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Avenir de l’Institut de Memramcook : un acheteur potentiel sème l'inquiétude

Qui est Amarjeet Jatana, président de l’entreprise Canadian National Growers?

Homme indien en entrevue.

Amarjeet Jatana fait des affaires dans les Maritimes depuis 2014.

Photo : Radio-Canada / CBC

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L'homme d'affaires intéressé par l'achat de l'Institut de Memramcook n’a pas une bonne cote auprès de certains membres de la communauté agroalimentaire des Maritimes. Louangé par les politiciens, Amarjeet Jatana est dénoncé par des entrepreneurs qui ont maille à partir avec lui. Transactions d'affaires difficiles, factures qui tardent à être payées, démêlés avec la justice en Inde, poursuites civiles au Canada, il laisse sur son passage une série de gens déçus et inquiets.

Homme avec casquette qui tient un arbre.

Amarjeet Jatana en 2014.

Photo : Radio-Canada / CBC

Radio-Canada a appris que son entreprise Canadian National Growers (CNG) souhaite se porter acquéreuse de l’Institut de Memramcook pour y installer une école d’agriculture. L’édifice, propriété de province, est sans locataire et se cherche une vocation.

Le chef progressiste conservateur du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, le 2 septembre 2020.

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs.

Photo : Radio-Canada

Dans une entrevue avec Radio-Canada Acadie durant la campagne électorale, Blaine Higgs voyait d'un bon œil la prise de possession de l'Institut de Memramcook par le secteur privé. Une suite de gouvernements ont trouvé des solutions à court terme. Je vais travailler à long terme. Trouvons une solution à long terme sur la communauté et l’édifice.

M. Higgs se dit prêt à regarder toutes les options, sans préciser laquelle il préfère.

CNG semble tout de même en avance, selon ce qu’il a été possible d’apprendre. Mais qui est cette entreprise?

Rangées de pommiers sur un terrain. Des formes en V inversés en métal sont près des pommiers.

Une partie des pommiers plantés de CNG à Sainte-Anne-de-Kent, près de Bouctouche.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

CNG a été incorporée au Nouveau-Brunswick en 2016. Son propriétaire est Armajeet Jatana, un homme d’affaires originaire de l’Inde, mais qui vit en Colombie-Britannique. Il dit avoir près de 40 ans d’expérience en agriculture en Inde, au Chili, aux États-Unis, en Géorgie, et ailleurs au Canada. Il est actuellement propriétaire de vergers dans le comté de Kent, au Nouveau-Brunswick.

Les photos de lui sont rares. Mais, l’une d’entre elles attire l’attention.

Capture d'écrans Twitter. Deux deux hommes sont derrière un camion en souriant.

Des photos de Blaine Higgs avec Amarjeet Jatana sur Twitter. Le premier ministre souligne qu'en seulement deux ans, ils ont obtenu une récolte impressionnante.

Photo : Radio-Canada

En décembre dernier, il posait fièrement avec le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, après avoir fait un don de pommes d'une valeur de 7000 $ à une banque alimentaire d'Edmundston. Les photos sont affichées sur le compte Twitter du premier ministre et sur la page Facebook de CNG.

D’ailleurs, le premier ministre l’a cité à au moins deux reprises comme un modèle d’affaires. La compagnie [...] a établi plusieurs vergers dans le comté de Kent sans aide gouvernementale, dit Blaine Higgs, dans le balado économique Turning Point.

Mais cet enthousiasme fait sourciller bien des gens d'affaires de la province.

Pomme en gros plan.

Ce sera bientôt l'heure de la récolte à Irishview Estates.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Pommes de discorde à Irishtown

Réginald Petitpas est l’un de ces entrepreneurs qui ont fait des affaires avec CNG et son président, dans le cadre d’un projet d'ensemble résidentiel, appelé Irishview Estates.

Nous avons demandé à M. Petitpas de nous raconter ses démêlés avec Amarjeet Jatana. Or, il a poliment décliné notre demande d'entrevue. C'est encore devant la cour, dit l'homme d'affaires, et je ne désire pas en parler pour le moment. Selon son estimation, il aurait dépensé plus de 120 000 $ en frais juridiques jusqu’à maintenant.

Un homme et une femme en avant de pommiers.

Réginald et Louise Petitpas sont deux des copropriétaires d'Irishview Estates. Ils n'ont pas voulu commenter leurs démêlées avec Canadian National Growers et Amarjeet Jatana. Mais, ils nous ont permis de prendre des photos de leur verger.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Les informations qui suivent ont été recueillies dans des documents, déposés en cour depuis octobre 2017, et des jugements interlocutoires dans une poursuite pour rupture de contrat intentée par CNG contre Réginald Petitpas et ses associés, lorsque ceux-ci ont décidé de rompre leurs liens d’affaire avec Armajeet Jatana.

Dans les dossiers, on constate une longue liste de récriminations visant les méthodes de travail de CNG, qui se défend chaque fois.

Pourtant, tout commence bien. Selon plusieurs sources à qui nous avons parlé, M. Jatana est une personne chaleureuse et charismatique.

Homme souriant en discussion avec d'autres personnes.

En 2014, Amarjeet Jatana rencontrait des politiciens lors du lancement de son entreprise à l'Île-du-Prince-Édouard.

Photo : Radio-Canada / CBC

En décembre 2016, Armajeet Jatana rencontre Réginald Petitpas, qui vient d'acheter des terrains à Irishtown, au nord de Moncton. M. Petitpas veut en faire un ensemble résidentiel nommé Irishview Estates, selon ce qu’on apprend dans des documents sous serment.

Panneau avec inscription honeycrisp en haut d'un arbre.

Le verger d'Irishview Estates cultive les pommes Honeycrisp. Il semble que le climat des Maritimes est favorable à cette sorte qui se vend plus cher sur les marchés.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Après discussions et négociations, en avril 2017, CNG et Irishview Estates signent une entente de coentreprise pour mettre en valeur environ 150 acres de terrain en vue de la construction de logements et de l’aménagement d’un verger de pommiers.

Le principe est simple : des particuliers achètent un terrain sur lequel des pommiers sont plantés.

Femme dos à la caméra regarde les pommes dans un pommier.

Une employée d'Irisview Estates fait sa tournée du verger.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

CNG s'en occupe et paye les propriétaires lors de la récolte. Dans un document judiciaire, le pomiculteur écrit que l’entente prévoyait que chaque acre du verger rapporterait au propriétaire du terrain 12 000 $ par année.

Amarjeet Jatana reconnaît qu’il veut avoir accès à la production de pommes qui lui permettrait de l’ajouter à celle de son autre verger de Bouctouche. Une usine d’emballage est aussi dans ses plans.

Long chemin en gravel. De petits pommiers longent la route.

Le verger de Canadian National Growers à Sainte-Anne-de-Kent, près de Bouctouche.

Photo : Radio-Canada / Françôis Le Blanc

Mais la relation se détériore rapidement. J’ai de nombreux soucis, prétend M. Petitpas, qui énumère ce qu’il a vu.

CNG a commencé à planter les pommiers avec un équipement limité et a emprunté un tracteur d’Irishview Estates, lit-on dans sa déclaration, parce qu’il n’avait pas assez de tracteurs pour fonctionner. Il soutient avoir payé environ 1200 $ pour l’achat d’équipement dont CNG avait besoin, en une semaine. M. Petitpas se plaint aussi que les employés sont peu qualifiés pour l’agriculture. M. Jatana répond, dans un affidavit, que ce sont les mêmes qui travaillent à son verger de Bouctouche.

Ensuite, Réginald Petitpas ajoute que la plantation des pommiers commence le 27 juin 2017 alors que c’était prévu en mai. CNG réplique dans un document de cour que les terrains n’étaient pas prêts.

Le long d'une route en gravel, une longue clôture borde le verger.

Le verger d'Irishview Estates a des clôtures qui sont importantes pour protéger les vergers, même ceux près de milieux urbains. Les chevreuils aiment bien les pommes, mais ils causent des dommages, selon les pomiculteurs.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Au mois d’août, des pommiers sont livrés à Irishview. Dans les documents de cour, M. Petitpas affirme avoir reçu des arbres qui produiront des pommes Gala et non Honeycrisp comme l'entente le prévoyait.

D’autres problèmes

L’aspect financier commence aussi à inquiéter Réginald Petitpas. Des drapeaux rouges sont soulevés et les banques ne peuvent fournir le financement [aux acheteurs potentiels de terrains], lit-on dans l'affidavit de Réginald Petitpas.

Le fournisseur des pommiers, Upper Canada Growers, situé en Ontario a aussi des problèmes. CNG lui doit 500 000 $, selon les documents de la cour. Les propriétaires n'ont pas voulu témoigner dans les procédures. Nous avons contacté cette entreprise, qui confirme n’avoir toujours pas reçu de paiement.

Finalement, après avoir consulté d’autres pomiculteurs, M. Petitpas et ses associés prennent le contrôle complet du projet. Le 8 septembre 2017, il envoie une mise en demeure pour expulser CNG de la propriété.

M. Petitpas a pu corriger la situation et sauver son verger. Aujourd'hui, les arbres ont poussé et il s'apprête à faire sa cueillette automnale de pommes Honeycrisp.

Terrain en chantier, avec affiche à vendre d'un agent immobilier.

Une des maisons en construction dans l'ensemble résidentiel d'Irishview Estates, au nord de Moncton.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Mais tous n'ont pas eu cette chance. Des entrepreneurs, que nous avons contactés, mais qui n'ont pas voulu témoigner publiquement, affirment que leurs pommiers, plantés en même temps que ceux d'Irishtown, n'ont presque pas poussé. C'est CNG qui devait s'en occuper. Mais l'entreprise estime que le temps sec a nui.

Recherché en Inde

Selon les informations recueillies par Radio-Canada, une plainte auprès de la police a été déposée contre Armajeet Jatana dans l’État du Pendjab en Inde.

Feuille en anglais et en punjabi.

La plainte a été déposée en juillet à Amritsar, dans le nord-ouest de Pendjab, un l'état de l'Inde.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Dans un rapport de police daté du 30 juillet, le plaignant, Rajesh Aggarwal, affirme que CNG lui aurait fait des promesses pour que lui et sa famille obtiennent une résidence permanente au Canada en échange d’investissements dans les vergers de l’entreprise au Nouveau-Brunswick.

Document en anglais.

Dans la plainte, on peux y lire que CNG garantissait les démarches de résidence permanente au Canada en échange d'investissements. Aucune allégation n'a été prouvée en cour.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Ces allégations n’ont pas été prouvées en cour.

Au ministère fédéral de l'Immigration, on rappelle que les entreprises ne sont pas autorisées à représenter des immigrants ou à fournir des conseils en matière d'immigration.

Radio-Canada a tenté d’obtenir à de nombreuses reprises une entrevue avec M. Jatana. Nous nous sommes aussi rendus à l’adresse citée dans le registre des entreprises du Nouveau-Brunswick, rue Highfield, au centre-ville de Moncton. Nous n’y avons trouvé qu’un bureau d’avocat.

Extérieur d'un édifice en briques, avec une affiche annonçant les locataires.

Dans plusieurs documents, il est noté que les bureaux de Canadian National Growers à Moncton sont situés sur la rue Highfield, au centre-ville. Lorsqu'on visite les lieux, aucune trace de CNG à l'extérieur. Seule une petite plaque, dans le vestibule, annonce cette compagnie.

Photo : Radio-Canada / François Le Blanc

Dettes envers Travail sécuritaire NB

CNG a aussi des problèmes avec les autorités provinciales. En septembre 2018, Travail sécuritaire Nouveau-Brunswick doit demander une injonction en cour contre le pomiculteur. Il doit à l’organisme provincial une somme de 14 362,40 $. Il s’agit d’arrérages pour non-paiement des cotisations de l’employeur.

Nous avons obtenu une injonction de la cour pour les forcer à payer, explique Anik Cormier, de Travail sécuritaire Nouveau-Brunswick.

Ailleurs au pays, des jugements sont rendus contre Amarjeet Jatana. Le 24 juillet 2017, la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard le condamne à payer 43 000 $ à Randeep Panag pour un contrat non rempli. Ce dernier avait investi avec lui dans un projet similaire à celui d’Irishview, JAI Estates.

Au téléphone, M. Panag n’a pas souhaité commenter, mais il nous a dit qu’il n’avait toujours pas été payé.

Avant son arrivée au Nouveau-Brunswick, Amarjeet Jatana faisait des affaires à l’Île-du-Prince-Édouard sous le nom de Canadian Nectar Products, de 2013 à 2016. Il promet de faire de l’Île-du-Prince-Édouard la capitale mondiale de la pomme.

Cette compagnie est même citée en exemple lors du discours sur l’état de la province en janvier 2016, par le premier ministre de l’époque Wade MacLauchlan.

Cependant, l’étoile d’Amarjeet Jatana pâlit. Un jugement de la Cour suprême de l’Île le condamne à payer 24 000 $ en janvier 2016 à Canadian Agri Services pour factures impayées avec intérêts. Le 19 juillet suivant, un autre jugement ordonne Canadian Nectar Products à payer 21 148 $ en arrérages de ses cotisations à la Commission de santé et sécurité au travail.

Un porte-parole de Canadian Nectar Products nous a confirmé au téléphone que l’entreprise n’a plus de liens avec Armajeet Jatana.

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