, l’abandon des exportations de la filière porcine pourrait être très dommageable pour nos relations internationales.
Le Canada est lié par quantité d’accords de libre-échange qui disent que les frontières doivent être aussi libres que possible. Si on disait un jour [à nos partenaires] qu’on ne leur vend plus, ils auront aussi leur réaction et ils vont nous priver d’un certain nombre de produits
, explique l’avocat.
Vers une nouvelle agriculture?
Pour le maraîcher Jean-Martin Fortier, fondateur de La Ferme des Quatre-Temps et figure de proue de l’agriculture biologique à petite échelle, la crise de la COVID nous offre une occasion d’apprentissage exceptionnelle.

Jean-Martin Fortier, directeur de la production maraîchère à La Ferme des Quatre-Temps, milite pour un modèle d'agriculture locale.
Photo : Courtoisie - Ferme des Quatre-Temps
Selon lui, la petite agriculture destinée aux marchés locaux doit être soutenue pour faire du Québec une province moins dépendante des importations et plus résiliente.
Ça n’exclut pas d’investir dans de grosses fermes pour l’exportation. Mais assurons-nous au Québec que nous avons une petite agriculture forte, bien enracinée, puis qu’en cas de crise climatique, de pandémie, elle va continuer d’opérer les frontières fermées
, plaide-t-il.
Revoyez ce documentaire Le Québec loin de l'autonomie alimentaire diffusé à La semaine verte.