Conflit armé dans le Haut-Karabakh : des retombées au-delà du Caucase
Depuis dimanche, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, les deux anciennes républiques soviétiques qui se disputent ce territoire depuis des décennies, se livrent de violents combats. En arrière-plan, deux grandes puissances, la Russie et la Turquie, jouent les arbitres, au risque que la situation dégénère.

Un soldat arménien fait feu à l'aide d'un canon en direction des troupes militaires de l'Azerbaïdjan dans le conflit qui oppose les deux pays au sujet du Nagorny-Karabakh.
Photo : Associated Press / Sipan Gyulumyan
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
C’est un petit morceau d'Arménie enclavé en Azerbaïdjan. C’est du moins comme ça que les Arméniens qui peuplent le Haut-Karabakh se sont toujours sentis.
Un État non reconnu, qui a autoproclamé son indépendance avec la chute de l’Union soviétique, et qui, malgré une guerre sanglante ayant fait 30 000 morts dans les années 1990, demeure une poudrière… un conflit non résolu entre l'Arménie, qui soutient la région montagneuse, et l'Azerbaïdjan, qui la revendique toujours.
Si une certaine paix régnait dans le Haut-Karabakh (ou république d'Artsakh, comme ses habitants l’appellent), elle était très certainement artificielle et assurée par un cessez-le-feu signé en 1994. Les pourparlers de paix entre cette République et l'Azerbaïdjan se sont poursuivis au fil des ans, mais sans jamais aboutir à un règlement.
Depuis, il est arrivé plus d’une fois que les hostilités reprennent sans que personne ne s’y attende, mais jamais avec autant de force et d'ardeur que les combats qui font rage depuis dimanche, explique le politologue et spécialiste du Caucase Dmitry Babich.
« La situation est très dangereuse car, si la guerre éclate vraiment, ce sera pire que la dernière fois. Depuis 30 ans, ces deux pays ont amassé des milliards et des armes, surtout du côté de l'Azerbaïdjan, et si on utilise toute la capacité de frappe, on peut se détruire mutuellement. »
Qui de l'Azerbaïdjan ou de l'Arménie a provoqué les hostilités cette semaine?
Les deux pays s'accusent mutuellement.
Mais plus les jours passent, plus il est clair que les deux pays sont au bord d’une guerre à grande échelle, ce qui, de l’aveu du premier ministre de l’Arménie Nicol Pachinian, pourrait avoir des conséquences imprévisibles, puisqu’elle risque d'entraîner la Russie et la Turquie dans un affrontement géopolitique.
Et malgré les appels au cessez-le-feu lancés par la communauté internationale, les combats continuent. À la demande de leurs gouvernements respectifs, les jeunes Arméniens et les jeunes Azéris se mobilisent chacun de leurs côtés pour défendre leur honneur.
Les jeunes se mobilisent
Je me suis inscrit pour aller au combat cette semaine, nous raconte Harut Yun, 25 ans, que nous avons joint par Skype à Erevan, la capitale de l’Arménie.
Il a répondu à l’appel du premier ministre, tout comme son frère de 38 ans, qui est déjà parti pour la guerre il y a quelques jours.
C’est un fils par famille pour l'instant, explique Harut. Il attend, inquiet et nerveux, que son tour arrive. Nous ne voulons pas nous battre, mais c’est l'Azerbaïdjan qui nous a agressés. On doit défendre nos frères. Sinon l'Arménie, qui le fera? C'est notre maison qui a été attaquée, on ne peut pas rester confortablement chez nous et ne rien faire
.
L'Azerbaïdjan s’est montré tout aussi déterminé en imposant aussi la loi martiale.
À Bakou, la capitale, les hommes ont fait la file toute la journée mercredi pour s'enrôler, avec le même sentiment d’urgence qu’à Erevan.
On attend ce jour depuis longtemps, et nous allons gagner ce qui est à nous
, a lancé un jeune au micro de l'agence Reuters avant de monter dans l’autobus qui l'amènera au front où des dizaines de soldats sont morts depuis samedi, d'un côté comme de l’autre.
C’est d’une tristesse sans mot, c’est tragique, complètement tragique ce qui se passe
, dit Raffi Niziblian. Ce Canado-Arménien enseigne à Erevan et a vu depuis quelques jours plusieurs de ses étudiants tout abandonner pour aller se battre au nom de leur pays.
« C'est de la survie vous savez, simplement de la survie pour nous. Si on positionne la guerre vue par l'Azerbaïdjan, c’est une question de territoire et si on la positionne du côté de l'Arménie, c’est une question de survie, on a connu le génocide, on sait ce que ça fait, on sait ce qui peut arriver. »
Raffi Nizibian craint surtout le rôle de la Turquie, dont le président a déclaré que l'Arménie était la plus grande menace à la paix régionale.
Ankara soutient non seulement l'Azerbaïdjan depuis 30 ans, mais le président Erdogan a dit qu’il était prêt cette fois à déployer toutes ses ressources pour défendre l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan si nécessaire.
La Turquie soutient l'Azerbaïdjan pour les mêmes raisons qu’elle soutenait les musulmans de la Bosnie, il y a un facteur islamique, explique l’analyste Dimitri Babuch, mais c’est aussi motivé par le désir du président Erdogan d'étendre son influence dans le Caucase, après plusieurs échecs ailleurs.
« Je mets toutes mes espérances sur le talent diplomatique du président russe Vladimir Poutine, parce qu’il faut absolument éviter la confrontation avec la Turquie dans cette guerre au Haut-Karabakh. »
Selon certaines sources sur le terrain, la Turquie aurait déjà envoyé des centaines de combattants de Syrie pour prêter main-forte à l'armée d'Azerbaïdjan, ce que Bakou et Ankara nient catégoriquement.
La Russie et la Turquie et la guerre par procuration
Si la Turquie envisage d'accroître son influence militaire dans le Sud-Caucase, elle devra inévitablement confronter la Russie, partenaire historique de l'Arménie.
Bien que la Russie ait toujours agi à titre d’arbitre neutre dans la région du Haut-Karabakh depuis le cessez-le-feu dans le années 1990, elle dispose d’une base militaire et plus de 3000 soldats en Arménie.
Jusqu'ici Vladimir Poutine s’est montré prudent en appelant au cessez-le-feu, tout en avisant la Turquie de ne pas s'ingérer dans le conflit.
« C'est dangereux, très dangereux, c’est un mauvais développement que la Turquie se mêle à ce conflit... Mais on a l'expérience de la Syrie et de la Libye qui nous montre que la Russie et la Turquie ont réussi à coopérer, malgré tout. »
Sauf que la situation se détériore d’heure en heure et, à moins d’un dialogue entre les forces en présence, c’est la stabilité du Sud-Caucase qui est en jeu, selon Dmitry Babich, qui craint d’abord et avant tout une catastrophe humanitaire sur le terrain.
« Ce qui m'inquiète le plus, c’est le sort de millions d'Arméniens et d’Azéris, ce risque très réel que les combats débordent et s’étendent hors de la zone de conflit, dans les zones peuplés de ces deux pays. »