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Masque et amendes : « Mettre les autres en danger au nom des convictions de quelques-uns »

Une foule de personnes, sans masque, manifeste.

Le reportage de Kim Vermette

Photo : The Canadian Press / Graham Hughes

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Les policiers peuvent désormais remettre des constats d’infraction aux gens qui refusent de porter le masque dans les lieux publics fermés au Québec, une mesure que des spécialistes en droit et en éthique reconnaissent comme étant coercitive, mais jugent nécessaire pour protéger la population.

Alors qu’un relâchement des mesures sanitaires a été observé au sein de la population et que le Québec a enregistré sa plus forte hausse des nouveaux cas de COVID-19 depuis plus de trois mois, les policiers sur le terrain se sont dits prêts, samedi, à sévir afin d'appliquer la nouvelle réglementation.

Une attention particulière sera portée dans les régions classées jaunes, en préalerte, assure-t-on.

Les corps policiers font ainsi suite à la demande du premier ministre de punir les récalcitrants – une « petite minorité de gens irresponsables », selon François Legault.

Ces amendes, qui peuvent aller de 400 $ à 6000 $, ont été décriées, particulièrement par la frange marginale, quoique vocale, des antimasques dans la province, qui y voient une violation de leur droit.

Bien que le droit à la liberté d’expression se trouve brimé par cette mesure, « il est possible et très justifiable de pouvoir imposer une limite à un droit pour des raisons de santé publique », souligne Me Nathalie Des Rosiers, professeure de droit constitutionnel au Collège Massey, à Toronto.

Les droits ne sont jamais illimités au Canada, rappelle-t-elle au micro de l'émission Les faits d'abord, sur ICI Première. Et pour imposer une limite, il faut que celle-ci « soit raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique ».

Dans ce cas-ci, le gouvernement se devait de « démontrer sa fonction de protection auprès des plus vulnérables et des autres en général », note de son côté l’éthicien René Villemure.

Ceux qui s’opposent au port du masque ont bien entendu le droit d’exprimer une opinion, mais le fait de contrevenir aux règles sanitaires fait courir à la majorité des Québécois un risque pour leur santé, explique-t-il en substance.

Que vous ne vouliez pas vous protéger, c’est une chose. Mais que vous mettiez les autres en danger… Je pense que le gouvernement a un devoir de protection et un devoir d’agir, estime M. Villemure.

« Il y a un réel danger, il a une réelle virulence qui est en œuvre […] de là la nécessité de légiférer en matière de port du masque. On ne peut pas mettre d’autres en danger sur la base des convictions de quelques-uns. »

— Une citation de  René Villemure, éthicien
Une foule de personnes, sans masque, manifeste. Un homme tient une pancarte où l'on peut lire : Non au masque obligatoire.

Les manifestants dans les rues de Montréal s'opposent au port du masque, à la vaccination et au réseau 5G.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Nouvelle marche à Montréal

En cette première journée où les amendes entrent en vigueur, des milliers de manifestants se sont à nouveau réunis à Montréal pour s’opposer aux mesures sanitaires, notamment au port du masque et à la vaccination. Des pancartes contre la technologie 5G, ainsi qu'en soutien au président américain Donald Trump et au mouvement conspirationniste QAnon s'élevaient aussi au-dessus de la foule.

Certains manifestants ont déclaré à CBC News ne pas croire en l'existence même de la COVID-19, tandis que d'autres jugent que la menace n'existe plus.

J’accuse les autorités de santé publique d’avoir manipulé les chiffres depuis le début de la pandémie afin de justifier le fait que notre économie soit à l’arrêt, a déclaré à la foule Jean-Jacques Crèvecoeur, un militant anti-vaccin bien connu en Europe.

La marche, qui a débuté non loin du bureau du premier ministre Legault, près du campus de l'Université McGill, a pris fin en milieu d'après-midi devant l'édifice de Radio-Canada, sur le boulevard René-Lévesque, où les manifestants ont bloqué la circulation.

La plupart d'entre eux ont fait fi des règles de distanciation physique et ne portaient pas de couvre-visage.

Pour l’instant, le décret gouvernemental sur les contraventions ne s’applique pas aux manifestations extérieures, avait précisé M. Legault.

Il n'est pas question de remettre en doute le droit de manifester, a assuré samedi la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, en entrevue à Radio-Canada. Mais les règles, elles existent pour tout le monde, alors on demande aux gens de se conformer, a-t-elle précisé.

Un message boiteux

D'un autre côté, le gouvernement Legault a eu de la difficulté à bien communiquer son message, juge l'épidémiologiste Nimâ Machouf. Au tout début de la pandémie, la santé publique a semé la confusion en n'exigeant pas le port du masque.

En pleine pénurie d'équipements de protection personnelle, le gouvernement a essayé de nous faire passer le message comme quoi le masque n’était pas nécessaire, rappelle Mme Machouf.

Étant donné qu’au début, le message a été boiteux […] maintenant c’est un peu difficile de convaincre la population. Mais, sur le plan de la science, le masque a un effet indéniable, protecteur, soutient-elle, rappelant que l'Organisation mondiale de la santé est aussi en faveur de cette mesure.

L'intégralité de la discussion à l'émission Les faits d'abord est disponible en ligne, sur le site d'ICI Première.

Selon René Villemure, le raisonnement des antimasques n'est pas scientifique; c'en est un de conviction.

La seule position, c’est "je suis contre", et il n’y a pas de débat. Il n’y a pas de dialogue. Et quand il n’y a pas de dialogue, malheureusement, on doit recourir à une mesure où on grade la sanction, donc de là les amendes, dit-il.

Mon choix personnel aurait été de résoudre par le dialogue, mais quand on ne dialogue pas, quand c’est un dialogue de sourds, il faut faire quelque chose, ajoute-t-il.

Un processus démocratique à ne pas négliger

Au-delà de la violation d'un droit, ce sont les dérives démocratiques qui inquiètent davantage Me Nathalie Des Rosiers.

Le fait que le gouvernement ait recours, par exemple, à des décrets plutôt que de passer par des projets de loi, est un réflexe qui peut devenir dangereux, fait-elle valoir.

Ce qu'on a pu observer en pleine crise sanitaire, c'est qu'il est possible de passer par-dessus certains aspects qui normalement justifient le pouvoir législatif, dit Mme Des Rosiers.

« Un moment donné, il va falloir apprendre à opérer démocratiquement même dans un contexte d’urgence. »

— Une citation de  Nathalie Des Rosiers, avocate et professeure

Radio-Canada n'a pu obtenir le nombre d'amendes distribuées pour non-respect du port du masque par les services policiers samedi. Le mot d'ordre, sur le terrain, est de procéder graduellement, indique-t-on.

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