Tensions entre pêcheurs en Nouvelle-Écosse : comprendre l'origine du conflit

Un membre de la Première Nation de Sipekne'katik transporte un casier à homard sur le quai de Saulnierville, le 17 septembre 2020, en Nouvelle-Écosse.
Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En décidant de gérer elle-même ses activités de pêche, une communauté mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse rend impossible à ignorer une impasse dans laquelle les Autochtones et les pêcheurs commerciaux se trouvent depuis 21 ans.
Le droit des Autochtones à pêcher pour s’assurer une « subsistance convenable » a été confirmé par la Cour suprême du Canada, mais il reste entouré d’un flou qui continue à provoquer beaucoup de frictions.
Jeudi, des centaines de membres des communautés mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse ont convergé vers Saulnierville, à la baie Sainte-Marie dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.
Une cérémonie s’y est tenue pour souligner le lancement de la saison de pêche au homard de la Première Nation de Sipekne'katik.
Cette pêche autogérée par les Premières Nations serait la première du genre dans l’histoire moderne au Canada atlantique.
À sept pêcheurs de cette communauté, on a remis un permis de pêche et des étiquettes à apposer sur leurs casiers à homards. Parmi ceux-ci, Randy Sack, fils de Donald Marshall fils, l’homme au coeur de la décision de la Cour suprême du Canada qui plane au-dessus des événements de cette semaine.

Michael Sack (à droite), le chef de la Première Nation de Sipekne'katik, remet à Randy Sack (à gauche) son permis de pêche et les étiquettes pour ses casiers à homard. Randy Sack est le fils de Donald Marshall, l'homme au centre du jugement rendu en 1999 par la Cour suprême.
Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan
Le 17 septembre 1999, 21 ans avant la cérémonie de jeudi à Saulnierville, la Cour suprême du Canada prononçait l’arrêt Marshall. Elle statuait que Donald Marshall, accusé d’avoir pêché illégalement des anguilles hors des saisons de pêche déterminées par le ministère des Pêches et des Océans (MPO), avait le droit de pêcher, en vertu des traités de paix et d’amitié signés par les Autochtones au 18e siècle.
La Cour suprême reconnaît aux Autochtones le droit de pêcher, de chasser et de cueillir pour s’assurer une substance convenable
ou modérée
.
Cependant, cette notion de subsistance convenable ou modérée n’a jamais été définie.

Des membres de la Première Nation de Sipekne'katik assistent à une cérémonie pour lancer la pêche de subsistance, le 17 septembre 2020 à Saulnierville en Nouvelle-Écosse.
Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan
Depuis 1999, des pêcheurs mi'kmaq des Maritimes qui pratiquent la pêche hors des saisons déterminées par le MPO font face à l’opposition des pêcheurs commerciaux non autochtones. Par le passé, des gestes violents ont même été posés au Nouveau-Brunswick et au Québec.
Le 17 novembre 1999, après deux mois de protestations provenant des pêcheurs commerciaux, la Cour suprême a émis une clarification. Couramment appelée Marshall 2 (Nouvelle fenêtre)
, celle-ci précise que les gouvernements fédéral et provinciaux ont le pouvoir de réglementer
la pêche que les Autochtones ont le droit de pratiquer lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs
.
Vingt et un ans plus tard, les mêmes tensions resurgissent à Saulnierville. Jeudi matin, des dizaines de bateaux de pêcheurs non autochtones entouraient ceux des pêcheurs autochtones qui venaient de prendre la mer et de jeter à l’eau leurs casiers à homard.

Des bateaux de pêcheurs commerciaux naviguent au large de Saulnierville en Nouvelle-Écosse, le 17 septembre 2020, pour protester contre la pêche des Autochtones.
Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan
Ces actions sont des gestes d’intimidation
, dénonce Robert Syliboy, l’un des pêcheurs mi'kmaq. Ils naviguaient très près et nous disaient qu’ils allaient couper nos bouées.
Les tensions ont été vives toute la journée. Dans une vidéo tournée jeudi soir et publiée sur les réseaux sociaux, on voit une fusée pyrotechnique tirée en direction du bateau d'un pêcheur autochtone.
Selon les dirigeants de Sipekne'katik, la Première Nation et le MPO ont été incapables de s’entendre sur la définition d’une subsistance modérée
.
C’est pourquoi les Mi'kmaq ont décidé qu’ils allaient pêcher et vendre leurs prises selon des règlements qui seront appliqués par des agents de conformité.
Nous avons, dans le passé, souhaité que le gouvernement travaille avec nous pour définir cette subsistance, mais cela ne s'est pas produit. Alors nous prenons les mesures pour la définir nous-mêmes
, mentionnait jeudi Michael Sack, le chef de la Première Nation de Sipekne'katik.

Le chef de la Première Nation de Sipekne'katik, Mike Sack, s'adresse à des membres de la communauté, le 17 septembre 2020.
Photo : CBC / Steve Lawrence
Le fait que le ministère fédéral des Pêches n’ait pas de définition précise de ce qu’est la subsistance convenable
des Premières Nations était un problème dès que la Cour suprême a rendu la décision Marshall, estime Melanie Wiber, une anthropologue à la retraite de l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB).
C’est une des caractéristiques de l’expérience [autochtone] après la colonisation
, dit Mme Wiber. Plusieurs de leurs comportements ont été définis comme des comportements illégaux sous la loi de l’État.
En 2007, Melanie Wiber a coécrit, avec Chris Milley de l’Université Dalhousie à Halifax, le rapport After Marshall : Implementation Of Aboriginal Fishing Rights In Atlantic Canada. (« Après Marshall : la mise en œuvre des droits de pêche autochtones au Canada atlantique »).

Des membres de la Première Nation de Sipekne'kati transportent des casiers à homard le 17 septembre 2020 à Saulnierville en Nouvelle-Écosse.
Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan
Les pratiques de pêche des Mi'kmaq sont ignorées
par les règlements du MPO, dit-elle, notamment en ce qui a trait à la conservation.
L’approche fédérale, croit-elle, a été grandement influencée par la surpêche et l’effondrement des stocks de morue à Terre-Neuve dans les années 1990.
Le MPO se retrouvait dans la position délicate de conjuguer la réalité que la ressource n’est pas illimitée, avec le fait que davantage de gens allaient pêcher.
Des initiatives qui pourraient se multiplier
Le pêche au homard pour une subsistance modérée qu’entend gérer la Première Nation de Sipekne'katik, en Nouvelle-Écosse, pourrait bien être la première d’une série d’initiatives similaires au sein des communautés autochtones.
Selon le chef Wilbert Marshall de la Première Nation de Potlotek, aussi en Nouvelle-Écosse, cette communauté lancera sa propre pêche autogérée le 1er octobre.

Wilbert Marshall, chef de la Première Nation de Potlotek.
Photo : CBC / Nic Meloney
Nous allons faire la même chose
, dit-il. Nous suivrons un plan communautaire, qui fait l’objet de discussions depuis deux ou trois mois.
Vingt et un ans, c’est assez long
, affirme-t-il en référence à l’arrêt Marshall de la Cour suprême.
Pêches et Océans Canada est au courant de ce que prépare la Nation de Potlotek, dit Wilbert Marshall. On les a informés, même si nous n’étions pas obligés.
D’après le reportage de Nic Meloney, CBC