Itinérance: demande d'injonction contre les expulsions dans les parcs de Toronto
Les plaignants affirment que les refuges de la Ville ne sont pas sécuritaires à cause de la pandémie.

La Ville de Toronto demande aux itinérants d'aller se loger dans les refuges de la métropole pour des raisons de santé publique.
Photo : Radio-Canada
À Toronto, deux groupes représentant des sans-abri demandent aux tribunaux une injonction pour faire suspendre l'ordre de la Ville de les expulser des parcs de la métropole en attendant que leur recours constitutionnel sur leurs droits soit entendu.
Les 14 plaignants affirment que les refuges de la Ville ne sont pas sécuritaires à cause de la pandémie et que l'ordre d'expulsion que les itinérants ont reçu cet été enfreint leurs droits et libertés.
Ils sont appuyés dans leur cause par la Société torontoise de prévention contre les surdoses et la Coalition ontarienne contre la pauvreté.
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Les plaignants représentent les sans-abri qui ont élu domicile dans des tentes qu'ils ont installées dans des parcs et des ravins entourant la métropole depuis le printemps.
Le règlement municipal qui interdit le camping dans les espaces verts de la ville est en jeu dans ces audiences qui étaient retransmises en direct au parc Moss, où l'un de ces campements a été érigé.
Outre la pandémie, les plaignants évoquent la crise des opioïdes et la pénurie de logements abordables pour appuyer leurs arguments selon lesquels les parcs sont plus sécuritaires que les refuges de la métropole.
Les abris de la Ville sont dangereux selon eux à cause de leur surpopulation et des mesures contre la COVID-19, qui sont impossibles à appliquer selon eux.
L'avocat Selwyn Pieters cite le taux élevé des cas d'infection que ces établissements affichent depuis le début de la crise sanitaire et le risque de mortalité qui y est associé.
Selon les dernières données de Santé publique Toronto, 649 clients des refuges ont été contaminés par le coronavirus depuis le début de la pandémie, soit 3,2 % de l'ensemble des cas déclarés dans la Ville Reine.
Il existe par ailleurs, selon l'avocat, des dangers dans les refuges pour ceux qui ont des problèmes de santé mentale, sans compter les possibilités de s'y faire agresser ou voler. Les hôtels que la Ville a réquisitionnés au printemps sont en outre trop loin du centre-ville et les règles, trop strictes, selon lui.
Me Pieters soutient que la vie, la sécurité et la liberté des itinérants sont menacées si la Ville les force à quitter les campements qu'ils occupent. Les espaces verts représentent des lieux sécuritaires à leurs yeux, particulièrement en temps de pandémie, d'autant que la seconde vague risque d'être plus dommageable que la première
, poursuit-il.
Si la courbe des infections poursuit sa progression vers le haut, la Ville n'aura pas le choix d'évacuer ses propres refuges et d'aménager des camps dans des parcs et des stades comme l'ont fait les autorités municipales en mars à New York.
Me Pieters demande donc que l'ordre d'évacuation des parcs de Toronto soit suspendu jusqu'à ce que l'OMS
déclare que la pandémie soit terminée et que cet ordre ne s'applique pas seulement aux parcs qui sont occupés, mais bien à tous les autres.Position de la Ville
Les avocats de la Ville soutiennent que les articles de la Charte canadienne des droits et libertés ne s'appliquent pas dans cette cause et qu'ils n'accordent aucun droit à quiconque de vivre dans des parcs urbains.
Les plaignants ont failli à leurs tâches de démontrer que les refuges n'étaient pas sécuritaires et ils sont incapables de prouver qu'il leur a été impossible de vivre dans l'un des refuges de Toronto
, explique l'avocat Michael Sims.
Me Sims rappelle en outre que seulement 3 des 14 plaignants vivent de façon temporaire dans ces campements, mais qu'ils n'ont pu le prouver. Il ajoute que l'un d'eux a refusé l'offre de la Ville d'être logé dans un hôtel et un appartement du centre-ville, parce qu'il souhaitait un logement à deux chambres pour y loger son amie.
Il n'existe donc aucune preuve que ces 14 plaignants risquent de souffrir de dommages irréversibles et seulement trois d'entre eux ont joint un témoignage sous serment à leur plainte
, poursuit-il.
L'avocat insinue que les plaignants ne peuvent à eux seuls représenter l'avis des milliers de sans-abri qui sont logés dans des établissements de la Ville. Il souligne en outre qu'aucun des plaignants n'a un problème de dépendance à la drogue ou à l'alcool.
Le juge Paul Schabas, de la Cour supérieure de l'Ontario, le rappelle néanmoins à l'ordre en indiquant que cette demande d'injonction n'a rien à voir avec un recours collectif.
Les dangers de vivre à l'extérieur
Les avocats de la Ville ont ensuite présenté des arguments pragmatiques sur les dangers que représente la vie dans des campements. Ils évoquent la sécurité des tentes et le risque associé à l'utilisation de barbecues ou de bonbonnes de gaz propane pour se nourrir ou se chauffer.
Les pompiers ont dû y éteindre 55 incendies de la mi-mars à la fin juillet, c'est une hausse de 450 % par rapport à la même période l'an dernier
, explique Me Sims.
Il ajoute que les parcs sont généralement dépourvus de vespasiennes, de fontaines pour s'abreuver, de poubelles ou de boîtes de sécurité pour y déposer des seringues jetables.
L'aménagement de tentes dans les parcs pose un risque pour la santé et la sécurité des locataires et des citoyens, des enfants en particulier, à cause de la présence d'aiguilles souillées sur le sol
, rappelle-t-il.
L'avocat rappelle que l'objectif du règlement municipal est d'éviter de criminaliser un groupe de sans-abri qui se trouve dans un état d'infraction, en envoyant des policiers pour les évacuer de force des parcs de la métropole.
Des hommes s'y masturbent le matin à la vue de tous alors que des parents envoient leurs enfants à l'école
, souligne Me Sims.
L'avocat affirme que les refuges, quoiqu'imparfaits, sont plus sécuritaires que les campements en termes de sécurité et de conditions sanitaires, même en temps de pandémie.
La Ville n'a jamais dit qu'il n'y avait aucun cas de COVID-19 dans ses refuges, mais le risque d'y contracter le virus est plus bas que dans ces campements; il en va de même dans les hôtels et les appartements qu'elle loue à leur intention.
Dans leur droit de réplique, les avocats des demandeurs disent que la Ville peut en faire plus pour accommoder les sans-abri dans les parcs, en leur offrant toilettes portables, camions-citernes d'eau, poubelles et programmes de réduction des risques pour toxicomanes. Il est important d'identifier les besoins de chacun d'entre eux
, poursuit Me Pieters.
Me Pieters reconnaît que certains itinérants refusent d'aller vivre dans les refuges et que leur choix est de rester à l'extérieur. Mais il suggère à la Ville d'ouvrir des refuges supplémentaires pour réduire la surpopulation dans ceux qu'elle possède et d'y faciliter l'implantation des mesures anti-COVID-19.
La Ville conclut qu'il est irréaliste d'ouvrir tous les parcs aux sans-abri. Les plaignants n'ont aucune preuve qui montre que les établissements de la Ville sont dangereux
, précise Me Sims qui cite l'exemple de Vancouver, où des compromis ont permis d'éviter que des itinérants vivent dans des camps de fortune.
Soumission de dernière minute
Dès le début des audiences, les avocats de la Ville avaient tenté de contrecarrer la demande d'injonction, parce que, selon eux, les experts que les plaignants citent dans leur requête sont biaisés et que leur expertise s'appuie davantage sur leur militantisme que sur des faits empiriques.
Ils avaient affirmé que les deux professionnels de la santé citaient en exemple les politiques de la Ville de Hamilton en matière d'itinérance. Or, elles n'ont rien à voir avec celles de la Ville de Toronto
, selon Me Sims.
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Le juge a pris note de l'interjection de la Ville, mais il ne rendra aucune décision à ce sujet avant son verdict concernant la demande d'injonction. Il a mis la cause en délibéré jusqu'à une date indéterminée.