CHSLD Herron : le rapport d'enquête écorche la réforme Barrette
« Nos aînés ont-ils été oubliés? Les autorités de l’époque ont-[elles] manqué de clairvoyance? Force est de répondre par l’affirmative. »

Des ambulanciers transportent un patient hors du CHSLD Herron, le 11 avril 2020.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Trente-huit morts en dix jours, des employés qui désertent l'établissement dès le premier cas de COVID, abandonnant à leur sort des aînés vulnérables... L'histoire du CHSLD Herron, à Dorval, a été le catalyseur d'une prise de conscience des Québécois, devant l'ampleur du drame en cours dans les résidences pour personnes âgées.
Le rapport d'enquête sur la crise au CHSLD Herron permet de mieux comprendre ce qu'il s'est passé à l'intérieur des murs, mais aussi les causes profondes de la tragédie.
Départ des employés sur les conseils du 811
Dans le rapport (Nouvelle fenêtre) de l'enquêteur Sylvain Gagnon, on découvre que c'est sur les conseils du service Info-Santé 811 que des dizaines de travailleurs se placent en isolement, dès le 26 mars.
À cette époque (fin mars), les directives n'étaient pas encore claires, rappelle l'enquêteur : l’ambiguïté de la situation aura conduit, dans le présent cas, au retrait désordonné de plusieurs employés
.
Trois employés pour 133 résidents
On apprend aussi que deux jours après le premier cas confirmé, il n'y a toujours pas d'équipement de protection individuelle au CHSLD, à l'exception de quelques masques.
Le 29 mars, il ne reste que trois membres du personnel du CHSLD pour prendre soin de 133 résidents.
Résidents assoiffés, la peau brûlée
Dans les corridors du CHSLD vidé de ses employés, l'odeur d’urine et de selles est nauséabonde, les planchers collants. Les résidents sont souillés de leurs excréments. Certains, assoiffés, déshydratés, ont la peau et les lèvres sèches.
« Les culottes d’incontinence avaient débordé, et les lits étaient sales, et les cernes laissent penser que ça datait de plusieurs jours. Lors des changements de culottes d’incontinence, certains résidents avaient la peau brûlée. »
Les gestionnaires en partie épargnés par le rapport
Même si le rapport critique les responsables du CHSLD pour leur manque de collaboration dans l'enquête et leur manque de devoir humanitaire et de courage face à l’adversité
, qui a probablement coûté des vies humaines, ils s'en sortent avec un blâme pour négligence organisationnelle
.
L'enquêteur se dit persuadé que leurs intentions n’étaient pas malveillantes
.
« Dans la présente affaire, c’est une évidence que les dirigeants du CHSLD Herron ne pouvaient empêcher le triste sort qu’ont connu leurs résidents. »
Une tutelle difficile à mettre en place
Les gestionnaires du CHSLD ont tardé plusieurs fois à demander de l'aide. Mais l'enquêteur constate aussi que la prise de contrôle des lieux par le CIUSSS
n'a pas été facile.L'enquêteur regrette que le CIUSSS
n'ait pas disposé de véritables pouvoirs d'intervention jusqu'au 7 avril.« Bien que le CIUSSS eût interpellé à plusieurs reprises les autorités ministérielles, il n’a pas reçu les autorisations écrites nécessaires pour agir de jure et intervenir avec autorité, dès les premiers instants. »
En date du 5 avril, les nombreux renforts envoyés par le CIUSSS
ne permettaient pas de combler la moitié des besoins d'effectifs, parce que plusieurs s'en allaient à leur tour, excédés ou obligés de s'isoler.L'ancien gouvernement libéral critiqué
Une des surprises du rapport provient de sa charge contre la réforme menée par l'ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette, à qui il relie les problèmes de manque d'effectifs ou les difficultés d'organisation et de communication dans le réseau de la santé.
Certaines décisions prises par les autorités sanitaires du Québec, dans les années antérieures, sont assurément questionnables
, écrit l'enquêteur, tout particulièrement dans un contexte où les conséquences de ces choix étaient connues des décideurs
.
« Le recul des cinq dernières années nous aura démontré les lourdes conséquences de la réforme de 2015 qui pèsent encore sur le réseau et ses finances. »
Le rapport parle d'une réforme qui aura centré les efforts des dirigeants, pour une trop longue période de temps, sur la structure du système plutôt que sur sa mission première, soit de soigner les gens
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« Nos aînés ont-ils été oubliés? Les autorités de l’époque ont-ils manqué de clairvoyance? Force est de répondre par l’affirmative, d’autant que le précédent gouvernement avait fait du soutien à l’autonomie des aînés une priorité phare. »
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Le dévouement oublié de plusieurs travailleurs
Tous les employés du CHSLD Herron n'avaient pas déserté, et l'enquêteur veut leur rendre hommage. Il est aussi question d'une médecin-cadre du CIUSSS qui a même réquisitionné son mari et ses enfants pour aider les résidents abandonnés à manger et les changer.
Parmi les recommandations du rapport, l'investissement dans les ressources humaines ressort. L'enquêteur écrit qu'il faut réduire progressivement et ultimement éliminer le recours aux agences de placement au sein du réseau
.
En plus de cette enquête se tiennent aussi une enquête policière du SPVM, une enquête du Bureau du coroner, des inspections professionnelles annoncées par le Collège des médecins et l’Ordre des infirmières, ainsi que des poursuites au civil.
Un autre rapport d'enquête : le CHSLD Sainte-Dorothée
Le CHSLD Sainte-Dorothée a aussi fait l'objet d'un compte rendu d'enquête. On y a déploré 100 décès sur un total de 211 résidents atteints. Près de 100 % des aînés y ont attrapé la COVID, ainsi que 173 employés.
On peut lire que les intervenants se sont débattus avec un courage et une ténacité qu’il faut souligner [...] Mais leur engagement n’aura pas suffi
.
Contrairement au CHSLD Herron, l'établissement de Laval a vécu des problèmes semblables à ceux de tous les autres CHSLD, mais il a été encore moins chanceux.
« Quand on évoque, en soins de longue durée, le manque de ressources humaines, l’inefficacité des systèmes d’information, le taux de professionnalisation des équipes de soins, rapidement les contraintes budgétaires entrent en jeu. »
Le rapport recommande que chaque installation compte un dirigeant de haut niveau, ce qui est l'intention du gouvernement.
D'ailleurs, en réaction à ces rapports, le ministère de la Santé du Québec explique que ces travaux ont servi de pierre d'assise dans l'élaboration du plan d'action pour une deuxième vague de la COVID-19
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