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Analyse

Derrière le FLQ de 1970 : la constellation mondiale de l’ultragauche

Un vendeur de journaux, le 16 octobre 1970

Un vendeur de journaux, le 16 octobre 1970

Photo : La Presse canadienne / PC/Peter Bregg

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

En octobre 1970, il y avait le Québec en crise, mais il y avait aussi le monde. La crise d’Octobre survenait dans un contexte international particulier et s’y rattachait à sa manière.

Dans bien des régions du monde, il était question de libération nationale, de groupes révolutionnaires, de violence politique, de détournements d’avions, d’enlèvements ou d’attentats commis par l’extrême gauche, mais aussi par l’extrême droite.

Les felquistes prétendaient être en prise avec leur époque. Ils se déclaraient inspirés et solidaires de différents combats menés ailleurs dans la même période.

Pierre Vallières et les Black Panthers

Un exemple : Pierre Vallières. Le journaliste et écrivain mort il y a 22 ans, un des inspirateurs idéologiques du Front de libération du Québec, est surtout connu pour son livre Nègres blancs d’Amérique.

Dans ce livre, il évoque son enfance misérable, esquisse un parallèle entre la condition des Noirs américains et celle des Canadiens français (ou Québécois), décrits comme étrangers dans leur propre pays, tout en bas de l’échelle socioéconomique.

À part les mouvements d’émancipation noirs aux États-Unis (les Black Panthers, amis de Vallières), il y avait aussi des sympathies ouvertes – et des contacts – dans l’extrême gauche au Québec, avec les filières palestiniennes, algériennes et sud-américaines.

À gauche de la gauche, la question des moyens légitimes pour faire avancer la lutte faisait l’objet de grands débats. La libération nationale se conjuguait avec l’extrême gauche, le marxisme, et versait parfois dans la violence politique.

Cette question de la violence se posait, avec pour références la révolution cubaine, issue d’une guérilla, les indépendances africaines ou encore la résistance palestinienne, qui à l’époque faisait les manchettes avec ses attentats et détournements d’avions.

Pierre Vallières est interrogé par des journalistes dans la rue

Pierre Vallières (à gauche), un des chefs idéologiques du FLQ, à sa sortie de prison, le 26 mai 1970

Photo : Alamy / Keystone Pictures USA

Dans les semaines qui ont tout juste précédé la crise d’Octobre, on avait découvert, par exemple, que des militants felquistes s’entraînaient avec des révolutionnaires palestiniens dans les montagnes de Jordanie : un scoop du jeune journaliste Pierre Nadeau, publié dans le magazine Perspectives.

À Montréal, en 1969 et 1970, on organisait des soirées de solidarité avec des prisonniers politiques des États-Unis, d’Amérique du Sud, du Vietnam.

Même si les références felquistes étaient d’abord québécoises, tout cela formait un arrière-plan important à la fin des années 1960. Il y avait un lien explicite, revendiqué, avec les mouvements révolutionnaires de l’époque avec des références palestiniennes, cubaines, africaines.

En Amérique latine : violence contre violence

Fin 1960, début 1970, c’était l’époque des groupes révolutionnaires en Amérique latine, qui ont également eu recours à la violence, mais cette dernière était, dans bien des cas, le miroir inversé de la violence de nombreux régimes autoritaires.

De 1964 (avec le putsch des généraux brésiliens) à la fin des années 1980 (avec le départ du dictateur Augusto Pinochet au Chili), l’Amérique latine a connu plus que sa part de violence politique d’État avec toute une série de dictatures militaires de droite (Brésil, Argentine, Chili, Uruguay) – celle de Cuba, révolutionnaire de gauche qui passera bientôt au communisme prosoviétique, faisant figure d’exception.

Fidel Castro (à droite), en compagnie d'Ernesto Che Guevara, en janvier 1959, après que Castro eut renversé le régime Batista

Fidel Castro (à droite), en compagnie d'Ernesto Che Guevara, en janvier 1959, après que Castro eut renversé le régime Batista.

Photo : Agence France-Presse / Prensa Latina

D’ailleurs, à l’époque, le régime cubain n’était pas vu à gauche comme une dictature, mais bien comme une référence positive. Le FLQ était procubain. D’ailleurs, lorsque les derniers felquistes libèrent James Richard Cross en décembre 1970, où demandent-ils à être extradés? À La Havane.

(Note au sujet de Cuba : plus tard, cette perception favorable a changé, même au sein de la gauche. Mais nous sommes encore dans les années 1960 et 1970.)

Face aux dictatures fascisantes de cette époque, souvent féroces, comme celle d’Argentine (sans doute la pire, en tout cas en nombre de morts : de 20 000 à 30 000), il y avait, en écho diminué, la violence des guérillas qui s’y opposaient.

Une des plus célèbres en 1969-70, dont on parlait beaucoup et qui faisait en quelque sorte référence (avec Cuba) dans les milieux d’extrême gauche, en Europe, mais aussi au Québec, était celle des Tupamaros, en Uruguay.

Les Tupamaros, après un certain nombre d’actions d’éclat – des hold-up, des enlèvements de diplomates – sont peu à peu marginalisés et deviennent, beaucoup plus tard, un petit parti politique intégré dans une coalition de gauche. Un cas assez rare de reconversion démocratique.

En Europe : les années de plomb

En Europe, il y a vers la même époque ce qu’on a appelé les années de plomb. En vedette dans cette série noire qui s’étend sur plusieurs décennies, jusqu’aux années 1990 : l’Allemagne et l’Italie, avec un véritable terrorisme endogène d’extrême gauche (la France connaît dans cette période plusieurs attentats sur son territoire, mais il ne s’agit pas, généralement, d’une extrême gauche nationale; plutôt de causes et de groupes étrangers).

En Italie régnait au pouvoir, reconduite élection après élection, l’inamovible Démocratie chrétienne. Un gouvernement très conservateur, proche de la religion, mais avec une base populaire réelle (35-45 %), étroitement aligné sur les États-Unis. Et en face, le Parti communiste le plus puissant d’Occident (frisant les 35 % aux élections de 1976), mais qui toujours a refusé la violence, s’opposant ainsi aux groupuscules d’ultragauche qui se multiplient dans les années 1970.

On ne peut oublier non plus, dans la longue saison terroriste italienne, le rôle de services secrets corrompus liés à une extrême droite à la fois diffuse et insaisissable. Cette extrême droite italienne a commis plusieurs attentats aveugles dans des places publiques.

On pense aux bombes de la Piazza Fontana à Milan en 1969, et de la gare de Bologne en 1980, qui firent plusieurs dizaines de victimes.

Un modus operandi à l’opposé de celui de la gauche terroriste. Cette ultragauche, elle – c’était vrai à Montréal comme à Montevideo, Rome, Milan, Bruxelles ou Munich –, ciblait précisément ses attentats : politiciens, diplomates ou grands patrons kidnappés (et parfois tués), journalistes de droite assassinés, etc.

Décalage chronologique

Détail important : ces mouvements terroristes européens n’arrivent chronologiquement qu’après la crise d’Octobre au Québec.

Ils ne prennent de l’envergure que plus tard par rapport à ceux d’Amérique latine ou du Moyen-Orient. Donc, pour le FLQ de 1965-1970, les inspirations s’appelaient OLP ou FPLP palestiniens, Tupamaros uruguayens, Che Guevara, ou encore la guérilla Vietcong (l’opposition à l’intervention américaine au Vietnam était une grande cause de la gauche mondiale).

Mais les terrorismes européens, eux, arrivent plus tard. L’attentat de la Piazza Fontana, en décembre 1969, provoque (par réaction et à retardement) le terrorisme d’extrême gauche italien des années 1970 et 1980. L’enlèvement et l’assassinat de l’ancien premier ministre Aldo Moro, à Rome, c’est en 1976. Quant à la Fraction armée rouge du groupe Baader-Meinhof en Allemagne, c’est surtout la deuxième moitié des années 1970.

Qu’en reste-t-il en 2020?

Que retient l’histoire de ces mouvements terroristes et qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Le terrorisme de 2020 a d’autres ressorts que les utopies gauchistes. Le djihad et l’islamisme dominent cette galaxie mondiale.

Ils ne sont pas d’extrême gauche et ne sont pas liés à des revendications nationales.

Les mouvances de gauche qui avaient flirté avec le terrorisme se sont dissoutes, ont été écrasées par la justice ou se sont muées en partis politiques qui, parfois, ont pris le pouvoir par les urnes (Amérique centrale). Au Québec, la Crise d’octobre met vite fin à l’époque felquiste; l’ère du PQ démocratique peut alors commencer.

La cause palestinienne – et c’est un cas particulier – continue d’être déchirée jusqu’en 2020 par la question de la violence. Elle a été en partie récupérée par la mouvance djihadiste.

Les livres d’histoire, à l’étranger, ne font généralement que de brèves mentions du FLQ. Peut-être parce que le nombre de militants actifs et de morts a été au Québec très minime par rapport à ce qu’on a vu ailleurs.

La galaxie terroriste italienne à son apogée a pu compter plusieurs milliers de militants et de sympathisants proches; les morts violentes politiques, en Italie, pour les années 1970-80-90, frisent les 300. Au Québec, on les compte sur les doigts d’une main.

Mais ce mouvement, tout en étant restreint et spécifiquement québécois par bien des aspects, s’inscrivait aussi dans la mouvance mondiale d’une époque.

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