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COVID-19 : « L'Occident a raté son déconfinement »

Le Dr Philippe Klein, chez lui à Wuhan, le 8 octobre 2020.

Le Dr Philippe Klein chez lui, à Wuhan, le 8 octobre 2020.

Photo : Radio-Canada / Anyck Béraud

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Philippe Klein dirige une clinique internationale à Wuhan, en Chine. Il est resté au cœur de la tempête et est allé sur le front sanitaire durant le long et strict confinement qui a coupé ce premier foyer mondial de la COVID-19 du reste du monde en début d’année. Six questions à ce médecin français installé à Wuhan depuis sept ans.

1. Est-ce qu’on est vraiment de retour à la vie d’avant à Wuhan?

Philippe Klein  Les Chinois de Wuhan pourraient se débarrasser du masque parce qu'il n'est plus obligatoire dans les lieux publics, sauf exception – dans le métro, par exemple –, mais on observe qu'ils continuent de le porter parce qu'ils ont peur.

Deux éléments cruciaux sont au cœur des événements sanitaires majeurs : l'enjeu économique et celui de la confiance. C’est ainsi que les Chinois et les Wuhanais ont travaillé sur le déconfinement. Ils ont utilisé des moyens extraordinaires lors de ce déconfinement, notamment le testing et l’intelligence artificielle. Le testing a surtout servi aux Chinois et à Wuhan dans les deux dernières semaines de mai à tester 11 millions de personnes en 15 jours. (Ce dépistage massif avait été lancé après la découverte de nouveaux cas de la COVID-19, un mois après la fin du confinement, NDLR).

Imaginez la logistique et l’argent dépensé pour montrer aux Wuhanais que nous étions en dessous du seuil épidémique. Que l’épidémie était terminée et qu'on pouvait reprendre une vie normale. On pouvait retourner au restaurant, on pouvait retourner au cinéma, retourner dans les magasins. Donc, ce problème de confiance, il est crucial pour moi.

Et l’Occident, les hommes politiques bien sûr, mes confrères médecins et les scientifiques doivent vraiment travailler sur ces problèmes de confiance de la population vis-à-vis de la réponse sanitaire à la sortie de crise.

« Wuhan a fait des sacrifices extraordinaires pour vaincre cette épidémie. Donc, on peut dire qu’aujourd’hui, Wuhan est comme un patient à qui on a annoncé un diagnostic gravissime, même un diagnostic mortel, chez qui on a appliqué un traitement et qui a guéri. »

— Une citation de  Philippe Klein, médecin français à Wuhan
Dans les rues de Wuhan, 8 octobre 2020. Six mois après le déconfinement, le masque reste encore bien présent.

Dans les rues de Wuhan, 8 octobre 2020. Six mois après le déconfinement, le masque reste encore bien présent.

Photo : Radio-Canada / Anyck Béraud

2. Ce dépistage massif est-il l'une des leçons à tirer pour endiguer la COVID-19?

P.K.  La leçon qu’il faudra retenir : le confinement, le lockdown, il est inéluctable lorsque vous êtes en choc sanitaire. C’est-à-dire lorsque les services de réanimation ne peuvent plus s’occuper que d’une seule maladie.

La méthode, ça a été : confinement strict, on arrête le brassage de la population. On arrête de s’échanger le virus. Et puis, on sort de cette population, que l’on a gelée, toutes les personnes qui portent le virus et qui seraient en contact. Mais on ne les sort pas pour les mettre en prison. Ou pour les tuer. On les sort pour les prendre en charge. Pour les soigner. On fabrique des hôpitaux, en 10 jours, avec des lits de réanimation. Au bout d’un confinement court, de trois semaines, on se retrouve avec une population sans virus ou des populations qui ont le virus et qui sont soignées, prises en charge.

Ensuite arrive la phase de déconfinement, qui est la phase la plus cruciale, la phase la plus importante. Celle où on va mettre les moyens d’intelligence artificielle, les moyens de distanciation sociale, le port du masque, le lavage des mains et les moyens de testing.

Et une chose extrêmement importante : c’est le contrôle aux frontières. Parce qu’à partir du moment où vous avez maîtrisé, il faut empêcher, si vous êtes dans le cadre d’une pandémie, que le virus revienne infecter votre pays par l’extérieur. C’est ce que vont faire les Chinois en imposant un contrôle aux frontières strict en imposant un confinement à toute personne qui revient sur le territoire chinois. Et après, ces personnes peuvent arriver dans une bulle sanitaire sans coronavirus et reprendre une vie normale.

3. Est-ce envisageable de mettre en place le modèle chinois au Canada ou en France? Il y a beaucoup de résistance...

P.K.  Nous allons prendre un exemple tout à fait concret, celui de l’intelligence artificielle.

Si vous avez besoin de cette intelligence artificielle pour vous rendre au supermarché, pour faire vos courses, pour entrer dans un restaurant, dans un bar : à ce moment-là, cette intelligence artificielle, elle sert à quelque chose. Elle sert à protéger les personnes qui l’utilisent. Elle sert à protéger les professionnels qui vivent de l’économie de leur pays.

Et à ce moment-là, la population adhère. Elle ne considère pas cela comme une contrainte, mais comme une protection. Et elle l’utilise. Et elle est obligée de l’utiliser. Donc, c’est là que l’on prend les choses du mauvais côté. On va dire : oui, c’est une atteinte aux libertés. Non, c’est un système intelligent qui permet de protéger l’individu et l’économie de son pays. Il faut s’en servir comme cela. Et en tous cas, le présenter comme cela aux populations.

Du moment que nous respectons ces valeurs morales, que nous avons en Occident, et que nous avons un outil efficace intelligent qui permet à chacun d’être protégé, et aux autres de vivre, eh bien, il faut l’utiliser.

Des gens jouent aux cartes.

Des personnes jouent aux cartes, dans un quartier de Wuhan, en Chine, le 8 octobre 2020.

Photo : Radio-Canada / Anyck Béraud

4. Quand vous voyez ce qui se passe au Canada et en France, avec ces cas qui repartent à la hausse et ces reconfinements, qu’est-ce que ça vous inspire?

P.K.  Deux choses.

La première, c’est qu'il y a des idées préconçues sur la Chine. Les Chinois – je l’ai vu, j’étais ici – ont tendu la main à l’Occident à la fin du mois de mars. Il y avait quand même un certain sentiment de culpabilité de la Chine vis-à-vis de cette épidémie. Le virus venait de Wuhan.

Et puis la Chine avait fait des efforts extraordinaires, la Chine avait trouvé une méthode et elle tendait la main. J’ai vu mes amis médecins chinois se préparer pour aller en France avec leurs équipes pour aller aider les Français. Qu’en est-il de cette aide? Elle est restée sans réponse. Seuls trois pays dans le monde ont accepté l’aide de la Chine : l’Iran, l’Irak et l’Italie.

L’Occident a eu une sorte de déni vis-à-vis de la Chine. Une sorte de sentiment antichinois, que je dis primaire, qui fait en sorte que ça n’a pas servi à l’Occident. Alors qu’on avait énormément de choses à apprendre.

Des panneaux masquent un marché extérieur.

De larges barrières bloquent les sections où se vendaient des fruits de mer, des animaux vivants et de la viande dans cet immense marché de Wuhan, en Chine, qui serait à l'origine de la pandémie de COVID-19.

Photo : Radio-Canada / Anyck Béraud

La deuxième réflexion, c’est le raté du déconfinement. L’Occident a raté son déconfinement. C’est-à-dire qu’il a dû confiner. Il faut absolument, comme le fait la Chine, associer à ce confinement – qui est court, en fait – un déconfinement extrêmement contrôlé, utilisant des moyens pour permettre de retourner dans une vie économique normale.

C’est là que l’Occident a loupé le coche. Il a remis en circulation des personnes dont certaines étaient toujours dangereuses pour les autres. Il n’y avait pas d’intelligence artificielle pour maîtriser cela, il n’y avait pas de testing et pour beaucoup de pays, n’oublions pas qu’après le déconfinement, on n’a pas de masques. On ne met pas la distanciation sociale. On reprend une vie normale. Il faut faire tourner l’économie, il faut que les gens aillent en vacances, se défouler à nouveau.

Malheureusement, le déconfinement a été raté et l’épidémie continue.

5. Ce n’est pas le même système politique...

P.K.  À la fin de mars, quand je lance l’alerte vers la France et l’Occident, je considère qu’il faut tenir compte de l’aventure chinoise et que l’on doit l’adapter à nos cultures.

Il y a deux points cruciaux qu’il faut retenir de cette aventure (chinoise).

Il faudra mettre au point un stock stratégique, soit national, soit international, de matériel de protection pour la première ligne, pour les personnels médicaux. À utiliser dès que commence une première épidémie.

Le deuxième point, c’est que dans ce genre d’événement, il faut dédier les soins. Les Chinois n’ont pas pu le faire parce qu’ils étaient confrontés à un phénomène nouveau. Et, donc, devaient s’adapter au jour le jour. Mais à la fin du mois de mars, compte tenu de l’expérience chinoise, on savait qu’il fallait dédier les soins. C’est-à-dire qu’une partie du système sanitaire doit se consacrer au coronavirus, tandis qu’une autre partie continue de soigner la population avec des pathologies courantes.

Se servir de l’expérience chinoise qui a arrêté l’épidémie en 52 jours entre le 17 février et le 8 avril et l’adapter à nos sociétés, l’adapter à nos valeurs bien entendu. Et l’adapter à nos atouts.

De nouvelles infections ont été détectées à Qingdao, dans l’est de la Chine, le 11 octobre. Ce foyer d’infection pourrait être lié, au moment d’écrire ces lignes, à un hôpital où se trouvent des patients de la COVID-19. Neuf millions de personnes doivent subir un test de dépistage en cinq jours. Et les autorités demandent à quiconque s’est rendu récemment à Qingdao de se faire tester.

Ces nouvelles contaminations ravivent une certaine crainte d’une deuxième vague en Chine continentale. Mais les autorités sanitaires avancent que le danger d’une deuxième vague réside surtout dans les cas importés, détectés chez ceux et celles qui reviennent au pays. Toute personne arrivant de l’extérieur est soumise à une quarantaine et à des tests COVID obligatoires, afin de protéger la bulle sanitaire chinoise.

6. Faut-il craindre une deuxième vague en Chine? Un éminent épidémiologiste chinois, Zhang Wenhong, pense qu’il y aura une deuxième vague, probablement dès novembre. Qu’en pensez-vous?

P.K.  Quand je vois à quel point la vie est redevenue normale à Wuhan, ça me semble tout à fait hypothétique d’avoir une nouvelle vague à Wuhan et en Chine.

Quand je vois que tout le système épidémiologique et sanitaire reste en veille en Chine et notamment à Wuhan, je me dis que là aussi, c’est très hypothétique. Par exemple, ces deux hôpitaux qui ont été construits très rapidement à Wuhan sont toujours mobilisables. Les Chinois n’ont pas du tout baissé les bras.

Toute cette intelligence artificielle est toujours là. Tous ces moyens, ces tests qui s’affinent de plus en plus sont là. Et, bien sûr, la Chine, d’un point de vie politique, si on en revient à la politique, n’a aucun intérêt politique à voir l’épidémie reprendre alors qu’elle a eu tout ce discours victorieux.

Pour vivre en Chine et pour avoir vécu dans ma chair tout ce qui s’est passé avec le coronavirus, je crois que tous les moyens sont mis en place pour empêcher que l’épidémie ne reprenne sur le territoire national.

Des gens discutent sur le bord d'un cours d'eau à Wuhan.

Wuhan, au crépuscule, le 9 octobre 2020.

Photo : Radio-Canada / Anyck Béraud

Cette entrevue a été raccourcie et formatée pour favoriser la clarté et la fluidité.

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