« J'étais en train de mourir » : Navalny tient Poutine responsable
Alexeï Navalny affirme que le président russe est responsable de sa tentative d'empoisonnement.
Photo : Reuters
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« J'étais en train de mourir » : Alexeï Navalny tient le président Poutine responsable de son empoisonnement au Novitchok. Dans une première entrevue depuis sa sortie de l'hôpital à Berlin l’opposant russe Alexeï Navalny raconte au quotidien allemand Der Spiegel comment il a vécu son empoisonnement, et pourquoi il est convaincu hors de tout doute que le président de la Russie en est le maître d'œuvre.
C’est une entrevue accordée à la presse écrite, mais le récit qu’Alexeï Navalny, 44 ans, fait des minutes qui ont précédé et suivi le moment où il s’est rendu compte qu’il avait été empoisonné se lit comme une scène de film. Un film d’horreur, si l’on se fie à l'intensité de ses souvenirs.
Il était assis dans l’avion, le 20 août, pour un vol commercial entre Omsk, en Sibérie, et Moscou, accompagné de son assistance Kira, quand des sueurs froides l’ont soudainement envahi.
« Je ne comprenais pas du tout ce qui m'arrivait. Les agents de bord sont venus avec leur chariot et je leur ai d'abord demandé de l'eau, puis j’ai dit non, je dois aller à la salle de bain. Je m’y suis rincé le visage à l’eau froide et puis je me suis dit : si je ne sors pas maintenant, je ne sortirai jamais d'ici. Et j’ai eu cette impression de ne plus rien ressentir, mais d'être en train de mourir. J’ai quitté la salle de bain et me suis tourné vers l’agent de bord - et au lieu de demander de l'aide, je lui ai dit, à ma grande surprise : "j'ai été empoisonné. Je suis en train de mourir" [...] Et puis je me suis allongé par terre devant lui pour mourir. »
M. Navalny dit qu’il a perdu connaissance dans les minutes qui ont suivi.
Il confirme que les hurlements qui ont été enregistrés par un passager et publiés sur les médias sociaux sont bel et bien les siens, mais que ces cris n’étaient pas de la douleur, mais plutôt de l'agonie.
La suite lui a été racontée par ses proches, ses conseillers et ses médecins quand il s’est réveillé du coma artificiel dans lequel il était plongé pendant plus de deux semaines à l'hôpital Charité de Berlin.
Si Navalny remercie les pilotes russes qui ont pris la décision rapide d'atterrir d’urgence à Omsk, en Sibérie, ainsi que le personnel infirmier qui lui a administré les premiers soins à l'hôpital, il est toutefois convaincu que les médecins russes ont succombé aux pressions du Kremlin.
Il les soupçonne ainsi d’avoir tout fait pour retarder son transfert médical en Allemagne.
Je pense qu'ils étaient déterminés à ne pas me laisser sortir du pays, c'est pourquoi ils ont déclaré publiquement que je n'étais pas apte au transport aérien. Ils attendaient que je meure
, a-t-il confié à Der Spiegel.
Il est d’autant plus convaincu que cette tentative de meurtre ne peut être que l’oeuvre d’une personne : le chef du Kremlin.
Poutine est derrière ce crime. Je n'ai pas d'autres explications pour ce qui s'est passé. Seules trois personnes peuvent donner l'ordre de mettre en œuvre des mesures actives et d'utiliser le Novitchok. Ceux qui connaissent la situation en Russie le savent aussi : le directeur du FSB, Alexandre Bortnikov, le chef des services de renseignement étrangers, Sergeï Naryshkine, et le directeur du GRU ne peuvent prendre une telle décision sans les ordres de Poutine. [...] Imaginez si 30 personnes avaient accès à un agent chimique, et non trois, ce serait une menace mondiale
, ajoute M. Navalny.
Au moins trois laboratoires européens ont conclu, sur la base d’analyses de sang, qu'Alexeï Navalny a été empoisonné avec un agent innervant de la famille du Novitchok.
L'identité des empoisonneurs, la méthode qu'ils ont employée et le moment du crime sont tout autant de mystères encore non résolus.
Bien que des traces de poison aient été retrouvées sur une bouteille d’eau dans la chambre d'hôtel qu’il occupait avant de prendre l’avion, Navalny doute qu’il ait avalé la substance.
Il croit plutôt avoir été empoisonné par une surface contaminée de sa chambre d'hôtel, ou encore par des vêtements qu'il portait le jour qu’il a pris l’avion, ajoutant en riant que ces vêtements lui ont été retirés à l’urgence. Je n'ai aucun doute, dit-il, que mes vêtements mijotent dans une grande cuve d'eau de javel depuis un mois! Pour que les traces soient supprimées.
Il explique ensuite, en reprenant tout son sérieux, qu’il est la cible d’un régime qui est prêt à prendre des mesures extrêmes pour éviter un scénario comme au Belarus, où la population manifeste sans relâche depuis le mois d'août pour chasser le président Loukachenko du pouvoir.
Interrogé sur ses intentions de rentrer en Russie, l’avocat et activiste de 44 ans a répondu sans hésiter qu'il a l’intention de retourner chez lui dès que sa santé le lui permettra, même s’il craint pour la sécurité de sa femme et de son fils, qui pour le moment sont à Berlin avec lui, le temps qu’il récupère.
« Ne pas revenir en Russie signifierait que Poutine a atteint son objectif. Et mon devoir, maintenant, c’est de rester l’homme qui n'a pas peur. Et je n'ai pas peur! Si mes mains tremblent, ce n'est pas par peur, c’est ma santé. Mais jamais je n'offrirai à Poutine le cadeau de ne pas retourner au pays. »
La réplique du Kremlin
La réponse du porte-parole de Vladimir Poutine a été presque immédiate dans les médias russes, dès la publication de l'entrevue par Der Spiegel, en Allemagne.
Ces allégations sont sans fond et inacceptables
, a déclaré Dmitri Peskov, qui a du même souffle reproché à Alexeï Navalny de travailler pour le compte de la CIA.
« Navalny, qui depuis longtemps critique le Kremlin, coopère avec les services secrets étrangers, ce sont des experts qui travaillent avec lui en lui donnant des instructions, et ses accusations sont une insulte au président Poutine. »
Peskov a ajouté que le retour en Russie d'Alexeï Navalny ne sera pas le geste héroïque que l’opposant s’imagine et que celui-ci a tort de se mettre au même niveau d’importance que le président de la Fédération russe.
Fait à noter dans le ton du Kremlin, c’est la deuxième fois seulement que le porte-parole officiel de Poutine ose prononcer le nom de Navalny tout haut et publiquement.
Pour les autorités russes, Alexeï Navalny est persona non grata, et n’est pas le bienvenu sur les plateaux de télévision ni à l’antenne des grands médias d’État russes.
Cette première entrevue dans laquelle Navalny accuse directement le chef du Kremlin d'avoir commandité son empoisonnement est publiée alors que des pays d'Europe, l’Allemagne en tête, doivent se réunir pour discuter des suites à donner à cette affaire, puisque la Russie refuse toujours d’ouvrir une enquête.
La chancelière allemande Angela Merkel, qui a personnellement rendu visite à Navalny a l'hôpital la semaine dernière, a déclaré hier que le geste est extrêmement grave.
Il ne s'agit pas d'une affaire bilatérale, mais d'un crime survenu sur le territoire russe qui viole la Convention sur les armes chimiques, ce qui en fait également un problème international
.
Bien que la Russie se dit ouverte à coopérer avec l’Allemagne, le Kremlin maintient à ce jour n’avoir aucune preuve tangible que l’opposant a été empoisonné par des substances toxiques.