« Qui avez-vous côtoyé? » 6000 traceurs pour retrouver les contacts des personnes infectées
Qui sont ces traceurs dont la tâche est de plus en plus complexe?

L'administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dr Theresa Tam, affirme que les enquêtes épidémiologiques sont absolument indispensables pour réduire la propagation du virus et pour identifier rapidement toutes nouvelles éclosions de COVID-19.
Photo : Getty Images / ROBYN BECK
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Lorsqu’une personne reçoit un résultat positif pour la COVID-19, les équipes d’enquêtes épidémiologiques lancent une course contre la montre pour retracer tous ses contacts. Si les provinces ont multiplié le nombre de personnes dans ces équipes, leur travail a évolué depuis la première vague et les ressources ne suffisent plus à la demande.
En ce début de deuxième vague, à travers le Canada, plus de 6000 personnes participent à l’effort de traçage de contacts. Et il y a présentement un blitz d’embauches parce que les ressources ne suffisent pas à la demande.
Bien avant le début de la pandémie, toutes les provinces comptaient sur de petites équipes pour faire des enquêtes dans le cas des maladies à déclaration obligatoire (ex. : rubéole, légionellose, choléra, rougeole, rage, etc.). Dans certaines régions, il n’y avait que deux ou trois personnes attitrées à cette tâche.
Mais lorsque la pandémie a frappé, les autorités de santé publique à travers le pays ont dû rapidement multiplier le nombre de personnes pour faire les enquêtes épidémiologiques. Le but? Retracer l’origine des éclosions et freiner la propagation du virus.
Par exemple, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’équipe des enquêtes épidémiologiques est passée en quelques semaines de moins de 10 à plus de 80; à Laval, de 5 à 50; dans la Capitale-Nationale, de 2 à près de 40; dans le Bas-Saint-Laurent, de 6 à 50; et en Gaspésie, de 6 à 16.
C’est en Ontario qu'il y a le plus de personnes faisant du traçage de la COVID-19; 1500 dans les régies régionales de santé, 50 du ministère de la Santé, 40 de Santé Canada. De plus, en anticipation de l’augmentation du nombre de nouveaux cas cet automne, quelque 1700 employés de Statistique Canada peuvent également contribuer à l’effort de traçage.
L’application COVID-19 est disponible en Ontario, mais celle-ci ne remplace pas le travail essentiel de traçage, précisent les autorités.
Au Québec, environ 750 personnes travaillent au sein des équipes épidémiologiques qui retracent les contacts d’une personne infectée par la COVID-19. Plusieurs régions ont des équipes d'au moins 50 personnes : Laval (172), Montréal (80), Montérégie (172), Laurentides (50), Bas-Saint-Laurent (50), Saguenay-Lac-Saint-Jean (87). Les autorités de l'Estrie, de l'Outaouais et de Chaudière-Appalaches n'ont pas fourni de chiffres.
Terre-Neuve-et-Labrador a une équipe de plus de 160 personnes. La Nouvelle-Écosse avait mobilisé lors de la première vague jusqu’à 360 personnes.
Au Manitoba, qui a été relativement épargné par la première vague, une cinquantaine de personnes font du traçage. Cette province a récemment lancé un appel d’offres pour offrir un contrat à un centre d’appel. Le but est de pouvoir rappeler tous les contacts d’une personne infectée en moins de 24 heures.
La Saskatchewan est passée de 63 personnes dans son équipe de traçage à plus de 250 au printemps. La province dit avoir la capacité de déployer 400 personnes pour gérer jusqu'à 600 cas par jour.
L’Alberta compte désormais près de 1000 personnes qui peuvent faire du traçage. En moyenne, 200 personnes travaillent chaque jour et réussissent à gérer environ 150 cas par jour.
Au Nouveau-Brunswick, qui compte moins de 200 cas, la grande majorité des membres du personnel de la santé publique ont été formés pour effectuer du traçage lorsque des cas sont identifiés.
Qui peut faire du traçage?
Au début de la pandémie, c’est tout le milieu de la santé qui a été mis à contribution : étudiants en médecine, infirmières à la retraite, kinésiologues, chirurgiens-plasticiens…
Certaines régions ont choisi d’être créatives. Par exemple, le CIUSSS de la Capitale-Nationale a embauché une douzaine d'ex-policiers. Ce CIUSSS a jugé que leurs expériences dans les enquêtes seraient un atout dans ce moment de crise. Et ce fut le cas : ce sont des professionnels des enquêtes et leurs compétences en cette matière nous sont précieuses au-delà de nos espérances
, indique le CIUSS.
En Ontario, des employés d’Hydro One et de l’organisme Ostéoporose Canada ont été mis à contribution.
Depuis le déconfinement, plusieurs traceurs sont retournés à leurs occupations habituelles; et les étudiants, à l’école. Ainsi, toutes les provinces sont présentement dans un blitz d’embauches pour pourvoir des centaines de postes.
Du traçage de plus en plus complexe et long
Selon un document du ministère de la Santé de la Saskatchewan, on estime qu’un premier appel prend environ 15 minutes; les traceurs doivent non seulement informer la personne qu’elle a été en contact avec une personne infectée, mais aussi l'informer de l’importance de l’isolation et du dépistage. Les appels de suivi prennent environ trois minutes.
Sandra Giroux, infirmière et conseillère en santé publique pour le CIUSSS de Laval, explique que les enquêteurs doivent poser de nombreuses questions. Avec qui habitez-vous? Qui avez-vous côtoyé? Avez-vous porté un masque? Avez-vous eu un rendez-vous médical? Avez-vous fréquenté un milieu scolaire? Avez-vous pris le transport en commun? Quand? À quel endroit? On n’oublie pas grand-chose, on ratisse large. En fait, c’est un travail très complexe. Pour chacune des personnes, on doit déterminer le niveau de risque.
Mais retracer tous les contacts d’une personne infectée devient de plus en plus compliqué. Pourquoi? Depuis le déconfinement, les Canadiens ont augmenté le nombre de personnes qu’ils côtoient. Et les enquêteurs peinent à rapidement joindre tous ces contacts dans de courts délais.
En Saskatchewan, on estime que le nombre de contacts a doublé depuis ce printemps.
Au Québec, dans la Capitale-Nationale, au printemps, un cas positif avait en moyenne trois contacts à risque modéré ou élevé de transmission. Depuis la mi-juin, un cas positif génère entre 10 et 80 contacts. Une seule enquête exige parfois deux jours pour être effectuée.
À Laval, les enquêteurs réalisaient 5 à 6 enquêtes par jour durant la première vague. Désormais, ils réussissent à en effectuer seulement 1 à 2 par jour, puisqu’il faut désormais contacter jusqu’à 75 personnes par personne infectée.
À Montréal, un seul appel peut prendre jusqu’à deux heures. Les traceurs du Bas-Saint-Laurent font jusqu'à 300 appels par jour pour gérer la plus récente éclosion.
Lorsqu’on a un cas qui est très actif, il peut y avoir des interventions faites dans une école, dans un CPE, dans milieu de travail, dans une résidence pour aînés, chez le dentiste…
En plus d'avertir les personnes à risque, les traceurs doivent tenter d'identifier des éclosions et avertir les autres régions ou provinces qu'une personne infectée a visité leur territoire, précise Mme Giroux. « On pourrait avoir un cas, par exemple, d'une personne infectée qui a joué au hockey cosom à Montréal, mais qui habite à Laval.
Et cette réalité est vécue par les traceurs à travers le pays, au fur et à mesure que le nombre de nouvelles infections augmente.
« On travaille très fort pour que ça reste une vaguelette. Le traçage, c’est pour briser les cycles de transmission. En isolant une personne, on évite qu’elle contamine d'autres personnes. Sinon, c’est exponentiel. »
Le manque de collaboration mènera à plus de cas
Les experts craignent que ces problèmes rendent le traçage inefficace. Si nous ne comprenons pas comment et où les gens ont été infectés, ce sera très difficile de contrôler cette maladie
, dit Ashleigh Tuite, épidémiologiste à l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, en entrevue à CBC. Ceci suggère que notre capacité à faire du traçage de contacts n’est pas au niveau que nous souhaiterions.
Sans données précises sur le nombre d’infections et les lieux d’éclosion, il devient difficile pour les autorités de prendre les bonnes mesures sanitaires. Si nous avons un nombre élevé de cas, mais que nous ne pouvons pas retracer son origine, c’est très difficile d’intervenir.
Selon le docteur en santé publique de l'Université de Montréal Carl-Étienne Juneau, en entrevue à ICI Première, si on arrivait à joindre 80 % des gens qui ont été en contact en moins de trois jours, ce serait plus facile de contrôler l'épidémie.
Et pourtant, en Ontario, CBC estime que les autorités n’arrivent pas à retracer l’origine des nouvelles infections. Dans 54 % de quelque 2300 cas actifs dans cette province, les autorités n’ont pas réussi à déterminer l’origine de cette infection.
Au Québec, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a pour sa part affirmé la semaine dernière que plus du quart des personnes ne répondent pas lorsque les équipes d’enquête appellent. Et lorsque les heures et les jours passent sans pouvoir retracer un contact, celui-ci est peut-être en train d’infecter d’autres personnes, même sans le savoir, rappelle M. Dubé.
À Montréal, les enquêteurs ont même recours à des coursiers à vélo pour envoyer des notifications directement aux résidences des personnes qui ne répondent pas au téléphone.
Si on ne réussit pas à joindre suffisamment de contacts, le nombre de cas continuera d’augmenter, a averti M. Juneau lors d'une entrevue à l'émission Daybreak de CBC.
Il demande aux Canadiens d'être responsables et de répondre si les autorités sanitaires appellent.
« Si les gens qui ont le virus restent à la maison, les autres pourront sortir. Mais si les personnes qui ont le virus sortent, tout le monde devra rester à l’intérieur. »
À la recherche de centaines de nouveaux enquêteurs
Ainsi, plusieurs équipes travaillent désormais sept jours sur sept et font des centaines d’appels par jour. Toutes les autorités contactées se préparent à devoir faire encore plus d’enquêtes au cours des prochaines semaines et mois. Des centaines de postes ont été affichés à travers le pays afin de trouver suffisamment de traceurs pour affronter la deuxième vague.
En Saskatchewan, au rythme où augmentent les nouvelles infections, on estime qu’il faudra plus de 450 traceurs.
Au Québec, au moins 200 autres personnes seront embauchées par les différentes régies régionales de santé (dont d'autres ex-policiers à Québec).
Au Québec, au moins 200 autres personnes seront embauchées par les différentes régies régionales de santé (dont d'autres ex-policiers à Québec).
En raison du manque de personnel et d'une augmentation de la charge de travail, la direction régionale de Montréal a demandé lundi à ses équipes épidémiologiques de ne plus contacter les contacts qui sont à moins ou faible risque. Les personnes infectées seront invitées à contacter eux-mêmes ces contacts. C'est une situation temporaire. Le nombre de cas a quintuplé en quelques jours. On s'adapte
, dit le porte-parole Jean-Nicolas Aubé, qui ajoute que de nouvelles embauches et formations sont en cours.
L'Alberta embauchera 140 nouvelles personnes; la Colombie-Britannique en cherche 500, la Nouvelle-Écosse, au moins 100. Cet été, la Nouvelle-Écosse a aussi formé plus de 300 travailleurs du réseau de la santé pour donner un coup de main si la charge de travail augmente.