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« Contrairement à nous, le virus ne se fatigue pas »

Entrevue avec le Dr David Nabarro, envoyé spécial de l’OMS, professeur en santé mondiale à l'Imperial College de Londres et spécialiste de la lutte contre l’épidémie d’Ebola.

Un jeune garçon assis devant une murale représentant le coronavirus.

La pandémie de COVID-19 a fait plus d’un million de morts dans le monde et ne faiblit pas.

Photo : Getty Images / ADITYA AJI

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’envoyé spécial de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargé d’analyser la pandémie, le Dr David Nabarro, affirme que même si un vaccin contre la COVID-19 est trouvé, le monde devra continuer à apprendre à « vivre avec la menace du virus ». Il explique également pourquoi les mesures sanitaires trop restrictives peuvent être contre-productives dans la lutte contre la pandémie et comment la solidarité citoyenne est cruciale pour gagner la bataille.


Vous comparez souvent la lutte contre la pandémie de la COVID-19 à une guerre. Où en sont les efforts internationaux dans cette bataille, selon vos observations?

Il ne s’agit pas d’une guerre comme dans les films, mais d’une guerre contre une menace invisible […] Le virus n’a qu’un seul objectif et c’est d’infecter les êtres humains et de se reproduire. Contrairement à nous, le virus ne se fatigue pas […] et il ne semble pas sur le point de faiblir. Au contraire, il demeure assez constant.

Nous devons reconnaître que c’est la nouvelle réalité dans laquelle nous nous trouvons pour le futur proche. Le virus est là pour de bon, mais l’humanité doit le tenir en échec. Il faut le faire parce que c’est le seul moyen de reprendre la vie normale […] Et cela va dépendre de nous tous, aussi bien citoyens que dirigeants.

Le Dr David Nabarro, envoyé spécial de l'Organisation mondiale de la santé

Le Dr David Nabarro, envoyé spécial de l'Organisation mondiale de la santé

Photo : Reuters / Pierre Albouy


Que peuvent faire les citoyens dans cette lutte, alors que plusieurs pays sont déjà entrés dans la deuxième vague?

Il y a cinq choses que les gens doivent faire. Il faut d’abord garder ses distances de 1 à 2 mètres les uns des autres, surtout dans les espaces fermés, avec des gens de l’extérieur de notre bulle.

Deuxièmement, il faut porter un masque et le changer régulièrement, surtout lorsqu’il est humide. Il faut porter une attention particulière à notre hygiène, nous laver les mains et nettoyer les surfaces, surtout dans les zones froides parce que le virus survit plus sur les surfaces lisses et froides.

Aussi, il faut nous isoler dès que nous ressentons des symptômes, sans même attendre les résultats du test, parce que c’est à ce moment-là où nous sommes le plus infectieux.

Et, enfin, nous devons protéger les personnes les plus vulnérables, comme les aînés, les personnes atteintes du diabète ou qui ont un problème cardiaque, les personnes à mobilité réduite, mais aussi les détenus dans les prisons et les employés qui travaillent dans des espaces réduits comme les navires ou les usines de transformation de viande.

Une affiche sur laquelle il est écrit : "2m, n'oubliez pas, pratiquer la distanciation".

Rappel des consignes sanitaires dans le centre-ville d'Ottawa

Photo : Radio-Canada / David Richard


Et les autorités? Comment doivent-elles agir pour limiter la propagation du virus?

La réponse doit être locale, parce que le virus [...] commence à créer des ennuis lorsqu’il se propage dans les localités […] Il faut rassembler les autorités locales avec les autorités sanitaires, les employeurs, les communautés religieuses et sociales, les universités, les écoles et les médias pour former une équipe d’intervention intégrée.

Par exemple, si vous habitez Montréal, vous savez que le virus n’est pas répandu partout dans la ville. Il est présent dans certaines régions plus que d’autres, dans certaines communautés, peut-être, et c’est pour cela qu’il est important d’avoir des équipes locales et s’assurer qu’il y a suffisamment de tests pour pouvoir suivre et tracer l’évolution du virus.

Je suis d’ailleurs particulièrement impressionné par le travail du gouvernement canadien et surtout celui de la ministre de la Santé […] Oui, vous connaissez une hausse des cas d'infections, mais c'était attendu, et vous prenez des mesures pour y faire face. Vous le faites d’une très bonne manière, qui doit être saluée, […] surtout en comparaison avec d’autres pays.

Une infirmière tend un écouvillon à l'intérieur d'une voiture.

Depuis le début de la pandémie au Canada, plus de 7 355 000 personnes ont été testées.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers


Dans une récente entrevue, vous dites que les mesures restrictives peuvent être contre-productives dans la lutte contre la pandémie. Que voulez-vous dire par là?

Il n’y a aucun mal pour un gouvernement de guider les gens et leur dire quoi faire, c’est logique. Mais la façon avec laquelle nous présentons les choses est importante. Je veux que les gens comprennent la logique derrière ce que nous essayons de faire pour arrêter la propagation de ce virus.

Lorsque le VIH [virus de l'immunodéficience humaine] a été découvert il y a plus de 30 ans, [le fait que] l’acte sexuel pouvait être source de maladies et de mort a créé un très grand sentiment de doute chez de nombreuses personnes. Ceux qui parmi nous parlaient du VIH étaient parfois accusés de mener une campagne de peur. […]

À ce jour, nous avons développé des traitements contre le VIH et cela a aidé des millions de gens, mais nous n’avons toujours pas trouvé un vaccin malgré le fait que plusieurs millions de dollars ont été dépensés dans de nombreux laboratoires de recherche.

C’est pour cela qu’il faut aussi être prudent quand on parle de vaccins. Il faut reconnaître que même si nous trouvons un vaccin, il se peut qu’il ne soit pas parfait et ça veut dire que nous devons apprendre collectivement à vivre avec la menace de ce virus.

Une scientifique manipulant une fiole et une seringue.

Une course contre la montre est engagée dans le monde pour trouver un vaccin contre le coronavirus.

Photo : Reuters / Dado Ruvic


Les autorités ont-elles donc le devoir de dire aux gens que la bataille sera longue et qu’elle ne sera pas finie de sitôt?

Certains m’accusent d’être pessimiste, mais ce n’est pas vrai parce que j’ai vu le travail incroyable qui a été fait en Afrique de l’Ouest contre l’épidémie d’Ebola en 2014. Et maintenant, je vois ce qui est en train d’être fait contre la COVID-19 au Vietnam, au Cambodge, à Singapour et en Corée du Sud, tout comme en Chine et au Japon et en Nouvelle-Zélande. Je suis optimiste quand je vois la capacité des gens à se mobiliser pour lutter contre cette pandémie.


Pourtant, depuis le début de la pandémie, les conseils ont beaucoup évolué, et sont parfois perçus comme contradictoires. Même l’OMS a dû changer son discours sur le port du masque, par exemple. Cela n’a-t-il pas contribué à semer le scepticisme chez les gens?

Il y a de l’incertitude entourant ce virus. Nous ne savons pas tout ce qu’il faut savoir sur lui. Nous ne savons pas à quel point les personnes guéries sont immunisées. Nous disons que nous pensons qu’elles le sont. Nous ne connaissons pas les différentes manières avec lesquelles le virus propage la maladie. Nous savons maintenant qu’un adulte d’âge moyen sur 20 est touché par une longue et vilaine maladie que nous découvrons en ce moment même.

C’est difficile parce qu’il faut qu’on dise aux gens : « Excusez-nous, nous sommes en train d’apprendre. »

Je crois que nous devons être plus humbles et conscients aussi que nos conseils peuvent changer parce que nous sommes toujours en train d’en apprendre plus sur ce virus. Et nous invitons le public à apprendre avec nous aussi. Nous n’avons jamais connu un tel virus auparavant.

Un graffiti montre une personne qui porte un masque.

De plus en plus d'études démontrent que le port du masque réduit les risques de contagion.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron


L’OMS a été critiquée pour sa gestion de la pandémie au début de la crise. Qu’est-ce qui aurait dû être fait différemment, selon vous?

L’OMS agit dans le cadre de règlements sanitaires qui ont été établis par différents pays à travers le monde en 2005 après deux ans d’intenses négociations.

Selon ces règlements, chaque gouvernement détermine les informations qu’il veut partager avec l’organisation et donc l’OMS n’a pas l’autorité de présenter au monde d’autres informations non officielles […] Il n’y a pas un gouvernement qui serait à l'aise avec l’idée de laisser des équipes de l’OMS arriver sur leur sol pour enquêter et voir ce qui se passe dans les hôpitaux. C’est comme ça, et je doute que ça change.

Donc, nous devons admettre que l’OMS, tout comme d'autres organisations internationales, ne possède pas de superpouvoirs lui permettant de passer outre les autorités locales pour inspecter et mener des enquêtes. C’est surtout difficile dans le contexte international actuel.

Une affiche fait l'éloge de la liberté en anglais.

Plusieurs centaines de personnes se sont réunies le 30 septembre 2020 à Montréal pour dénoncer le port du masque obligatoire.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers


Il y a des manifestations contre les mesures sanitaires dans plusieurs pays. Certaines personnes ne croient pas que le virus existe, d’autres pensent qu’il a été fabriqué dans un laboratoire. Que répondez-vous à ces gens?

Tout au long de ma carrière dans la lutte contre les maladies infectieuses, il y a toujours eu des sceptiques. Je pense que c’est parce que le sujet dont il est question fait un peu peur et il y aura toujours des gens qui se sentiront plus anxieux que d’autres.

Cela dit, […] la raison pour laquelle certaines personnes évoquent les théories de complot c’est parce qu’il y a des personnalités politiques bien connues qui font de même, c’est-à-dire qu’elles prennent les faits à la légère.

Mon message s’adresse donc aux politiciens : ne partagez pas de fausses informations pour vos propres intérêts politiques parce qu'il y a des gens qui en souffrent. N’allez pas dire que la pandémie est un canular ou qu’il existe des traitements alors qu’ils n’ont pas encore été proprement testés. Ne dites pas que le port du masque est inutile, alors que nous avons de plus en plus de données qui démontrent son efficacité.

La plupart de ces dirigeants politiques qui partagent de fausses informations savent ce qu’ils sont en train de faire et c’est très injuste, surtout que les infections sont à la hausse et que les gens sont frustrés.

Encore une fois, cette guerre ne sera pas gagnée par les armes, mais par notre façon de nous comporter. C’est faisable, si nous travaillons ensemble en toute solidarité.

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