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Racisme envers les Autochtones : mieux former les soignants de demain

Une femme tient une photo de Joyce Echaquan.

Des veillées à la chandelle sont organisées au pays, en mémoire de Joyce Echaquan.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

La mort de Joyce Echaquan a mis en évidence les problèmes de racisme envers les Autochtones qui perdurent dans le système de santé canadien. Dans le Nord de l'Ontario, une école de médecine s'attèle à prendre le mal par la racine, en formant les soignants de demain à mieux connaître les réalités et les besoins de ces communautés.

Depuis 15 ans, l'École de médecine du Nord de l'Ontario (EMNO) s'est donné pour mission de venir à bout des stéréotypes dans le milieu médical à l'égard des communautés autochtones.

Durant notre première année, nous devons passer un mois dans une réserve autochtone pour mieux comprendre comment une communauté vit sa culture et ses traditions, raconte l'étudiante en troisième année, Justina Marianayagam.

« C'est vraiment pour être certain, comme futur médecin, qu'on peut prendre soin de ces personnes de façon appropriée et en fonction de leurs besoins. »

— Une citation de  Justina Marianayagam, étudiante en 3e année à l'EMNO

La jeune femme passe les huit prochains mois dans un hôpital à Kapuskasing et a déjà l'occasion d'utiliser ses connaissances.

Une patiente autochtone s'est présentée aux urgences et j'étais à l'aise avec le fait de lui proposer les options de médecine traditionnelle que nous avons, ou encore si elle souhaitait combiner les deux médecines, traditionnelle et occidentale, souligne-t-elle.

Deux professionnels de la santé portant des masques

Justina Marianayagam, étudiante en 3e année à l'EMNO

Photo : Photo remise par Justina Marianayagam

C'est vraiment la différence avec les autres programmes de médecine selon l'étudiante : au fil des ans, elle côtoie et apprend à connaître les communautés qui l'entourent. On a des traducteurs qui viennent et on peut apprendre aussi la langue, on interagit au quotidien avec ces patients, dit-elle.

La doyenne de l’EMNO, Dre Sarita Verma, rappelle qu'en fonction des cultures, les communications de soignant à patient peuvent être bien différentes.

Le traditionnel interrogatoire des médecins : quel est votre nom, quels sont vos antécédents familiaux, etc… Cela ne fonctionne pas avec certaines personnes, qui vont parfois le vivre de façon violente. Il en va de même pour l’examen physique. C’est pour cela que c’est important d'apprendre à réagir en conséquence, dit-elle.

Les cultures autochtones sont par exemple largement ancrées dans la tradition orale, les récits.

« Si un médecin demande à quelqu’un de lui raconter son histoire, cela peut prendre du temps et un médecin est toujours trop pressé. Mais en réalité, il faut écouter attentivement et prendre le temps pour comprendre où est le problème. »

— Une citation de  Dre Sarita Verma, doyenne de l’EMNO

La doyenne de l'EMNO a d'ailleurs embauché davantage de professeurs autochtones pour mieux cerner les enjeux qui touchent ces communautés.

Dre Sarita Verma, doyenne et PDG de l'École de médecine du Nord de l’Ontario.

Dre Sarita Verma est devenue la doyenne de l’École de médecine du Nord de l’Ontario en juillet 2019.

Photo : Photo offerte par l'École de médecine du Nord de l’Ontario

Cette année, l'école a aussi nommé un nouveau doyen associé, Équité et Inclusion, Joseph Leblanc. Il est responsable d'augmenter la diversité au sein même de l'établissement. Justina Marianayagam travaille en collaboration avec lui pour repasser au crible les programmes et déceler les préjugés qui pourraient s'y trouver. Et cela passe aussi par plus de représentativité des communautés racialisées dans les manuels.

Par exemple, dans notre programme de dermatologie, il n'y avait aucune photo d'une peau qui n'est pas blanche. Moi-même, je ne peux pas m'identifier à ces images. C'est quelque chose qui va changer l'an prochain, indique Justina.

Dans leur programme d’études, les étudiants apprennent donc à se débarrasser des préjugés lorsqu’ils traitent un patient pour la première fois. Des préjugés qui ont la peau dure encore dans le système de soins de santé.

Vous entendrez encore des gens qui vont dire, dans un souffle, l’air de rien, ou dans les ascenseurs des hôpitaux et dans les salles d’urgence : oh tiens, en voici un autre en parlant d'un Autochtone. Et c’est malheureux, note la doyenne.

Des préjugés qui ont la peau dure

Le Dr. Barry Lavallee, médecin en chef de Keewatinohk Innniniw Monoayawin, qui travaille à faire progresser les soins de santé dans les communautés des Premières Nations du nord du Manitoba, donnait récemment quelques exemples de ces préjugés lors d'une entrevue avec Josh Bloch du baladodiffusion de CBC, Front Burner.

L’un des stéréotypes qu’on entend souvent est celui qui laisse entendre que tous les Autochtones sont des alcooliques, a-t-il donné en exemple.

En comparaison, il a rappelé une histoire similaire qui s’est dérouléeau Manitoba, il y a 12 ans. Celle de Brian Sinclair, mort aux urgence de Winnipeg.

un homme avec une calvitie au micro de CBC News et CityTV

Dr. Barry Lavallee, médecin en chef de Keewatinohk Innniniw Monoayawin

Photo : Radio-Canada / (Gary Solilak/CBC)

C’étaient les mêmes propos qu’on a pu entendre avec Joyce sur Brian : il est violent, il ne sait pas s’occuper de lui-même, il vient trop souvent aux urgences, il ne sait pas comment parler, etc., faisait remarquer le médecin.

Ce ne sont pas des cas isolés.

« On sait que cela se passe, partout au Canada. »

— Une citation de  Dr. Barry Lavallee, médecin

En 2015 déjà, un rapport intitulé Premières Nations, Traitement de deuxième classe par l'Institut Wellesley indiquait que le racisme serait un facteur majeur pour expliquer la santé généralement inférieure des Autochtones au Canada.

Depuis, il y a eu peu de changements.

Des histoires récentes

En juin dernier, des allégations d’actes racistes envers les patients autochtones dans des hôpitaux de la Colombie-Britannique avaient suscité de vives réactions. Des employés de l’urgence auraient alors joué à deviner le taux d’alcool dans le sang de patients autochtones. Depuis, la province a lancé une enquête sur ces allégations, le sondage a pris fin début août.

En Ontario, le Bureau du coroner en chef de l’Ontario a aussi lancé une enquête sur la mort d’un jeune homme de 19 ans membre des Premières Nations, décédé quelques heures après être sorti du Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay en novembre 2019. Son corps avait été retrouvé à moins d’un kilomètre de l’hôpital le 27 septembre. Son présumé suicide a toutefois suscité des inquiétudes quant aux pratiques de sortie de l’hôpital.

Il y a un manque de réponse à travers le pays quand un Autochtone meurt à cause du racisme. Il y a une sorte d’ignorance, ce n’est pas nouveau et les Canadiens sont confrontés à ça depuis des années, estime Dr. Barry Lavallee.

Le problème c’est aussi de savoir à qui revient la responsabilité entre le fédéral et le provincial, pense pour sa part Dr. Sarita Verma . Et ça tombe souvent dans les mailles du filet, dit-elle.

Joint par courriel, le bureau du ministre des Affaires autochtones de l'Ontario n'a pas souhaité commenté.

Le temps du changement

Pour le grand chef de la Nation Anishinabek, Glen Hare, il est temps de passer à l'action, de voir du concret. Il attend les politiciens au tournant pour mettre en place les changements maintes fois promis.

Ça ne peut plus continuer comme ça. Nous voulons contrôler notre destin, nos communautés et avoir nos propres lois pour protéger notre peuple.

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Glen Hare, grand chef de la Natio Anishinabek

Photo : Radio-Canada / Zacharie Routhier

« Et si c’était votre femme? Votre fille? Votre mère? Je pense que si c’était la femme ou la fille d’un législateur, nous aurions le jour-même un tout nouveau projet de loi pour protéger tout le monde de ce genre de pratique. »

— Une citation de  Glen Hare, grand chef de la Natio Anishinabek

Après tous les rapports parus au fil des années, c'est la goutte de trop. Et, cette fois, la preuve est là, visible aux yeux de tous. C'est dans le visage de tout le monde, que faut-il de plus pour que ça change?

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